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Festivals

Cannes 2017 : un bilan en forme de top 10

par Philippe Gajan

Bilan Cannes 2017

Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc de Bruno Dumont

Au-dessus du lot, car il est tout ce que je peux espérer du cinéma. Certes, il est profondément novateur, original, surprenant… en images et en sons, mais surtout, il est un outil puissant, extrêmement dense, de réflexion sur notre monde contemporain. Bruno Dumont reprend là où il nous avait laissé avec Hadewijch qui traitait de l’extrémisme religieux mais cette fois-ci, il s’est muni d’une nouvelle arme, peaufinée lors de ses deux précédents films P’tit Quinquin et Ma loute : l’ironie. Il en fallait sans doute pour oser cette oeuvre follement ambitieuse, il en fallait pour utiliser une légende du début du XVe siècle avec les mots d’un écrivain du début du XXe siècle pour s’inviter dans les débats du début du XXIe siècle : roman national, nationalisme, démocratie, signification du sacré, religion… La France et ses politiciens mais aussi tout l’occident en crise ont tout intérêt à méditer ce brûlot musical iconoclaste.

 

En compétition officielle :

 

Hikari (vers la lumière / Radiance) de Naomi Kawase

Une oeuvre somme pour Naomi Kawase vers laquelle semble converger tous ses thèmes. La frontière ténue entre la vie et la mort, notre inscription dans la nature, la beauté, la transmission mais surtout le cinéma comme art pour décrire le monde à nous (elle) qui sommes aveugles. Certains ont trouvé le film lourd et mièvre, il est pour moi aérien et sage. Cette histoire d’amour entre un photographe célèbre qui perd peu à peu la vue et une jeune femme dont le métier est de décrire un film aux non-voyants suffisamment précisément pour qu’ils imaginent la scène et pas trop subjectivement pour ne pas la leur voler est certes une métaphore mais elle est faite avec toute la délicatesse du monde. Palme d’or pour moi.

 

Krotkaya (Une femme douce / A gentle creature) de Sergei Loznitsa

C’est Alice (Joseph) K. au pays des cauchemars (russes). Un film foisonnant, de bruit et de fureur, qui plonge une jeune femme ( douce et mutique) dans un maelstrom orchestré par de multiples monstres (humains èa moins qu’ils ne soient lynchiens) alors qu’elle part à la recherche de son mari disparu dans une prison. Adapté librement de Dostoïevski, cette fable directement adressée au rêve de grande Russie de Poutine, est une plongée effrayante et métaphorique dans ce que l’être humain et sa société ont de plus vils. Ballotée, comme si elle franchissait les cercles de l’enfer de Dante, notre héroïne à l’instar d’un Joseph K est impuissante malgré sa détermination hors paire. Quant au procès, il est tout simplement grand guignolesque. Sombre vous avez dit ? C’est mon Grand prix du jury

 

Tesnota (Une vie à l’étroit / Closeness ) de Kantemir Balagov

Retenons ce nom. Nouveau venu (il a 25 ans, c’est son 1er long métrage), réussit un film impressionnant sur un sujet incroyablement délicat. Élève de l’école de Sokourov, citant Mouchette de Bresson et Rosetta des frères Dardenne parmi ses films préférés, il a déjà une esthétique bien à lui. Au marche de l’empire (russe), dans le nord-caucase, un mariage dans la communauté juive. Au milieu des années 90, un fait divers, les mariés sont enlevés contre rançon. L’héroïne est la soeur du marié, amante d’un jeune kabarde (une communauté convertie à l’Islam). Tension dans les communautés, tension entre les communautés : un Roméo et Juliette sale, incroyablement claustrophobique notamment grâce à une caméra qui emprisonne ses sujets. Irrespirable et donc essentiel.

C’est ma caméra d’or.

 

The Florida Project de Sean Baker

S’il fallait amener lors d’un voyage dans le futur 3 films pour dire l’Amérique des laissés-pour-compte du début du XXIe siècle, au côté de Springbreaker et de American Honey figurerait en bonne place le nouveau film du cinéaste de Tangerine. Trois stratégies différentes : celle de Sean Baker est d’avoir mis à l’avant plan une tribu d’enfants turbulents, incroyablement espiègles et débordant de vie sur les paysages de motels (pour pauvres) qui jouxtent les parcs d’amusement. Le contraste est terrifiant, le film évacuant ainsi toute forme de misérabilisme n’en est pas moins un constat sans concession sur l’Amérique de la crise des subprimes.

 

Ajoutons quelques titres précédemment cités pour faire bonne mesure :

L’amant d’un jour de Philippe Garrel (récompensé à la Quinzaine)

Western de Valeska Grisebach

I Am not a Witch de Rungano Nyoni

Marlina, la tueuse en 4 actes de Mouly Surya

A Ciambra de Jonas Capignano (qui décroche un prix également à la Quinzaine)

Mentions spéciales à Lerd (Un homme intègre) de Mohammad Rasoulof (prix Un certain regard) et Frost de Sharunas Bartas.


28 mai 2017