Cannes 2016 J0 : Woody en terrain connu
par Jacques Kermabon
Une arrivée en douceur sur la planète cinéma
Ouvrir le Festival de Cannes avec Café Society se révèle un bon choix. Le film de Woody Allen ne devrait pas faire de l’ombre à la sélection et permet de nous introduire en douceur dans une certaine ouateur confortable et immédiatement reconnaissable. On a fait un long voyage et on se retrouve comme chez soi, dans le pays du cinéma au prisme de l’univers de Woody Allen.
La première partie du film se déroule à Hollywood pendant les années 1930, la deuxième à New York, et, dans les deux cas, essentiellement dans des milieux huppés que nous observons en suivant le parcours du jeune Bobby qui découvre ébloui le monde des stars en devenant coursier pour son oncle Phil, un agent très influent à la Mecque du cinéma.
S’il fallait expliquer ce que signifie une intrigue téléphonée, ce film de Woody Allen relèverait assez bien du cas d’école. Cela ne signifie pas que les événements à venir sont tous prédéterminés, mais que les possibles sont assez limités, souvent binaires – va-t-il ou non quitter sa femme pour sa secrétaire ? Cette dernière va-t-elle opter pour Bobby ou l’oncle Phil ? – et que nous sommes toujours amenés à anticiper ces possibles. Nous savons aussi que telle lettre évoquée à tel moment sera l’indice qui permettra la prise de conscience de tel personnage, etc.
On pourrait invoquer la paresse d’un Woody Allen qui, sachant son œuvre derrière lui, s’amuse à décliner ce qu’il sait faire, tresser des histoires d’amours contrariées, d’adultères, créer des personnages bien campés, mais plutôt monolithiques, parler du cinéma et de New York, le tout enrobé dans des images à la limite du chromo et pimenté de quelques coups de griffe et de son inévitable humour juif.
On sent bien que ce n’est pas tellement le récit qui passionne Allen. Une voix off expédie les événements quand il faut accélérer le mouvement, des personnages disparaissent de l’intrigue quand leur présence pourrait gêner l’avancée de telle autre péripétie, des drames arrivent sans provoquer d’émotions durables.
Ajoutons que, comme au bon vieux temps du cinéma classique, rien ne nous échappe, les bons mots font mouche, les émotions parfois nuancées que les acteurs doivent exprimer sont clairement lisibles dans les expressions de leur visage ou leurs regards. Si tout cela au final n’est pas si désagréable, c’est que Allen sait toujours faire partager le charme qu’exercent les comédiens qu’il a su choisir, en particulier ici Jesse Eisenberg (son alter ego) et Kristen Stewart, les deux protagonistes de cette histoire d’amour inachevé.
Jacques Kermabon
11 mai 2016