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Festivals

Cannes 2018 : palmarès

par Jacques Kermabon

Durant la conférence de presse qui a suivi le palmarès, Cate Blanchett a affirmé que le critère principal de leurs choix tenait aux qualités artistiques des films et ne relevait pas de leurs dimensions politiques supposées. Il n’était sans doute pas inutile de préciser cette lapalissade qui sonnait un peu comme une dénégation. Une formule énoncée plus tard, qui louait « un grand film qui porte un message », apparaissait plus conforme au sentiment dominant qui émane de ce palmarès et auquel le discours de remerciements de Nadine Labaki en proposait la version la plus caricaturale. « Beaucoup de pitié et peu d’intelligence », avait anticipé Jean-Luc Godard pendant sa conférence de presse.

À cette aune, Le poirier sauvage, de Nuri Bilge Ceylan, avait peu de chance d’attirer le regard. Aucun héros positif, aucune cause défendue et, quand il y est question, par exemple de religion, un débat long et argumenté invite plus à la réflexion qu’il n’affirme un point de vue. Dans ce film magistral et néanmoins inégal, un jeune homme ne cesse de revenir dans le village de son enfance – d’abord après avoir suivi des études supérieures, puis à la suite d’un concours qu’il a passé… – voyant, au fil du temps, glisser entre ses mains les espoirs qu’il portait en lui avec une certaine arrogance : ne pas croupir dans ce trou, devenir écrivain.

De son côté, son père, instituteur, a accumulé des dettes et ruiné sa famille en jouant aux courses. Quoique plutôt désillusionné sur les arcanes de l’âme humaine, Le poirier sauvage ne cède pas complètement à une entropique mélancolie, la question y demeurant plutôt celle de trouver sa place dans le monde. La mère avoue un moment que, malgré tout ce que son mari lui a fait endurer, si elle devait recommencer, elle ferait le même choix d’épouser cet homme qui parlait si bien.

Encore moins d’espoir que Un couteau dans le cœur éveille l’intérêt du jury tant ce sont avec d’autres curseurs, d’autres conventions que joue Yann Gonzalez. Plongeant son inspiration dans le cinéma de genre, il livre un polar baroque – un tueur en série dans le milieu du porno gay à petit budget – pétri de références – notamment au fantastique à la Franju –, avec un goût certain pour le pastiche. Et comme dans les films de Dario Argento, si la crédibilité y est moins déterminante que la puissance des inventions visuelles et du plaisir qu’elles procurent, cela n’empêche en rien la vérité des sentiments.

Le marathon cannois est achevé. Nous n’avons pu voir qu’une partie des films proposés dans les différentes sections, ce qui nous prémunit de prétendre avoir un point de vue synthétique. On le sait, cet ensemble donne un avant-goût de l’actualité cinématographique des prochains mois. Nous aurons donc l’occasion de revenir plus attentivement sur la plupart des œuvres proposées à l’occasion de cette 71e édition du Festival international du film.

Palmarès de la 71e édition du Festival international du film

  • Palme d’or : Une affaire de famille du Japonais Hirokazu Kore-eda
  • Grand prix du jury : BlacKkKlansman de l’Américain Spike Lee

  • Prix du jury : Capharnaüm de la Libanaise Nadine Labaki

  • La Palme d’or spéciale : Jean-Luc Godard, qui présentait Le Livre d’image

  • Prix d’interprétation masculine : Marcello Fonte, dans le film Dogman de l’Italien Matteo Garrone

  • Prix de la mise en scène : le Polonais Pawel Pawlikowski pour le film Cold War
  • Prix du scénario : Heureux comme Lazzaro de l’Italienne Alice Rohrwacher, et 3 Faces de l’Iranien Jafar Panahi, co-écrit par le réalisateur et Nader Saeivar

  • Prix de l’interprétation féminine : Samal Yeslyamova, dans le film du Kazakh Sergey Dvortsevoy Ayka


22 mai 2018