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Festivals

Cartoon Forum 2018 – Jour 1 : Présentation et Premiers projets

par Nicolas Thys

Six mois après la dernière édition du Cartoon movie à Bordeaux, forum de coproduction consacré aux longs-métrages d’animation, voilà le retour à Toulouse du Cartoon forum pour la 7ème année consécutive. Cet événement, destiné à favoriser les coproductions de séries TV animées, a été créé en 1990 et sa fréquentation ne cesse d’augmenter, dépassant en 2018 les 900 accrédités (essentiellement acheteurs, producteurs, diffuseurs…). Cette année, ce sont 83 pitchs de séries, avant tout européennes mais qui tendent à s’ouvrir – le Canada est présent sur 7 projets contre 0 en 2017 – qui défileront pendant trois jours dans des présentations d’une vingtaine de minutes.

 

On en profite pour voir où en sont certains projets présentés les années précédentes et savoir ce que nos petits écrans nous réservent pour les années à venir… sans oublier qu’un projet sur deux environ voit le jour, d’où certaines frustrations d’autant que ce ne sont pas toujours les plus intéressants qui sont financés. Mais c’est également l’occasion de prendre le pouls d’un marché à la fois en pleine croissance mais dont les tensions sont parfois palpables, notamment en France alors qu’elle truste encore le haut du podium avec 30 projets proposés.

Tout le monde, sans savoir quoi en penser, semblait avoir sur les lèvres deux mots : France 4 et Netflix. Petit rappel des faits : début juin, le gouvernement a acté la fermeture de France 4, chaîne de télévision publique dédiée à la jeunesse, qui finance en grande partie la création TV en animation. Pendant que tout le monde se félicite de la portée de l’animation en France, cette disparition pourrait aisément contribuer à freiner une industrie en plein essor et porteuse d’emplois. D’autant que Canal +, autre grande chaine qui finance le cinéma et la télévision, est bien mal en point. Le gouvernement a beau tenté d’apaiser les esprits, nul n’est dupe et les précautions oratoires diplomatiques ne masquent pas une réalité qui n’augure pas le meilleur. Ceci met en valeur un nouvel arrivant qui prend de plus en plus de place : Netflix, qui s’intéresse à de nombreuses séries pour mettre en valeur sa plateforme. Logique diront beaucoup et cela ne serait pas problématique si elle avait un minimum de concurrence sérieuse et nulle velléité de formatage – problème déjà énorme et dont on n’envisage moins encore maintenant la résolution.

Les bouches ne se délient pas vraiment, l’ambiance étant propice aux achats et aux rencontres plus qu’aux scandales et à leur résolution. D’ailleurs, pour les journalistes, s’entretenir avec les nouveaux acteurs de la télévision en SVOD semble compliqué.

Cette année le Forum avait commencé légèrement en avance avec, dès lundi après-midi, quelque peu en marge de l’événement, une rencontre pour savoir comment coproduire entre la France et l’Allemagne avec notamment une présentation des marchés et des moyens de coproduire entre les deux pays, que ce soit dans la série animée ou le long-métrage. Si l’ensemble n’intéressera que ces deux acteurs, on notera un point intéressant : l’annonce d’une aide plus importante du CNC dès 2019 pour soutenir le long-métrage animé, aide jusque-là réduite, notamment par rapport aux films en prise de vues réelles. Et la volonté, toujours importante, de faire des coproductions !

 

Si, à première vue, le cru 2018 ne semblait pas aussi intéressant que celui de l’année passée, il n’en est rien une fois qu’on approfondit un peu le programme. Premier constat cette année : le nombre d’adaptations de bande-dessinées ou de livres illustrés pour la jeunesse est encore important. A croire que les idées originales disparaissent de plus en plus de la TV et qu’il faut d’abord tester les produits ailleurs avant de les proposer sur le petit écran – et malheureusement souvent en les aseptisant.

Deuxième élément notable qu’on voit poindre depuis deux ans : les cinéastes connus dans le court-métrage continuent à vouloir faire de la série. C’est le cas d’Augusto Zanovello (Lettre de femmes) qui cherche à produire une série sur Komaneko, le fameux chat curieux japonais, avec son studio d’animation stop-motion, Komadoli, en coproduction avec les japonais de Dwarf. Héros de cinq courts-métrages réunis en un long en 2006, Komaneko sera pour l’occasion quelque peu « modernisé » au niveau des couleurs et du design, peut-être à cause de l’intérêt que porte Amazon au projet. S’il sera toujours le chat en peluche qu’on connait, il parlera et sera entouré de plus de personnages secondaires. Il glorifie toujours la créativité et la générosité ainsi que le fait main en poussant les enfants à « se construire en construisant eux-mêmes » comme l’indiquait l’équipe de production présente. On demande à voir, mais la modernisation, tellement plus pro, ôte déjà au personnage une part de son côté enfantin !

Adossé à Donc voilà et Silex films, Joris Clerté et Pierre-Emmanuel Lyet (La Nuit américaine d’Angélique) adapteront les Qui quoi. Cette série pour les 5-8 ans, coécrite par Laurent Rivelaygue et Olivier Tallec et issue de leurs livres, promet beaucoup. Elle met en scène 6 personnages, animaux et humains, garçons et filles, dans un univers blanc qui laisse place à l’imaginaire et aux inventions. L’ouverture est toujours lancée par Olive qui, à l’aide d’un crayon magique, dessine quelque chose qui devient l’entrée vers un monde complet et des promesses d’aventures. Il suffit qu’il trace un arbre pour que le groupe puisse pénétrer une forêt par exemple. Chaque personnage est construit comme un archétype : l’intellectuel, le râleur, l’indécise, la courageuse… Une aventure correspond à un problème enfantin que le groupe d’amis devra résoudre : avoir un chien alors que les parents n’en veulent pas, déménager quand on veut rester dans sa maison, se protéger du soleil quand il fait trop chaud… Mais à chaque fois, ils le feront de façon inattendue et originale. L’ensemble devrait couter 2,8 millions d’euros, et des coproducteurs ou acheteurs sont les bienvenus. En tout cas, le concept donne envie d’en voir plus.

