Cartoon movie 2017 – Conclusion et derniers projets.
par Nicolas Thys
Cette 19ème édition de Cartoon movie a été un joli succès avec ses 850 participants et un nombre de bons projets en hausse. Il ne reste plus qu’à espérer maintenant que les films parviennent à trouver des financements pour voir le jour. Mais aussi des distributeurs pour les accompagner comme ils le méritent. A l’heure où on commence à observer une plus grande diversité dans les sorties en salles en animation, parfois avec un box-office des plus honorables, il ne s’agit pas de s’arrêter en si bon chemin. L’animation européenne possède des spécificités et des talents qu’elle doit continuer à cultiver sans chercher à imiter les grands studios hollywoodiens au budget aussi colossal que l’est le formatage des histoires qu’ils racontent. Et ce n’est qu’en sortant des films différents sur une longue durée qu’on parviendra à habituer les spectateurs à se déplacer pour aller voir en salle des productions animées moins lisses, plus personnelles, plus adultes également et sans forcément être obligé d’en passer par des personnages en CGI aux grands yeux.
Deux projets présentés et dont on attendait beaucoup ont d’ailleurs quelque peu déçu par rapport au point précédent. Panique Organique et Le Trésor de Morgaä ont ceci en commun qu’ils sont issus d’univers graphiques singuliers dont les caractéristiques font partie intégrante de ce que leurs auteurs transmettent. Les producteurs ont à chaque fois manifesté leur volonté de les transformer en CGI « totalement assumée » – pas de 3D rendu 2D – tout en conservant l’essence et la palette graphique des deux dessinateurs, Marion Montaigne pour le premier et Nicola Lemay pour le second. En gros, ils font le choix de modifier un univers entier en prétendant que cela sera aussi bien et que c’est la bonne solution. Mais non. Doublement non. Les résultats de transposition en images de synthèse qui ont été montrés n’étaient pas à la hauteur, surtout pour ces dessinateurs dont on connait les recherches visuelles. Ce qu’on a vu était terriblement moche, trahissait visuellement l’original en ne faisant que le déformer grossièrement, anonymisait l’ensemble dans une purée en CGI et il devenait alors impossible d’identifier leur style, ce qui est particulièrement désolant. Nul doute que cette 3D au rendu 2D, certes imparfaite, serait encore préférable. On s’en est encore aperçu pour Ethel & Ernest, dont on a pu voir un aperçu de 15 minutes. Ce film de Roger Mainwood produit par Lupus films, devrait sortir en Angleterre d’ici peu. Il est issu d’un roman de l’écrivain et illustrateur Raymond Briggs (When the wind blows) et raconte l’histoire d’une famille anglaise simple aux prises avec le 20ème siècle, celle de Briggs. Même si certains mouvements paraissent peu naturels et que certains détails peuvent légèrement faire tiquer, au moins l’univers graphique d’origine est globalement bien restitué et tout à fait identifiable.
Ce qu’on retient également de cette édition, ce sont ses portraits de femmes aux prises avec des problèmes contemporains ou figures importantes mais restées méconnues. On a déjà parlé de My Sunny maad de Michaela Pavlatova sur une occidentale à Kaboul. C’est également le cas du projet britanico-canadien Tangles de Leah Nelson, tiré quant à lui d’une bande-dessinée de Sarah Leavitt (traduite en français sous le titre Le Grand désordre aux éditions Steinkis). Il s’agit d’un récit documentaire de l’auteur du livre, entremêlant perplexité, drame et humour, sur la maladie d’Alzheimer que sa mère a eu à 55 ans et des effets que cela a eu sur la famille. Comme le livre, le film devrait être réalisé en 2D, en jouant essentiellement sur les lignes et leurs métamorphoses et avec l’ajout, par moment, de quelques couleurs. Toujours du côté documentaire, Awakening beauty de Manuel H. Martin sera un film espagnol et racontera l’histoire vraie de Bella, battue, mère de trois enfants, qui est parvenue à s’extraire de la domination de son mari pour créer un centre d’aide aux femmes en danger. On y retrouvera plusieurs personnages ayant réellement existés. Miss saturne ensuite poursuit dans le côté réaliste mais sort du documentaire. Cette production Prima Linea, issue d’un roman de Barbara Israël, racontera l’adolescence très 80’s de Clara, ado New Age qui sort beaucoup de le soir et tombe amoureux de la mauvaise personne. L’histoire a des airs de déjà-vu mais l’aspect graphique et les intentions de réalisation laissent présager un film fort. Enfin, du côté portrait d’artiste, Bibo Bergeron, le réalisateur d’Un monstre à Paris, quitte son registre habituel pour animer la vie de Charlotte Salomon dans un film plutôt ado/adulte sobrement intitulé Charlotte. Cette peintre allemande, décédée à 26 ans à Auschwitz, a eu le temps de peindre plusieurs centaines de toiles en quelques années après une sorte de révélation. Son parcours atypique a déjà eu droit à un documentaire, un roman et une exposition. Ce sera son premier biopic animé.
