Cartoon movie 2018 – Six projets de choix !
par Nicolas Thys
Après les films terminés qui devraient sortir sous peu, il est bon de se confronter à quelques autres projets importants présentés à Bordeaux à l’occasion de cette 20ème édition du Cartoon movie. Même s’ils sont souvent loin d’être finis, on peut espèrer les voir arriver sur les écrans entre 2019 et 2022. Parmi les présentations qui ont défilé en parallèle dans les deux salles du Centre des Congrès cette semaine, on en retiendra six. Quatre d’entre eux avaient déjà été pitchés au moins une fois lors d’éditions précédentes, et les deux nouveaux en sont au stade du développement.
Les deux premiers projets qui méritent notre attention pourraient entrer en production en fin d’année.
Quelques images d’Unicorn wars furent montrées en concept l’année passée et nous en savons désormais plus sur le film produit par Autour de minuit, Uniko, Schmuby et Abano auxquels viennent de se greffer les belges de Panic. Il s’agira du deuxième long-métrage d’Alberto Vazquez après Psiconautas, sorti en mai dernier sur les écrans français. Si ce premier long s’inspirait directement d’une BD de l’auteur ibérique, Unicorn wars s’inscrit dans la lignée de son court-métrage Sangre de unicornio (visible ici). Ce qui déjà plutôt évident lors du pitch précédent, l’est devenu encore plus cette année. Et l’idée est séduisante ! On retrouve les deux frères nounours dont les parents sont morts, l’un fort et mignon, l’autre bedonnant et mal dans sa peau, tous deux se retrouvant dans un camp militaire destiné à produire des recrues qui iront affronter des licornes dans une guerre sans merci. Le producteur nous promet une fable épique à l’humour noir décapant, qui se doublera probablement d’une critique de l’être humain et de son rapport à la nature. On espère voir autant de rose bonbon mièvre que de rouge sang dégoulinant dans cet univers aussi sombre que drôle. Le film devrait couter moins de 3 millions d’euros pour une sortie prévue en 2020 si tout va bien.
Deuxième projet et non des moindres, Kara de Sinem Sakaoglu, réalisatrice d’origine turque déjà coauteur d’un long-métrage en 2010 et de plusieurs courts entre 2005 et 2007. Kara avait déjà été pitché une première fois en 2013 et semblait avoir été abandonné depuis, ce qui était regrettable tant son récit et sa conception avaient impressionné. Son retour dans la liste des projets était donc une agréable surprise et après 20 minutes de pitch, on confirme qu’il n’a rien perdu de son potentiel. Il s’agit d’une coproduction entre l’Allemagne, la Turquie et la Belgique. Le film sera réalisé en stop motion avec quelques effets spéciaux en CGI dans les arrière-plans et parlera du parcours d’une adolescente de 13 ans qui prend le bus pour Istanbul avec sa grand-mère, qui soudain n’est plus là et ne l’a peut-être pas vraiment été. Histoire mystérieuse d’une disparition, d’un parcours semi-initiatique entre la réalité et le fantastique, à la fois mélancolique et burlesque. Seule parmi des millions d’habitants, la petite fille rencontrera un chat, une autre vieille femme, et une ville avec ses rues, ses bateaux, ses secrets, ses toits et ses bazars.
La réalisatrice décrit Kara comme une histoire inventée mais pas fausse ; simplement les années passants les souvenirs se sont entremêlés à l’imaginaire et de nouveaux détails ont été ajoutés au point qu’il est difficile de faire la part du réel et du rêve. Elle veut utiliser des marionnettes et le volume plus que toute autre technique pour cet effet d’entre-deux que permet naturellement la technique, et pour retrouver une matérialité qui souvent fait défaut dans les images de synthèse. Et son équipe technique, les décors déjà constitués et la machinerie dont elle dispose sont impeccables. Elle vise 3 secondes créées par jour sur une vingtaine de plateaux qui œuvreraient en parallèle. Elle a annoncé un budget légèrement inférieur à celui de 2013, mais qui reste cependant autour de 13 millions d’euros, ce qui n’est guère surprenant vu l’ampleur du projet. Un premier prix Eurimages lui a été décerné pendant le Cartoon movie. On espère désormais que le film trouvera un dernier coproducteur ainsi que les distributeurs et les chaines permettant de boucler rapidement ses financements. On peut suivre l’évolution du projet ici.
Viennent ensuite deux projets plus avancés, deux productions françaises dont les réalisateurs sont respectivement italien et roumain. Le premier, produit par Prima Linea, Indigo Film et France 3 cinéma est La Fameuse invasion de la Sicile par les ours, adaptation du seul ouvrage jeunesse écrit par Dino Buzzati. Lorenzo Mattotti, qu’on connait essentiellement pour ses œuvres graphiques et comme auteur de BD, en sera le réalisateur. Ce n’est pas la première fois qu’il met la main à la patte en animation puisqu’il avait réalisé les décors du Pinocchio d’Enzo d’Alo voilà 5 ans et l’un des segments de Peur(s) du noir également produit par Prima Linea il y a maintenant une dizaine d’années. Le synopsis de ce nouveau projet : le fils du roi des ours a été enlevé par des chasseurs et son père, aidé d’un magicien et d’une armée, décide d’aller le secourir.
