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Festivals

Cannes 2017 : La vengeance des femmes

par Philippe Gajan

Cannes : La vengeance des femmes

Venir à Cannes pour un cinglé de cinéma, c’est chaque année faire un reset de son ordinateur cerveau personnel,  une mise au point (ou à niveau). Attention, ce n’est pas changer d’ordinateur,  ni même de système d’exploitation.  Non, c’est faire de la place pour de nouveaux films, de nouveaux auteurs. C’est prendre des nouvelles de son panthéon personnel (Dumont, Kawase, Loznitsa, entre autres pour moi cette année). C’est flâner dans d’autres univers, faire des visites de politesse chez ceux dont le cinéma, les histoires ou les sujets nous intéressent moins… Mais c’est surtout tenter de rester disponible pour ce moment où votre regard sera changer à jamais, pour toujours. C’est sortir en jubilant de Jeannette ou ému comme jamais du film de Naomi Kawase. C’est comprendre que la simplicité de Garrel est un sommet dans l’art multiforme du cinéma que peu atteindront. Et c’est surtout surtout découvrir de nouvelles voix, de nouvelles voies, de nouvelles pistes de réflexions pour appréhender le cinéma et son rapport au monde.

Et cette année, ce sont souvent des réalisatrices qui nous offert ces moments. On l’attendait,  on le pressentait et, faut-il le préciser après les polémiques des années précédentes, on l’espérait.

Du côté des sections parallèles,  elles sont Indonésienne (Mouly Surya avec Marlina la tueuse en 4 actes) ou Zambienne (Rungano Nyoni pour I am not a Witch). Elles parlent la langue du cinéma mais aussi celles des femmes, celles de leurs héroïnes. Ce cinéma à cette étonnante capacité à être autant local (par ses histoires,  par sa langue, par ses paysages, …) qu’universel par ses thèmes. À la fois déstabilisé par le contexte et en terrain connu, le spectateur occidental peut connecter son propre imaginaire, ses propres références,  à ces contrées aussi réelles que magiques pour lui.

La tueuse Marlina ou la petite sorcière Shula évoluent dans des mondes régis par les hommes mais de victimes (des structures de la société comme de ses préjugés ) elles vont devenir actrices, elles vont imposer leur droit et leur désirs. Le temps d’un film certes…

Dans I am not a Witch,  l’Afrique subsaharienne (anglophone, ce qui est assez rare sur nos écrans) est à la fois celle du conte, de la tradition et celle du contemporain alors que les touristes visitent les sorcières attachées dans leur enclos et que la justice est rendue à grand renfort de superstitions (à moins que ce soit de pouvoirs magiques). Sans cesse la frontière entre tradition et modernité, entre le conte et une forme de réalisme sociopolitique est brouillée sans qu’on tombe à aucun moment dans la farce. Ici la coexistence des temps est le réel alors que les codes de la société s’accommodent de l’évolution des moeurs politiques et économiques.

Marlina se déploie dans un paysage de western. Une jeune femme dans une cabane isolée, dont la pièce principale est ornée par la momie de son mari défunt reçoit la visite d’un  chef de gang qui lui promet pour le soir même les pires sévices. Sa vengeance, le sang froid avec lequel elle l’accomplit, est mis en scène à la fois comme du théâtre tragique et une farce grotesque. Encore une fois le brouillage des genres donne un ton résolument nouveau à cette épopée jubilatoire.

À voir l’assurance avec laquelle ces deux cinéastes ont mené leur barque, on aurait envie de dire que deux étoiles sont nées.


26 mai 2017