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Festivals

Cartoon forum 2017 – jour 2 : Trois auteurs, deux confirmations, une surprise

par Nicolas Thys

La deuxième journée du Cartoon forum a été bien rempli et nous avons vu défiler certains des projets français les plus attendus. Il a aussi été l’occasion d’une belle surprise venue du Portugal et comparable à l’effet qu’avaient produit les Mironins l’année passée. Pour en garder un peu pour le dernier jour, dont la programmation est un peu plus douce, le temps peut-être de récupérer de la merveilleuse cuisine et des vins qu’on nous sert à longueur de journée, nous n’aborderons que trois séries dont deux françaises : Les Aventuriers de l’art : Romantisme et Culottées, puis Mr. Passenger que devrait réaliser l’animateur et illustrateur Zepe.

 

Après son court-métrage multi-primé Mademoiselle Kiki et les Montparnos puis la mini-série Les Aventuriers de l’art moderne, Amélie Harrault revient pour un 4 x 52 minutes autour des artistes romantiques du 19ème siècle. Ce sera donc une deuxième saison des Aventuriers de l’art sous forme de « préquel » puisque la première portait sur les artistes du début du 20ème siècle et les différents mouvements d’avant-garde. La série sera une fois encore écrite par Dan Franck et portée par Silex films avec Arte en diffuseur français principal.

Le projet est ambitieux à plusieurs niveaux. D’une part, il ne s’agira pas simplement de dresser le portrait de quelques artistes de façon documentaire et didactique mais de tisser des liens entre les figures importantes de l’époque en les regardant vivre dans une France et un Paris en reconstruction après les travaux entrepris par le baron Haussmann. Le contexte économique, social, politique des œuvres et des personnalités sera important. On verra donc évoluer Nadar dans son studio photo, Victor Hugo et ses engagements politiques entre le début et la fin du siècle, Georges Sand autour de l’importance du travestissement ou encore les salles de rédaction des journaux auxquels des auteurs comme Balzac et Dumas livraient jour après jour les textes de leurs roman-feuilleton. Le point de vue développé semble emprunter des éléments autant à l’histoire de l’art qu’à l’histoire culturelle, livrant de nombreuses anecdotes et montrant de nombreux acteurs majeurs : Alfred de Musset, Jules Verne, Gérard de Nerval ou Charles Baudelaire. La volonté des auteurs est de porter un nouveau regard sur une époque souvent mal connue, considérée comme académique alors qu’elle a permis la création de la société moderne.

D’autre part, d’un point de vue narratif et formel, Amélie Harrault et Dan Franck veulent que la véracité documentaire soit incluse dans un récit dramaturgique avec une arche narrative, des personnages récurrents voire des cliffhanger comme dans n’importe quelle série. L’animation ne sera pas en reste avec une volonté de multiplier les techniques pour donner corps au 19ème siècle, apporter une dimension charnelle tout en mettant l’accent sur la picturalité. On pourrait donc voir une dizaine de techniques s’entremêler que ce soit la peinture sur verre, la rotoscopie, l’aquarelle animée ou le papier découpé. L’objectif affiché étant une fois encore de sortir de la vision monolithique qu’on peut avoir des protagonistes et de la société française de l’époque.

Le public visé sera large, probablement à partir de 12 ans. La livraison est prévue pour 2021, ce qui peut sembler long mais ne l’est pas vraiment compte tenu de l’ampleur du projet. Le budget prévu est de 3,2 millions d’euros. Silex films voudrait que l’intégralité des épisodes soit produite dans leurs studios et ils recherchent donc avant tout des préventes internationales ou des partenaires institutionnels pour boucler les financements.

On reste avec Silex films et la série d’auteur pour Culottées tiré des albums de Pénélope Bagieu. Mais cette fois le producteur principal sera Agat Films & Cie et la réalisatrice Sarah Saidan, connue pour son court-métrage Beach flags à propos des nageuses-sauveteuses iraniennes et qui abordait déjà des questions liées à la place et au droit des femmes dans la société.

Pénélope Bagieu est l’une des auteures dont les albums se vendent le plus en France. Sa série Joséphine a notamment été adaptée au cinéma en prise de vues réelles. Culottées est née d’un blogue alors qu’une polémique faisait rage en 2016 lorsque le festival de la BD d’Angoulême n’avait inclus aucune femme dans la liste des primés possibles pour le grand prix – qui récompense un auteur pour sa carrière.  Elle a donc dessiné sur une page, à raison d’un part semaine, des portraits de femmes célèbres ou méconnues qui ont marqué leur époque. Les droits du blog ont été acquis par la maison d’édition Gallimard, 300 000 exemplaires de la bande dessinée ont depuis été écoulés et des traductions sont prévues dans les principales langues européennes ainsi qu’en chinois ou en coréen.

