Festivals

Cannes 2017 : les sections parallèles I

par Philippe Gajan

Nous sommes en 2017 et Cannes fête son 70e anniversaire

Alors, quoi de neuf docteur dans le merveilleux monde du cinéma ? Tout d’abord, timidement, les séries ont fait leur apparition. Mais attention, elles sont signées David Lynch et Jane Campion (la 2e saison de Top of The Lake) et, l’affirme Thierry Frémaux, ne sont là que pour que ces deux “amis” du festival puissent participer à la fête. Hors compétition donc. Cannes est cinéma et le restera, sous-entendu, la série, ce n’est pas du cinéma. Une première oeuvre de réalité virtuelle intègre également officiellement le festival, elle est signée quant à elle par Iñarritu. Même raison invoquée : prendre des nouvelles des amis. Toujours hors compétition.

Cannes, faiseur de rois (et de reines car même si elles régulièrement oubliées en compétition officielle et au palmarès , on ne peut oublier le destin du Tony Erdmann de Maren Ade l’an dernier), du haut de son âge vénérable, est donc bien parti pour jouer le rôle du dernier des Mohicans dans cette défense du cinéma-qu’il-faut-voir-sur-grand-écran. En témoigne  cette polémique liée aux films Netflix, entendre qui ne sortiront pas dans les salles françaises. Exception culturelle contre exception commerciale. Aux dernières nouvelles, Monsieur Netflix s’en fout…. Et Cannes s’il ne vire pas les deux méchants (le Okja de Bong Joon-ho et The Meyerowitz Stories, de Noah Baumbach), a botté en touche en modifiant ses règlements pour l’an prochain. Tout film en compétition devra dorénavant être accompagné d’une garantie de sortie en salle (française).

Gageons que cela ne suffira pas et que ce petit baume adressé aux exploitants comme aux questions de principe ne suffira pas. Dans un paysage en décomposition / recomposition accéléré, il semble certain que le problème ne peut que se déplacer sur le terrain du politique tant les enjeux sont complexes et multiples. Et il n’est pas certain, mais vraiment pas certain, que Cannes soit autre chose qu’une aimable distraction dans cette lutte qui oppose et opposera les puissances multinationales et les politiques gouvernementales.

En attendant le prochain épisode, place donc au cinéma-qu’il-faut-voir-sur-grand-écran. C’est Noel ici pour le cinéphile et la compétition officielle est l’arbre (majestueux certes) qui cache la forêt. Quelques petites remarques :

  • Amalric est le porte-étendard du cinéma d’auteur français. Il n’aura échappé à personne qu’il est l’acteur principal du film d’ouverture de la compétition officielle mais également le réalisateur-acteur du film d’ouverture de la section Un certain regard avec Barbara, un anti-biopic mais une véritable mise en abyme aur / autour de la célèbre chanteuse.

  • Le cinéma français est également à l’honneur à la Quinzaine des réalisateurs. Claire Denis ouvre la section parallèle avec Un beau soleil intérieur. Une grande actrice, Juliette Binoche, mais pas forcément un grand scénario (Christine Angot a coscénarisé). Cela aurait pû être une comédie sentimentale incandescente et jubilatoire sur les désirs (d’une femme), ça l’est sans doute par instants, mais c’est surtout un portrait laborieux et amer d’un milieu (celui des arts contemporains et, plus généralement d’une société ultra-individualiste) qui se regarde (en larmoyant) le nombril. En voulant tendre un miroir à leur monde, les deux scénaristes semblent avant tout s’être concocté un selfie peu avantageux.

  • La fin de l’amour, la destruction du couple, le désir, thèmes majeurs s’il en est de ce début de 70e (Desplechin, Zviaguintsev) trouve la plus belle de ses expressions chez Garrel qui clôt sa trilogie (La jalousie, L’ombre des femmes) par L’amant d’un jour. Simple, beau et lumineux et triste à la fois, jamais désuet, contemporain et intemporel, son nouveau film poursuit l’exploration du mythe d’Electre, le pendant féminin du mythe d’Oedipe chez Freud, une exploration de l’inconscient du désir chez les femmes. Une jeune femme, à la suite d’une rupture amoureuse, réintègre l’appartement de son père qui vit avec une femme du même âge que sa fille. En 76 minutes toutes essentielles et délicieuses, tout est dit…

  • Du côté de la semaine de la critique, c’est encore d’une histoire d’amour qu’il s’agit,  une histoire tragique cette fois-ci. Basé sur des faits réels,  le nouveau film des italiens Fabien Grassadonia et Antonia Piazza (après Salvo, grand prix de la semaine en 2015) ouvrait la section et promettait beaucoup. Intitulé Sicilian Ghost Story, le film ressemblait sur papier à Orphée (Giuseppe, 13 ans, enlevé et sequestré par la mafia) et Eurydice (Luna) en enfer, celui de la mafia sicilienne. Un conte gothique peuplé de fantômes,  de mythes et de fugues poétiques et telluriques. Si ces éléments sont effectivement esquissés,  jamais ils ne se fondent en un ensemble cohérent. Le film est plutôt lourd alors qu’il devrait être aérien, et les arcanes du surnaturel ne prennent jamais vie… Dommage…

  • L’autre grand thème du festival et ce n’est pas une surprise est l’état du monde. Le cinéma devient alors une arme de contestation, un miroir grossissant socio-politique, un témoin à charge. Très réussi dans cette veine est le nouveau film de Valeska Grisebach (Sennsucht en 2006). Elle met en scène, utilisant très élégamment les codes du western (d’où probablement le titre Western), l’affrontement latent entre deux communautés, des ouvriers allemands qui démarrent un chantier au milieu de nulle part et un petit village bulgare à quelques encablures. Méfiance, différence de culture, de langues… De micro événements en micro événements, la tension monte. Au milieu, un personnage hors-norme, mystérieux, solitaire.. Ancien légionnaire, il est le moins intégré sur le chantier. Rapidement, il se rapproche des villageois, avec qui il noue une véritable amitié avec pour conséquence des sentiments proches de la trahison de part et d’autre. Un film qui traite de manière très subtile des sentiments proches du racisme, de leur naissance à leur apogée.

 


19 mai 2017