On avait laissé la productrice Valérie Schermann en 2015 avec ce projet qui en était à ses balbutiements et qu’elle imaginait en plutôt 3D. Là, il prend véritablement forme. Elle a bouclé un budget plutôt élevé de 11 millions d’euros. Thomas Bidegain et Jean-Luc Fromental ont terminé l’écriture. Avec l’accord de la veuve de Buzzati, deux personnages féminins ont été rajoutés afin de coller à la tonalité humoristique de l’ouvrage et de raconter l’histoire de façon plus cinématographique sans devoir subir une voix-off tout au long du film. Enfin, la 2D est revenue sur le devant de la scène et si les premières images sont assez lisses, ne permettant pas de retrouver le trait de Mattotti, très difficile à transposer en animation, au moins on appréciera son utilisation des couleurs, domaine dans lequel il n’a que peu d’égal à l’heure actuelle.
Second projet en production : L’Extraordinaire voyage de Marona d’Anca Damian qui avance vite et bien. C’est la troisième fois qu’il est pitché en trois éditions et les progrès sont considérables. Nul doute qu’il pourra être prêt l’année prochaine si le rythme est tenu. La cinéaste roumaine tourne vite et c’est l’une de ses principales caractéristiques. Elle vient de finir un court-métrage qui sera à Annecy et elle est devenue incontournable dans le paysage de l’animation après ses deux premiers longs-métrages réalisés en peu de temps comparé à la moyenne de production d’un long animé en Europe. Dans le premier, Le Voyage de monsieur Crulic, elle décrivait l’absurdité du système pénitentiaire polonais où un citoyen roumain fût enfermé par erreur. Le suivant, La Montagne magique, était un biopic autour de la figure d’un anarchiste polonais réfugié en France et qui a combattu en Afghanistan auprès du commandant Massoud dans les années 1970. Chacun d’eux joue sur des univers graphiques et esthétiques remarquables et elle y multiplie à chaque fois les expérimentations visuelles.
Son troisième long est produit par Sacrebleu en France, Aparte Film en roumanie et Minds meet en Belgique. Moins ouvertement politique, il suivra les aventures de Marona, une petite chienne abandonnée par plusieurs maîtres successifs et qui ne demande qu’à être adoptée et aimée. Toutefois, on retrouvera la touche visuelle qui caractérise ses films précédents avec l’utilisation de techniques hybrides : 2D, 3D et papiers découpés. Le directeur artistique du film sera l’illustrateur Brecht Evens, qui adore dessiner des animaux, et dont on perçoit l’identité graphique dans chacun des plans qu’elle nous a montrés. La musique sera créée par Pablo Pico, compositeur notamment d’Adama. Le budget total devrait faire moins de 3 millions d’euros. Ils sont encore à la recherche de vendeurs internationaux et de télévisions.
Des deux projets qui ont été présentés pour la première fois, nous n’avons que peu d’éléments. Slocum sera produit par JPL Films et c’est le second long-métrage que prépare Jean-François Laguionie en parallèle au Voyage du prince, son projet autour de l’univers du Château des singes qu’il était venu présenter au dernier Cartoon movie. Alors que Louise en hiver proposait plutôt un portrait maternel romancé, Slocum, autre oeuvre personnelle, devrait mettre en scène un petit garçon passionné par la navigation et dont le père crée un bateau chez lui même si ce dernier ne prendra jamais le large. L’aventure sera davantage dans le partage et la construction du navire. La technique devrait être quelque peu similaire à Louise, très aquarellée avec une volonté de retrouver les textures du papier. Impossible de savoir à l’heure actuelle s’il réutilisera la 3D rendu 2D ou non.
Le second est Allah n’est pas obligé, adaptation du roman d’Ahmadou Kourouma et premier long-métrage que devrait réaliser Zaven Najjar, déjà directeur artistique sur le projet long de Sepideh Farsi, La Sirène. Les deux films sont produits par Sebastien Onomo mais La Sirène pour Les Films d’Ici et Allah pour Special Touch Studios, avec lequel il avait déjà fait Le Gang des antillais. Prix Renaudot et Goncourt des lycéens en 2000, Allah n’est pas obligé parle des enfants-soldats entre Le Libéria et la Guinée dans les années 1980 en suivant un petit garçon d’une douzaine d’années qui part vivre chez sa tante après la mort de sa mère et se retrouve pris dans un macabre engrenage. On retrouve le style graphique très coloré et marqué de Najjar qui devrait aussi s’occuper de la direction artistique. Le budget est fixé à 4,5 millions d’euros pour une livraison en 2021. Special touch cherche encore vendeurs, distributeurs et un coproducteur.
Quant-à-nous, on a hâte de voir qui reviendra l’année prochaine ! Ce sera peut-être l’occasion de parler de quelques projets qu’il a fallu laisser de côté et qui ne déméritent pas à l’image d’Eugene d’Anaïs Caura (My Fantasy/2P2L) sur le premier condamné à mort transgenre, The Animal’s christmas (Les Valseurs) qui regroupera plusieurs courts ou Bunuel dans le labyrinthe des tortues qui se déroule pendant le tournage de Terre sans pain (Las Hurdes) du cinéaste espagnol.
17 mars 2018