Cannes 2016 : Palmarès
par Jacques Kermabon
Un palmarès à hauteur d’homme
Le jury présidé par George Miller a déjoué bien des pronostics en ne récompensant ni Toni Erdmann, ni Aquarius, ni La Fille inconnue, autant de films qui n’auraient pas dépareillé dans ce palmarès majoritairement orienté vers des réalisations au plus près des réalités sociales.
Exit la fantaisie burlesque de Ma Loute, le glamour lesbien sophistiqué de Mademoiselle (le chef-opérateur Seong-Hie Ryu a néanmoins été primé par la CST), les expériences formelles de The Neon Demon, le thriller vénéneux Elle, le mélodrame stylé Julieta, les jeux de rimes délicats de Paterson.
À l’aune de ce critère, Personal Shopper et Juste la fin du monde se distinguent. Olivier Assayas joue la carte du film de genre au cœur du monde du luxe et nous parle de fantômes. Xavier Dolan affiche sa mise en scène en adaptant Jean-Luc Lagarce, même si la pièce touche aux liens familiaux, une question universelle.
Baccalauréat, Le Client, American Honey, Ma’ Rosa, autant de films, très différents, ou l’attention portée au monde filmé semble primer sur toute autre considération. Il faut croire que les mânes d’André Bazin planaient sur La Croisette.
La sélection était particulièrement réussie cette année et bien des films auraient pu prétendre à tous les prix qui ont été décernés. On en regrette d’autant le doublé accordé à Le Client, prix d’interprétation masculine à Shahab Hosseini et prix du scénario.
De même, le choix de la Palme d’or aurait pu se porter sur d’autres titres. Le juré a opté pour une valeur sûre, Moi, Daniel Blake, du pur Ken Loach, un cri de colère contre les dégâts sociaux du néo-libéralisme à travers la figure d’un ébéniste contraint de chercher du travail pour continuer à toucher des allocations chômage alors que son médecin l’a déclaré inapte après son infarctus. Tout cela parce qu’un organisme sans compétence médicale, mais habilité à juger dans ces cas de figure, au regard du questionnaire auquel il a répondu, a estimé qu’il ne pouvait pas prétendre à une allocation de travailleur handicapé. Ce portrait d’un homme en proie à des contraintes kafkaïennes programmées par les rouages de l’idéologie libérale, est à la fois tendre, non dénué d’humour, mais il donne surtout la rage d’en découdre. En recevant sa palme d’or, le trotskyste octogénaire a déclaré combien le néo-libéralisme nous conduit à la catastrophe et qu’un autre monde est possible, voire même nécessaire.
Un film a-t-il jamais contribué à faire bouger le monde ? On aimerait le croire.
Le cinéma est aussi une illusion.
Le palmarès
Palme d’or : Moi, Daniel Blake de Ken Loach
Grand Prix : Juste la fin du monde de Xavier Dolan
Prix du jury : American Honey d’Andrea Arnold
Prix d’interprétation masculine : Shahab Hosseini dans Le Client d’Asghar Farhadi
Prix d’interprétation féminine : Jaclun Jose dans Ma’Rosa de Brillante Mendoza
Prix du scénario : Le Client d’Asghar Farhadi
Prix de la mise en scène : Baccalauréat de Christian Mungiu et Personal Shopper d’Olivier Assayas ex-aequo
Palme d’or du court métrage : Timecode de Juanjo Gimenez
Caméra d’or : Divines d’Houda Benyamina
24 mai 2016