 

Enfin, dernier point notable : le nombre assez stable de spéciaux TV de 26 minutes. Ils étaient 7 en 2017, ils sont 8 cette année. Cependant, trois d’entre eux sont des projets de jeunes cinéastes issus qui font leurs armes dans ce format « intermédiaire » – 26 minutes c’est long pour un simple court-métrage animé et le long-métrage est peut-être compliqué à monter pour débuter. C’est le cas de Tufo de Victoria Musci, sortie de la Poudrière et dont on avait vu Giggino ‘o bello, son court-métrage de fin d’études, en 2016, de Noah’s tree, porté par Peter Vacz, auteur de Rabbit and Deer, court-métrage qui avait fait le tour des festivals en 2014, ou de Mum is pouring rain d’Hugo de Faucompret, issu des Gobelins, auteur d’un très bel épisode d’En sortant de l’école, et dont on connait bien les clips. C’est à se demander si ce ne sont pas des courts-métrages déguisés en productions TV.

 

Bien sûr, les éternels gros studios sont présents avec pléthore de séries : Xilam montrera Tiny bad wolf, du papier découpé en 3D et une histoire amusante sur un loup gentil qui se prend pour un héros de conte, Blue Spirit proposera une nouvelle adaptation des Borrowers qui promet d’être visuellement belle, Cyber Group sera là avec un projet dont on préfère taire jusqu’au titre, Bayard ressuscitera Samsam avec Folivari, ce qui n’était pas forcément utile.

D’autres, plus indépendants arrivent ou reviennent. C’est notamment le cas de Kazak productions, plus connu dans le monde du live et qui en animation avait jusqu’ici produit les courts de Gabriel Harel (Yul et le serpent et La Nuit des sacs plastiques) et le dernier film de Jean-Charles Mbotti-Malolo, Make it soul. Le studio est venu présenter Selfish, une série destinée aux ados/adultes autour de l’addiction aux nouvelles technologies et notamment au « shellphone » qui envahissent chaque facette de notre existence. La série est chorale et, dans chaque épisode de 2min30, on retrouvera au moins deux des protagonistes : quatre générations, quatre milieux sociaux, quatre formes d’addiction chez deux femmes et deux hommes. Lucie est un hippocampe lesbien de 21 ans qui livre de la nourriture commandée via une application. Elle fait du rap et espère sortir d’un quotidien pourri, mais ce n’est pas gagné. Raymond est une sole geek de 28 ans qui répare les téléphones et cherche l’amour sur Fishbook mais sa frustration l’amène à troller sur des forums. Gisèle a 39 ans, c’est un requin qui présente les news sur Sharknews. Elle est accroc aux réseau sociaux où elle promeut son image et essaye de retrouver un capital jeunesse perdu depuis que la TV passe de mode. Maurice est une baleine, père de famille de 55 ans et banquier. Il passe son temps sur des sites pornos de poisson et poste sa vie en ligne, notamment ses randonnées naturistes dont personne ne connait l’existence. L’ensemble sera déployé en 52 épisodes et devrait couter 1 million d’euros. Vu l’engouement à la sortie de la salle, on espère qu’elle verra le jour mais des coproducteurs sont toujours bienvenus !

 

Au rayon des improbables, entouré de projets qui sentent le déjà-vu, on s’arrêtera sur une série serbe qui, si elle se fait, promet d’être surprenante. En introduction de Rabbit from a tin hat, les auteurs et producteurs expliquaient que l’ex-Yougoslavie, en même temps qu’elle se découpait violement dans les années 1990 pour devenir un grand nombre de petits pays, s’est dotée d’un certain nombre d’étranges magazines liés à la parapsychologie avec des sujets plus bizarres les uns que les autres. En retrouvant ces magazines, ils ont eu l’idée de parler d’un sujet peu connu, sous forme de documentaire animé : l’utilisation de l’ésotérisme et de la parapsychologie en temps de guerre ou de crise internationale dans différents pays et essentiellement au 20ème siècle. C’est ainsi qu’on croisera des chercheurs de mines au Vietnam avec leurs bâtons de sourcier, l’astrologue officiel du 3ème Reich ou le projet « stargate », et ainsi de suite sur une douzaine d’épisodes pour le moment. Chacun devrait suivre un individu en particulier alors qu’un narrateur introduira le contexte et on y croisera de nombreux personnages historiques. Le réalisateur voudrait utiliser le noir et blanc et quelques couleurs pour amplifier les moments « magiques » et des photocollages sur lesquels on aura peint en 2D pour les décors. Le projet, pas très cher : 320 000 euros, soit moins de 2000 euros la minute, a déjà remporté un prix du meilleur pitch au forum de Visegrad à Trebon en 2018. Et on lui souhaite le meilleur.

 

Demain, on parlera davantage des spéciaux TV et on s’arrêtera sur trois projets québécois : Jax – Merlin’s lineage, une horreur qui pourrait intéresser Netflix, Le Facteur de l’espace, projet sympathique issu d’une BD publiée à La Pastèque par Guillaume Perreault, et Woolly Woolly, une série en laine pour les plus petits.


12 septembre 2018