Cartoon Forum 2019 : Fantastiques projets
par Nicolas Thys
Cette 30èmeédition du Cartoon forum bat son plein depuis deux jours et surprend par une présence en salle qui semble atteindre des records. D’année en année, le nombre de participants augmente et devrait avoir largement dépassé la barre des 1000, au point qu’il est difficile parfois d’être assis pour écouter les pitchs car les sièges viennent à manquer. C’est également le signe d’un engouement pour certaines séries dont il est difficile d’imaginer que les chaînes ou plateformes puissent passer à côté.
Autre signe plus étonnant, certaines séries n’hésitent pas à présenter des budgets importants. Pour ce type de programme, en plus du cout total, il est d’usage de donner le coût à la minute, qui permet de comparer les différents projets. Si la moyenne tourne souvent autour de 10 000 euros la minute, ce qui semble assez similaire aux années précédentes, certains vont jusque 30 000 euros la minute. A voir ces prix, en apparence surprenants, il est possible de se demander si les producteurs ne visent pas directement Netflix & Co. qui sont habitués aux tarifs élevés pour produire des séries de qualité – qu’ils stoppent parfois n’importe comment aussi…
L’exemple type serait Le Collège noir, réalisé par Ulysse Malassagne et porté par Milan, Bayard et La Cachette. Ce studio parisien fondé par d’anciens des Gobelins – Malassagne entre autre – dont le nom ne dira probablement rien au grand public, s’est illustré ces dernières années sur des productions comme Mune pour le long métrage et, pour la série, Love, Death and Robots, diffusé par Netflix ou l’attendu Primal de Genndy Tartakovsky pour Cartoon Network.
Projet ambitieux, il s’agit pour le cinéaste de mêler réel et fiction en adaptant ses propres bandes dessinées parues d’abord dans Géo ado puis en trois albums. Il y raconte, sur un ton horrifique et fantastique autant qu’humoristique, ses années collèges dans un internat perdu dans le Cantal où, à part forêts, ruines et grottes, peu de choses étaient à disposition. Sauf une cohorte de démons venus perturber les quelques ados restants pendant les vacances et sous le coup d’une malédiction.
L’ensemble, semi-feuilletonnant, a été annoncé sur 26 épisodes de 11 minutes et devrait suivre dans chaque épisode une aventure spécifique à l’un des cinq héros ainsi que l’évolution globale des personnages jusqu’à la fin de la malédiction. Les protagonistes seront composés de trois garçons : Ulysse, plus affirmé et avec une grande soif d’aventures, Krum, bougon, terre à terre et plutôt fier, et Ouss, un geek pragmatique, très attiré per les nouvelles technologiques et le travail bien fait, et deux filles : Steph, sérieuse et indépendante mais sujette aux doutes avec des hauts et des bas, et Mei, spirituelle et naïve, qui croit tout ce qu’on lui raconte. Les ados seront assistés par une surveillante un peu punk, qui a dû affronter les ténèbres dans sa jeunesse et passe son temps à réparer sa moto.
Les auteurs visent donc un univers sombre, fondé sur le folklore français avec Korrigan, Dahu, Goules, Bérane, Croque-mitaine et autres, tout en restant dans la chronique ados et l’humour. La musique aussi aura son rôle dans les atmosphères avec vielle, cornemuse et autres instruments typiques utilisés. Parmi les influences graphiques, les auteurs ont cité Kitaro de Mizuki ou Hellboy tout en voulant un univers qui n’hésite pas à aller vers le sérieux à la manière de Don Bluth.
Il faut espérer qu’elle sera financée, et vu les 25 000 à 30 000 euros minutes demandées, il est légitime de se demander qui pourra le faire en dehors des services SVOD à l’international ?
Avec un esprit encore plus délirant et se déroulant dans un coin tout aussi perdu, mais demandant un budget bien moindre, Doppelgänger, en avant le futur ! est un projet qui marque les esprits. Produite par Amopix, la série sera réalisée par Louise Cailliez, une ancienne de la poudrière dont on pourra revoir le film de fin d’études ici, pour avoir une idée du ton. Elle a commencé sa présentation par une suite de gros mots destinés à décourager une partie de la profession : Ados-Adultes, gouache et papier découpé et feuilletonnant. Il ne reste qu’à espérer que l’autre partie réponde favorablement car c’est un des projets qui mériterait le plus d’aboutir tant la proposition est originale. Loin des séries sarcastiques et trash pour les plus grands, elle s’amuse sur le thème du double dans une comédie fantastique à l’univers particulier qui pourrait faire penser, esthétiquement à l’Alphonse s’égare du duo Gréco/Buffat ou aux films de Morgane Le Péchon (ici et là), également issue de la Poudrière… ce qui n’est pas surprenant puisque cette dernière sera la directrice artistique du projet !
Lors d’un été caniculaire, d’étranges personnages font irruptions à Achigan-Beauval (il sera donc questions de rivière et de sa faune aquatique) : les doubles physiques des habitants, et leurs parfaits opposés au niveau de la personnalité. Pourtant ce village imaginaire qui devrait ressembler à ceux que chacun connait, n’avait rien pour se démarquer avec son usine, son restaurant de « hot fish » (les chiens anglais étant remplacés par des poissons), son clocher, ses commères, ses habitants qui croient tous se connaitre et son bar. D’où viennent ces doubles ? Pourquoi sont-ils là ? Pourquoi le premier, Gildas le dégueulasse, est-il le portrait de Roland, dont la femme a disparu et qui s’imagine agent du gouvernement ? Complot extra-terrestre, monde parallèle, composants chimiques… tout est possible. Isaac, ado de 13 ans parano et boutonneux et fils de Roland, ainsi que Johan, du même âge, malin mais complètement mythomane, vont se charger de l’enquête. Elle les amènera à croiser une galerie de personnages aussi grotesques et absurdes qu’amusants ainsi que leurs propres doubles qui ne vont rien arranger jusqu’au grand jour de la fameuse fête de la courge où tout sera révélé.
