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Festivals

Cartoon forum 2017, jour 3 : Du bon, du mignon mais peu de nouveautés…

par Nicolas Thys

Alors que MEDIA, sous-programme de Creative Europe qui soutient le secteur audiovisuel européen, vient d’annoncer son nouveau plan pour l’animation, laissant augurer du meilleur, cette édition 2017 du Cartoon forum est désormais terminée. Le succès était au rendez-vous côté professionnel et nous avons pu assister à environ un tiers des 82 projets présentés. A l’image de ceux figurant dans notre second article, plusieurs titres sortent du lot mais beaucoup ne se contentent que de répéter des recettes éculées. En voici donc sept parmi les plus intéressants venus d’horizons multiples.

Ceux qu’on retiendra en premier lieu sont trois séries en animation traditionnelle destinées à des publics soit très jeunes soit ados/adultes. La Survie de l’espèce est français et tourné vers cette dernière catégorie de spectateurs. Il s’agit de l’adaptation de la bande-dessinée du même nom créée par Grégory Maklès et écrite par le philosophe/anthropologue Paul Jorion. Ce dernier est célèbre pour ses nombreux ouvrages et son blogue orienté économie. La BD et la série s’en inspirent pour décrire de manière noire et satirique la mécanique qui a conduit l’espèce humaine à sa perte.

Dans un univers post-apocalyptique, la dernière trace d’humanité est une tête dans un bocal qui va expliquer aux robots – nouveaux habitants de la planète – qui étaient les humains et pourquoi ils ont disparu. Les androïdes, curieux, en sont venus à créer un musée de l’homme dans un supermarché et c’est à partir de quelques jouets (Rahan, Jason, Monopoly…) que les histoires seront contées. On l’aura compris, l’ensemble n’est guère subtil mais l’objectif est tout autre. La caricature, souvent largement inspirée de la réalité, et l’animation grossière des figurines, permettra d’aborder en 4 minutes des sujets tels que les rapports de force dans l’entreprise, la hiérarchie sociale, l’ultralibéralisme ou le transhumanisme. Nul doute que beaucoup s’y retrouveront. Le budget prévu est de 1,1 million d’euros, soit 7 000 euros la minute, ce qui la rend plutôt bon marché. Xbo et Lardux à l’origine du projet cherchent des coproducteurs, diffuseurs et distributeurs.

Doopie et Mister Paper sont, quant-à-eux, des projets belges et néerlandais plutôt destinés aux très jeunes enfants, entre 3 et 6 ans. Dans la première, une peluche de laine orange et bleue nommée Doopie et vivant sur l’étagère d’une boutique sera animée dans un environnement réel. Ni animale ni humaine, elle interagira dans chaque épisode avec un enfant différent d’environ 5 ans confronté à un problème du quotidien. L’objectif est de retranscrire l’expérience des jeunes enfants et leur façon de découvrir le monde. Un peu comme dans L’Odyssée de Schooom, les auteurs jouent sur un côté « ultra mignon » qui ravira probablement les parents. Emma de Swaef et Marc James Roels, qu’on connait pour le court-métrage Oh Willy, devraient être les directeurs artistiques. Submarine et Walking the dog produiront la série et cherchent encore des coproducteurs et des TV.

Mister Paper est un projet dans lequel un homme en papier, joyeux et à l’esprit assez enfantin, vit avec son chat violet dans un monde de papier et règle de nombreux problèmes à l’aide d’une paire de ciseaux et d’une bonne dose d’imagination. Et l’excellente idée est de laisser tomber l’ordinateur pour faire des épisodes entièrement en papier découpé. On quitte donc le volume pour revenir dans un univers en 2D ou plutôt en « 2,5D » selon les créateurs puisqu’on devrait voir le protagoniste parfois se soulever légèrement comme lorsqu’il marche. Nous avons pu voir un premier pilote de 5 minutes dans lequel l’homme crée un chien en papier pour aller se promener dans la forêt. Si le rythme est assez calme, l’ensemble est beau et fonctionne bien. Dans les autres épisodes, on le verra aller dormir, boire du lait ou se soigner : des actions simples mais parsemées d’embuches et de gags. Le budget prévu est de 1,9 millions d’euros et là encore, diffuseurs ou coproducteurs sont les bienvenus.

