Cartoon movie 2018 – A propos de cinq films terminés
par Nicolas Thys
Alors que la participation à cette 20ème édition du Cartoon movie atteint des records avec plus de 250 acheteurs internationaux présents, et que le secteur de l’animation en Europe affiche sa bonne santé et ses idéaux de coopérations internationales, revenons sur quelques films terminés. En effet, parmi les soixante projets présentés à Bordeaux, sept figurent dans la catégorie « Sneak preview », c’est-à-dire que le tournage et la post-production sont terminés et qu’ils sont bientôt prêts à arpenter les festivals ou à sortir en salles. Les producteurs viennent donc d’abord pour en montrer un quart d’heure en quête de distributeurs ou d’acheteurs internationaux. C’est l’occasion d’en choisir cinq, les derniers films auxquels Cartoon a pu apporter sa pierre et qui devraient arriver sur les écrans européens avant la fin de l’année.
Certains semblent en avoir terminé avec leurs recherches de diffuseurs, à l’image de Croc-Blanc, déjà acheté dans le monde entier et dont la sortie française est prévue le 28 mars. Le réalisateur, Alexandre Espigares, avait reçu un Oscar en 2014 pour son court-métrage d’animation Mr. Hublot. La présentation qu’on en a eue fût plutôt intéressante, sorte de making-of en live où les auteurs ont expliqué la conception 3D du film, les différentes couches de textures de la première modélisation brute au produit fini. La séquence proposée laisse toutefois une impression mitigée, entre une partie animale en Motion Capture techniquement convaincante et l’autre, où des humains apparaissent, qui ressemble à un jeu vidéo mal dégrossi. Verdict dans deux semaines.
On a pu constater un problème du même ordre dans un projet d’animation en volume déjà pitché les années précédentes : Captain Morten and the Spider Queen de Kaspar Jancis. La production arrive à son terme et le film devrait à circuler en festival dans les mois qui viennent. Les amateurs de courts-métrages connaissent bien le cinéaste estonien notamment pour Villa Antropoff coréalisé avec Vladimir Leschiov en 2012, et plus récemment Piano en 2015. Pour la première fois, il se retrouve seul aux commandes d’un long-métrage pour la NukuFilm, avec la collaboration de Riho Hunt. Le scénario est assez simple mais imaginatif : un enfant dont le père, marin, est souvent parti, doit vivre dans une famille qu’il n’apprécie guère. Il se retrouve soudain miniaturisé, projeté sur une maquette de bateau dans une demeure complètement inondée avec des créatures et insectes qui vont l’aider à grandir ou lui mettre des bâtons dans les roues. Celles-ci ont, bien-sûr, l’apparence de sa tante, de ses cousins, etc. Le périple initiatique est prétexte à la construction de sublimes décors et marionnettes. L’animation des objets a l’air d’être une vraie réussite. Toutefois, si on a hâte de voir le résultat final, les éléments qui ont dû passer par une étape de modélisation en CGI laissent plus circonspect, à l’image de l’eau qui ne ressemble pas à grand-chose et dont l’aspect choque par rapport au reste.
Un autre film, déjà visible depuis plusieurs mois en Amérique du Nord, était présenté à Bordeaux : Parvana, une enfance en Afghanistan produit par les irlandais de Cartoon saloon et réalisé par Nora Twomey, coauteur de Brendan et le Secret de Kells. Sorti en novembre aux Etats-Unis, il avait obtenu dans la foulée un Annie Award et une nomination à l’Oscar du meilleur film d’animation. Il n’arrivera sur les écrans européens que fin mai, et en France au mois de juin. Le film raconte le quotidien d’une jeune afghane qui, suite à l’arrestation de son père, se déguise en homme pour sortir de chez elle et subvenir aux besoins de sa famille en nourriture. On retrouve le style graphique habituel des productions du studio de Kilkenny avec des teintes bien évidemment plus chaudes que d’habitude. Le récit, tout en mettant au centre de l’action une préadolescente, reste familial mais possède une tonalité plus politique et dramatique que les œuvres précédentes réalisées par Moore ou Twomey, ce qui n’est pas pour déplaire tant le nombre de projets insipides pour les enfants est grand.