La série devrait faire neuf épisodes d’une dizaine de minutes, le tout pour un million d’euros soit 11 000 euros la minute. Chaque épisode relatera une journée des protagonistes et de leur vie parmi les achigan-beauvalois (?) déboussolés. Ils se dérouleront en quasi huis-clos dans un le village et ses alentours, pensé comme réaliste mais en rupture totale avec l’ordre naturel des choses. Le dessin sera volontairement crade, lâché et coloré avec une animation plutôt minimaliste. Cette comédie atypique oscillera entre le cinéma d’auteur et le mainstream. Le studio est soutenu par deux régions et le CNC et cherche diffuseurs, dialoguistes et coproducteurs.
Deux autres projets, plutôt désaxés par rapport à la production habituelle en animation TV en Europe, méritaient le coup d’œil. Claudy qui vient de chez Miyu et Galaxy camp présenté par Autour de minuit.
Claudy montre à quel point le studio, essentiellement connu pour ses courts métrages d’auteur, et actuellement en production pour son premier long, Blind willow, sleeping woman de Peter Foldès, adapté de Murakami, sait se renouveler. L’univers proposé est bien différent de ce à quoi ils avaient pu nous habituer, plus proche d’une ambiance Cartoon Network et avec quelques influences qu’on peut situer quelque part entre Bob l’éponge et Adventure time.
A l’inverse de Bob, Claudy est une créature qui vit au-dessus des nuages comme toutes celles qui gèrent la climatologie terrestre sous la garde de la Reine, leur mère à tous. Différentes escouades sont responsables de la neige, de la pluie ou des orages. Cependant, et en dépit de son nuage sur la tête, Claudy peine à trouver sa vocation. Positif, idéaliste, il aime la paix, l’harmonie mais c’est aussi un générateur de gaffes. Il est accompagné de Flash, son meilleur ami, un éclair dandy, hyperactif et quelque peu bipolaire. D’autres personnages haut en couleurs, comme le reste de la série au design aussi chatoyant que kitsch et amusant, accompagneront les deux héros comme Papy Willy, un gratte-ciel vantard, une montagne prof de Yoga, les trois commères de l’espace, des satellites ou le fameux Magicien Douze, un humain manipulateur et capitaliste prêt à dérégler le temps afin de vendre les pires gadgets du monde. Dans les épisodes, un détail insignifiant donnera souvent lieu à une situation improbable et amusante avec quelques problèmes à résoudre.
La série, destinée au 6-11 ans sera réalisée par Luce Côte-Colisson – qui a un joli site internet (ici) sur lequel Didier Super côtoie Schlass – et Lucie Rouxel, deux anciennes étudiantes de La Cambre en Belgique. L’ensemble sera forcément décapant et absurde, pourvu d’un graphisme rond et multicolore et devrait comporter 52 épisodes de 11 minutes. Elles sont à la recherche de diffuseurs et cela nous ferait plaisir qu’elles en trouvent !
Galaxy camp sera produite par Autour de minuit et réalisé par Christophe Gautry. Graphiquement assez loin des séries, courts et longs métrages d’Autour de Minuit, elle n’en reste pas moins décalée et amusante. L’idée est amusante : un camping, un astéroïde, des parents avalés par un trou noir en allant faire des courses, du funk et des enfants qui doivent tout organiser. Ils sont trois : Emily Watt, une ado geek et ultra connectée, son frère Dave, 8 ans, volontaire et toujours prêt à résoudre les tracas des campeurs (et à en créer d’autres) et son correspondant végétal venu d’une galaxie lointaine : Batavian. Ils seront aidés dans la gestion du camping par un vieux robot cuistot, Frosty qui adore la cuisine japonaise et un « chien » russe retrouvé dans une navette, Laïka.
Autour d’eux, voguant dans des univers à la fois connus mais renouvelés, des sanitaires possiblement hantés, une piscine anti-gravité vétuste, la Zone 51, une plage et un resto-snack-sushi, les personnages secondaires ont également l’air farfelus. Le réalisateur présente sa série comme un mélange de Star Wars, Home alone, Camping et les Goonies auxquels on aurait ajouté une jolie touche d’ironie. Chaque épisode sera motivé par des enjeux liés aux enfants et à leur vie au camp et d’autres liés aux touristes. Sans grand méchant, la série fera la part belle aux relations frères/sœurs et à leurs disputes qui seront le moteur comique. La série devrait couter 6,5 millions d’euros pour 52 épisodes de 13 minutes, soit environ 10 000 euros/minute. Ils cherchent également diffuseurs, vendeurs et coproducteurs. Et si TF1 pouvait remplacer son Camping paradis par celui-là, cela donnerait peut-être envie de regarder à nouveau la télévision.
Demain, nous reviendrons sur le Cartoon Forum avec Some of us, Sex Symbols, Lutte(s), Mousse et Bichon, Dounia et quelques autres…
19 septembre 2019