Il est intéressant de constater à quel point, pour une partie de l’industrie télévisée aujourd’hui, la stop-motion semble d’abord destinée aux moins de 6 ans et au plus de 12 ans. Comme si la réalité inhérente à ces techniques était incompatible avec l’univers des enfants d’une certaine tranche d’âge ou nécessaire aux plus petits ou aux plus âgés pour apprécier l’animation. Avec cette différence entre eux que tout devrait être laid et grossier pour les grands et naïf ou mignon pour les plus jeunes. Pourquoi ? On ne se risquera pas à fournir une explication.

 

Parmi les autres idées de séries, figurent également deux spéciaux de 26 minutes pour les tous petits, qui pourront facilement trouver une place au cinéma dans des programmes de courts-métrages. Tout d’abord Zibilla, un projet belgo-suisse pour les moins de six ans emmené par La Boîte,… productions et Nadasdy Films. Les auteurs en charge du projet sont Isabelle Favez à la réalisation et au scénario et Pierre-Luc Granjon qui l’accompagnera dans l’écriture. Ce sera l’histoire d’une petite zèbre qui, après avoir perdu ses parents, sera adoptée par des chevaux. Elle sera quelque peu chahutée par ses camarades de classe qui n’ont jamais vu un équidé avec des rayures. Le récit tournera donc autour des questions d’acceptation et de différence avec pas mal d’aventures, notamment dans un cirque où un lion s’est échappé. Le film, réalisé en 2D numérique, est classique mais semble bien écrit et disposera de deux versions en français et en allemand.

Le second, Mimi & Lisa, est développé entre la Slovaquie et la République Tchèque. Les petites filles, deux meilleures amies dont l’une est aveugle et responsable alors que l’autre est plus aventureuse et téméraire, s’envolent dans un monde imaginaire et onirique qui a l’air, d’après les premières images, aussi fantastique que celui d’Alice. Les deux héroïnes sont déjà connues en Europe puisque des livres, très populaires dans leur pays d’origine, existent déjà, ainsi qu’une série TV – dont plusieurs épisodes ont été mis bout à bout et sortis au cinéma en France en 2016. L’histoire développée cette fois se déroulera à Noël. Un de leur voisin s’est accaparé toutes les lumières festives et les fillettes reviendront dans le temps à l’aide d’Ella, une petite lumière, qui leur montrera à quel point l’homme est malheureux. Elles iront donc l’aider. On l’aura deviné, le projet est destiné aux 8 ans et moins et l’intérêt est d’abord graphique.

 

Enfin, les trois derniers projets sont des adaptations de BD destinées aux 6 – 11 ans. Après Aya de Yopougon, beaucoup plus adulte et dont la BD était une véritable réussite, Marguerite Abouet revient avec Akissi, inspiré de sa jeunesse dans un quartier de Côte d’Ivoire. On retrouve le style direct, brut et amusant des histoires que l’auteure raconte. Contrairement à Aya, l’adaptation devrait être fidèle et ne rien dénaturer de l’œuvre originale puisque les albums d’Akissi – vendus à plus de 115 000 exemplaires en France – contiennent chacun 7 histoires courtes de quelques pages et que la série devrait être constituée de 78 épisodes de 7 minutes. GHWA, une nouvelle société venue du Nord de la France, sera le producteur. L’objectif est de poser un regard différent sur l’Afrique, de raconter des souvenirs heureux qui pourront également paraitre surprenants, sans préjugé ni complexe quant au dessin ou aux récits. La série, qui se veut atypique, décrira la vie de plusieurs enfants qui font les 400 coups avec leurs magouilles, leurs disputes, leurs histoires d’amour, etc. La bande originale fera intervenir Bibi Tanga, Rokia Traoré ou encore Matthieu Chedid. Evidemment, l’animation sera faite dans une 2D respectueuse du trait de Mathieu Sapin, le concepteur graphique. Le projet, qui a l’air d’intéresser France télévision, devrait couter environ 7 millions d’euros mais, une fois n’est pas coutume, télévisions et coproductions sont recherchées pour le mener à bien.