Enfin, si un autre thème est souvent revenu c’est celui des réfugiés ou des hommes aux prises avec la guerre. On a déjà parlé dans les précédents articles de La Sirène de Sepideh Farsi, The Tower de Mats Grorud, ou Josep d’Aurélien Froment. Ces thèmes sont également au cœur de The Red jungle de Juan Lozano et Zoltan Horvath, film qui devrait être réalisé en 2D et 3D, souvent à partir de véritables photographies retouchées. L’histoire est celle de Raul Reyes, membre des FARC en Colombie, révolutionnaire mort en 2008 et dont l’ordinateur a été retrouvé, avec de nombreuses lettres. C’est à partir de ces documents que le scénario a été écrit et il parlera de la vie, des combats et des illusions de cet homme dont les utopies se sont transformées en cauchemar. La question des réfugiées sera présente dans Two Caravans, projet en concept de Blue zoo, adapté du roman de Marina Lewycka sur le périple de deux migrants ukrainiens partis cueillir des fruits en Angleterre et de leur histoire d’amour naissante. Enfin, Flee, porté par le Danemark et la France, sera écrit et réalisé par le documentariste danois Johan Poher Rasmussen. Il abordera la question du trafic humain, des déboires bureaucratiques et des gens forcés de quitter leur pays d’origine en suivant le parcours d’un enfant qui grandira peu à peu.
Enfin, nous terminerons par un beau projet inclassable, l’adaptation d’un roman graphique espagnol de Fermín Solís intitulé : Buñuel in the labyrinth of turtles et paru en 2008. Le livre relate de façon romancée le tournage délicat et houleux de Terre sans pain (Las Hurdes), documentaire majeur de Luis Buñuel, tourné en 1932, qui a pu satisfaire ses ambitions marxiste et surréaliste. Le film n’a pu se faire qu’in extremis suite au scandale de L’Âge d’or et possède une histoire originale. Le cinéaste pressenti pour ce faux biopic, Salvador Simó Busom, spécialiste des effets visuels et enseignant au Danemark, cherche d’abord à raconter l’histoire d’une amitié forte entre Buñuel et le sculpteur Ramón Acín et du combat du réalisateur ibérique pour trouver son chemin à travers les difficultés. Buñuel in the labyrinth of turtles devrait être fait en 2D sur ordinateur, produit par Glow animation et Sygnatia et distribué par Latido. Le PDG de Latido, Antonio Saura – fils de Carlos – a raconté avoir bien connu Buñuel et entendu l’histoire du tournage de la bouche du cinéaste espagnol, d’où son envie de s’impliquer dans le projet. Un teaser et davantage de matériel devraient être prêts pour le marché Cannois.
Tous ces projets sont encore en recherche de financements et cherchent globalement des coproductions et ventes internationales. Notre attention aurait pu se porter sur certains autres titres mais il était impossible de tout voir. Maintenant, il ne reste plus qu’à espérer qu’ils avancent. Rendez-vous donc l’année prochaine !
13 mars 2017