Cannes 2018 : jour 9
par Jacques Kermabon
Lee Chang-Dong est un des rares cinéastes à avoir compris que, au jeu des adaptations, la durée d’un long métrage correspond plus à celle d’une nouvelle. Burning, d’après Les granges brulées, d’Haruki Murakami (publiée dans le recueil L’éléphant s’évapore) dure presque deux heures et demi, le temps qu’il faut pour approcher au mieux la façon dont la peinture du quotidien chez le romancier japonais, suggère doucement, au travers d’allusions discrètes, de non dits, de rêveries, tout un réseau de petites énigmes qui semblent planer sur l’ordinaire de ses personnages.
Jongsu retrouve par hasard Haemi, une jeune femme avec laquelle il était à l’école. Il en tombe amoureux et alors qu’elle part en Afrique, elle lui demande de venir nourrir son chat pendant son absence. Elle revient de Nairobi en compagnie de Ben, un jeune et riche coréen. On sait d’où il tire son argent, sa Porsche, un magnifique appartement et une vie proche de l’oisiveté. Ben et Haemi ne se quittent plus et Jongsu se trouve exclu. Un jour Haemi disparaît sans prévenir. Résumer l’intrigue pointe ce que d’autres auraient sans doute retenu de cette adaptation, mais ne dit rien de ce que le film fait advenir et qui se poursuit bien longtemps en nous après la fin de la projection. On conserve le souvenir de sensations, de moments, mais aussi de tout un réseau d’incertitudes, un halo de sens, d’échos qui cheminent sans que nous ne soyons pas certain d’avoir été berné par des idées qui doivent plus à notre imaginaire qu’à la réalité qui nous est montrée.
Tout demeure tangentiel : les désirs des personnages qu’ils n’osent affirmer ou font mine de ne pas voir, les amitiés qu’on serait bien incapable de qualifier ou d’évaluer à quelle distance elles se trouvent de l’amour, les réminiscences du passé qui ne coïncident pas de l’un à l’autre, les récits qu’ils se font, peut-être complètement imaginaires ou alors cryptés, ou bien encore perçus au tamis du désir de Jongsu d’être écrivain. Pour moi, le monde demeure un mystère, avoue-t-il en parlant de sa vocation.
On peut voir en Burning un sérieux prétendant à la Palme d’or et le préférer à Dogman, de Matteo Garrone, parfait dans son genre et sa façon d’afficher les muscles de son efficacité. Là, le film s’arrête au moment où il s’achève.
18 mai 2018