En présentant Les Quatre de Baker street, la production a commencé par rappeler le très grand nombre d’adaptation de Sherlock Holmes sur les petits et grands écrans depuis les débuts du cinéma. Et effectivement, même si la série se concentre sur trois enfants et un chat dans les bas-fonds d’un Londres victorien qui aident le détective dans ses aventures, on a un peu l’impression d’avoir juste assisté à la présentation une adaptation indirecte supplémentaire. Pour les financiers, l’intérêt est que l’univers est déjà connu et plus facile à vendre. Le spectateur, quant à lui, retrouvera les créations de David Etien dans des histoires inédites. Côté technique, les personnages en 3D rendu 2D se détacheront sur un décor en 2D afin de coller aux codes de la BD. Toutefois le format du projet, 12 épisodes de 26 minutes, est ambitieux et on est curieux de ce à quoi pourrait ressembler le résultat final. Folivari et Blue spirit productions cherchent encore diffuseurs et coproducteurs pour cette série à 4,5 millions d’euros.

Enfin, le dernier projet, produit par 99% animation, est plus pédagogique et original. Le Monde étrange et merveilleux de Tatsu Nagata met en scène, comme son titre l’indique, Tatsu Nagata. Il serait un important scientifique japonais, vulgarisateur pour enfants et auteur de nombreux ouvrages sur ses voyages et expériences mais, bizarrement nul ne l’a rencontré et il est impossible à contacter ! Cependant, Thierry Dedieu a tiré des bandes-dessinées des aventures du chercheur nippon qui sont actuellement les meilleures ventes jeunesse des éditions du Seuil. La série a été présentée comme mêlant comédie, aventures et sciences naturelles : une bonne manière donc de faire entrer un jeune public de 5 à 11 ans dans des univers différents. Patrick Imbert, qu’on connait pour son travail sur Le Grand méchant renard avec Benjamin Renner, pourrait en être le réalisateur. Tout sera dessiné et conçu dans l’esprit de la BD dans une 2D plus simple et dynamique. Le protagoniste – qui peut grandir ou rétrécir à volonté – sera accompagné de sa nièce, une petite fille calme et ingénieuse. Ils nous feront découvrir des animaux, des plus célèbres (dromadaire, moustique ou raie) aux moins connus (pyrrhocores) dans des épisodes d’environ 7 minutes. Un autre type de personnage, qui s’apparentera à un lanceur d’alerte, interviendra pour nous informer de la menace de disparition de tel ou tel animal. La série devrait couter environ 4 millions d’euros et les producteurs cherchent également diffuseurs et ventes internationales.

Si l’avenir ne semble pas trop mauvais pour l’industrie de l’animation, nos véritables interrogations sont : les créations originales et différentes seront-elles privilégiées ? Ou l’argent servira-t-il d’abord à créer des variations sur des programmes déjà connus ? Si nous avons notre petite idée sur la question, la réponse définitive ne sera connue que dans les années à venir. Et il ne reste qu’à espérer que l’audace et l’imagination remporte la bataille.

Désormais, le prochain rendez-vous sera l’édition 2018 de Cartoon Movie début mars pour faire le point sur les projets de longs-métrages animés, avec peut-être quelques nouvelles de ceux présentés les années précédentes. On vient d’apprendre qu’elles sont déjà bonnes pour Another day of life de Damian Nenow et Raul de la Fuente pitché en 2016 et tiré de l’ouvrage du grand reporter polonais Ryszard Kapuściński sur la guerre en Angola ! Difficile de savoir si la Pologne, à l’honneur pendant le Cartoon forum, finalisera ses séries, mais l’avenir semble plutôt radieux du côté des longs-métrages ados/adultes si l’on ajoute Loving Vincent de Dorota Kobiela et Hugh Welchman qui sort bientôt sur les écrans.


17 septembre 2017