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Festivals

Cannes 2016 : Verhoeven + Farhadi

par Jacques Kermabon

Réalisme moral et Huppert-film

Les articulations thématiques se confirment avec les deux films qui clôturent la compétition, deux femmes victimes d’une intrusion intempestive à leur domicile, figure ô combien balisée de l’acmé de tant de fictions cinématographiques depuis au moins Griffith. Mais, chez Paul Verhoeven et Asghar Farhadi, si ces violences faites à des femmes y représentent des temps forts, les fictions en explorent plutôt les répercussions, les implications selon des modalités pour le moins dissemblables.

Adapté d’un roman de Philippe Djian, Elle est un Huppert-film, centré sur le personnage qu’elle interprète, d’une sensualité cérébrale et minérale, violée chez elle par un homme masqué et d’une capacité de résilience hors du commun, puisée dans une enfance où elle a côtoyé le mal absolu. La scène de l’agression est revécue à plusieurs reprises et mise en scène à chaque fois selon un angle nouveau jusqu’à la vengeance comme peuvent se l’imaginer les victimes quand elles se remémorent leur traumatisme.

On ne voit pas l’agression dans Le Client, seulement son effet quand le mari retrouve à l’hôpital sa femme blessée à la tête. Ils venaient d’emménager dans un nouvel appartement et l’agresseur y est venu pensant trouver la précédente locataire que les voisins décrivent comme de mœurs légères.

Tant chez Verhoeven que chez Farhadi, les victimes décident de ne pas porter plainte et d’identifier par eux-mêmes l’agresseur. Codirectrice d’une société de création de jeux vidéo, Michèle (Isabelle Huppert) vit seule et, tout en s’armant pour se défendre en cas de récidive, cherche à savoir qui est celui qui la harcèle. Dans Le Client, c’est le mari qui mène l’enquête sans le dire à sa femme.

Là où Farhadi creuse la piste d’un certain réalisme, plante un état de la société iranienne et pose des questions de morales, Verhoeven campe une comédie cruelle et joyeusement immorale.

Le Client s’empêtre un peu dans la représentation de La Mort d’un commis voyageur qu’ils répètent puis jouent en amateur – lui est enseignant. L’alternance entre ce travail théâtral et leur vie quotidienne, dans laquelle la recherche de l’agresseur prend de plus en plus de place, permet de dynamiser le scénario, mais aussi parfois le dilue.

On conserve du film de Farhadi le souvenir d’un gris un peu poisseux et assez conventionnel. On peut lui préférer les couleurs tranchées de celui de Verhoeven, même si le scénario perd un peu de sa rigueur dans la deuxième partie du film. Le Client guide le spectateur dans les atermoiements psychologiques des personnages, résolution à la clé sur une ambiguïté morale. Plus jubilatoire, Elle déploie un nœud de questions sans jamais sombrer dans la psychologie ni prétendre donner le fin mot d’une histoire qu’on pressent irriguée par l’entrelacs de profondes racines secrètes.

La compétition finit comme elle a commencé, en beauté et dans la diversité.

Jacques Kermabon


22 mai 2016