On y trouve, pêle-mêle, Joséphine Baker, Sonita Alizadeh, Nellie Bly, les Shaggs, Tove Jansson, Temple Grandin, Naziq Al-Abid, Leyma Gbowee, Peggy Guggenheim, Wu Zetian, Marie Curie, et de nombreuses autres. L’un des intérêts du projet porte ainsi sur sa réelle dimension internationale. En adaptant les histoires courtes dessinées par Pénélope Bagieu, Sarah Saidan poursuit le même esprit que son film court. Pour le moment une trentaine d’épisodes d’environ 3 minutes sont prévus.

Les histoires pourront parfois être dures tout en restant accessibles à un large public. Il s’agit de brasser en un minimum de temps les événements marquant de la vie entière de la protagoniste de l’épisode avec souvent une bonne dose d’humour, le tout narré par une voix-off. La série sera réalisée en 2D flash dans une animation de type UPA mais dans un style plus contemporain. Esthétiquement, chaque épisode reposera sur une couleur qui correspondra à la personnalité de l’héroïne. Si France TV est sur le coup et que la série pourrait être livrée dès 2018, le budget de 1,6 millions d’euros n’est pas encore totalement bouclé et des coproducteurs et préventes à l’international seraient les bienvenus.

Si on avait déjà eu vent des projets d’Amélie Harrault et de Sarah Saidan, la véritable surprise de la journée est venue de Mr. Passenger qu’on allait voir par hasard, sans rien attendre. Si certaines séries peuvent bouleverser les codes attendues des séries TV, celle-ci en fait clairement partie et c’est pour ça qu’on craint l’immense frustration de ne jamais la voir aboutir. Certaines chaines en dehors du Portugal seront-elles assez audacieuses pour investir dans le projet ? On ne peut que l’espérer. En attendant, revenons un peu plus en détail sur celui-ci.

L’idée est d’abord de stimuler la curiosité en proposant un concept de série semi-abstraite pour les plus petits. Ils pénètreront, avec des personnages étonnants et non genrés, dans des décors proches des toiles de Miro ou de Kandinsky, dans un monde totalement imaginaire façonné par de grandes questions comme Le Temps, Les Formes, La Lumière ou Les Couleurs, qui donnent leur titre aux quatre premiers épisodes. On est enfin en présence d’une série qui ne vise pas une pédagogie aussi stérile que moraliste à outrance – ce que les parents apprécient davantage que les enfants qui, il ne faut pas se voiler la face, ne retirent guère de leçon de ce qu’ils voient. Interrogez un enfant de quatre ans de vous raconter un film, vous vous demanderez juste s’il a vu la même chose que vous.

Exit donc le superflu, les bons sentiments, l’approche ultra-réaliste, le mignon-moche (ou inversersement) et le didactisme plombant. Place à un imaginaire pictural élargi sous la houlette de Monsieur Passager, une silhouette sombre et orange aux gros yeux, aux contours fluides, au visage invisible et coiffé d’un grand chapeau. Il va vivre des aventures dans un monde où les formes sont reconnaissables sans être trop définies et en appellent à chaque fois de nouvelles. Son principal acolyte sera un oiseau-signe, personnage mystérieux qui apparait et disparait sans prévenir et apporte des solutions pratiques là où le héros ne jure que par une action pure.

Si l’animation des personnages sera réalisée en 3D, l’inscription sur des décors 2D sans profondeur, sans perspective et composés de larges aplats de couleurs, est convaincante. Les références sont intéressantes et bien mises en valeur. En outre, l’extrême fluidité du personnage est idéale par rapport au dynamisme des décors. Pour le producteur, l’objectif est d’abord de permettre aux enfants de questionner le monde librement, de poser des questions de façon poétique et de stimuler la curiosité. D’après le teaser et l’ouvrage déjà existant, qui sert de story-board au premier épisode, c’est réussi.

Les épisodes ne seront pas longs, cinq minutes au plus, de quoi capter l’attention sans la perdre en cours de route. 26 sont prévus pour le moment. La réalisation sera confiée à Zepe, animateur et enseignant portugais déjà auteur de nombreux courts-métrages dont un intéressant Candide. C’est AIM qui produit. Une version en réalité virtuelle, qu’on a également hâte de voir, est prévue, le studio étant un des pionniers au Portugal dans ce domaine. L’ensemble devrait couter 950 000 euros dont 65% pourraient être trouvés au Portugal. L’équipe cherche encore des coproductions internationales, des acheteurs TV et des distributeurs. A vos portefeuilles !

Au programme de demain, pour le dernier jour, la difficile survie de l’espèce humaine, une bande de gosses en Côte-d’Ivoire, le Londres victorien et quelques autres surprises.


14 septembre 2017