Enfin, deux autres films, aux thématiques bien plus adulte, ont eu droit à leur quart d’heure d’avant-première. Il s’agit d’Another day of life de Raul de la Fuente et Damian Nenow et de Chris the Swiss d’Anja Kofmel. Cela fait des années qu’ils sont attendus, les histoires qu’ils mettent en scène sont fortes, affichent leur subjectivité et sont ancrées dans deux contextes de guerre et d’indépendance. Si Valse avec Bachir – qu’on prend toujours comme exemple dix ans après sa sortie – fût une surprise, il faudrait que ces œuvres animées puissent être mises en avant afin de faire prendre conscience une fois pour toute que ce medium est aussi capable de porter un véritable regard sur le monde. Il ne reste plus qu’à espérer les voir arriver en sélection dans les festivals de cinéma généraliste dans les mois à venir et pas uniquement ceux consacrés à l’animation.
Another day of life est l’adaptation d’un récit documentaire rédigé par le reporter polonais Ryszard Kapuściński sur la guerre civile en Angola et la destruction progressive de la capitale Luanda en 1976. Couvrant le conflit à la recherche d’une certaine vérité sur cette guerre, le protagoniste remettra remettre en cause sa position de simple observateur pour faire face à des événements qui le verront profondément modifier sa façon de voir les choses et son attitude face aux combats. Le film, coproduit entre la Pologne, l’Espagne, la Belgique, l’Allemagne et la Hongrie, sera réalisé en images de synthèse avec rendu 2D ainsi qu’avec une vingtaine de minutes en prises de vues continues pour aller à la rencontre de l’Angola aujourd’hui et de quelques personnes qui figurent dans l’ouvrage d’origine. La forme sera à l’image des deux réalisateurs puisque l’espagnol Raul de la Fuente est d’abord un documentariste alors que Damian Nenow est connu pour son court-métrage d’animation Path of hate, combat aérien fictif au rythme effréné et proche visuellement de ce que sera Another day of life. Le film aura couté 6,1 millions d’Euros et c’est Indie sales qui s’occupe des ventes internationales.
Le second film est encore une coproduction européenne mais entre la Suisse, la Croatie et l’Allemagne. Chris the Swiss est le premier long-métrage d’Anja Kofmen, directement impliqué dans le cœur du projet puisqu’elle raconte l’histoire de son oncle, reporter-photographe pendant la guerre de Yougoslavie, qui a intégré les rangs d’une milice armée avant d’être retrouvé mort en Croatie au début de l’année 1992. Plus de vingt ans après, la réalisatrice, âgée d’une dizaine d’années à l’époque, part à la recherche de l’assassin dans un périple qui s’annonce plus tortueux que jamais. Son film utilise à la fois animation et la prise de vues continues pour retracer l’histoire et reconstituer les derniers moments de cet homme dont les médias avaient beaucoup parlé à l’époque. D’autant plus qu’un journaliste britannique, ami de Chris, parti enquêté sur ce décès, avait lui aussi été retrouvé tué au même endroit trois jours plus tard. Anja Kofmen, formée à l’école d’arts de Lucerne, avait déjà réalisé un court-métrage sur le même sujet en 2008 : Chrigi.
Si tous les ans, nous avons droit à quelques « sneak preview » elles sont rarement aussi nombreuses et prometteuses. Reste maintenant à voir les films entiers pour se rendre compte ! Même s’il était absent de la manifestation bordelaise cette fois, on se rappelle de la présentation, voilà deux ans, de Funan de Denis Do produit par Les Films d’Ici autour d’une mère dont l’enfant de 4 ans a été enlevé aux siens par les Khmers rouges. Ce dernier doit également être prêt et figure en bonne place dans les œuvres attendues de 2018.
17 mars 2018