Cartoon movie 2019 : l’animation européenne à venir !
par Nicolas Thys
La troisième édition bordelaise du Cartoon movie 2019 est désormais terminée. Comme les deux précédentes elle a accueilli les professionnels du cinéma d’animation européens et plusieurs personnalités asiatiques et nord-américaines. Cet événement, qui n’est pas un festival public mais un forum professionnel, voit se succéder pendant deux jours complets des pitchs de dix ou vingt minutes de longs-métrages animés emmenés par des sociétés européennes ou désireux d’être coproduits en Europe.
Le principe est important pour les sociétés présentes puisqu’elles montrent parfois leur projet pour la première fois et sont à la recherche de financements. D’où également une certaine frustration de savoir que certains, particulièrement audacieux, ne verront peut-être jamais le jour. Selon les statistiques, environ un tiers des projets pitchés sortent en salle. Mais le Cartoon movie est aussi intéressant pour la presse et les amateurs de cinéma d’animation car c’est le meilleur endroit où suivre la naissance et l’évolution de films dont la fabrication peut parfois prendre une décennie, à l’image du film de Florence Miailhe, La Traversée, qui devrait sortir d’ici un an et dont les débuts remontent à 2006.
C’est aussi l’occasion de tâter le pouls d’un marché fragile comparé à l’industrie hollywoodienne mais en pleine croissance, notamment en France. L’année 2019 devrait voir arriver sur les écrans plusieurs projets terminés qui furent présentés ici même cette année ou les précédentes. Parmi eux, L’Extraordinaire voyage de Marona d’Anca Damian, J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbe-Mevellec, La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti ou Buñuel après l’âge d’or de Salvador Simó d’après la bande-dessinée Buñuel dans le labyrinthe des tortues de Fermín Solís.
Après une sélection qui a vu la moitié des titres écartés du panel, 66 projets ont défilé devant les yeux curieux des acheteurs présents. 28 étaient encore au stade du concept, 31 en développement ou en production et 7 étaient terminés ou le seraient rapidement. Pour ces derniers, la présentation consistait en un visionnage de 15 minutes du métrage, souvent en avant-première, afin d’attirer distributeurs et vendeurs internationaux.
Que retenir de cette édition 2019 du Cartoon movie ? Déjà, il fut indéniablement le meilleur cru jamais vu d’un point de vue qualitatif. Les projets originaux étaient nombreux et ceux destinés aux enfants ou à un public familial paraissaient beaucoup moins infantilisants. Quant à ceux dont la cible est plus ados/ adultes, ils étaient audacieux et peu jouaient sur la tendance du « trash-cool ». Ensuite, cette édition a vu émerger des auteurs plus habitués au court métrage qu’au long qui n’étaient pas forcément attendus à l’image de Momoko Seto, Simone Massi, Mirai Mizue, Ivana Laucikova ou Jérémie Périn, mais aussi d’autres moins célèbres et à suivre à l’image de Nicolas Blies Stéphane Hueber-Blies & Kim O’bomsawin.
A propos de cinq projets en tournage ou terminés
Parmi les projets du Cartoon movie entrés en production ou bientôt sur les écrans, cinq se détachent. A l’international, le plus attendu est certainement Where is Anne Frank ? le nouveau film d’Ari Folman, auteur de Valse avec Bachir et du Congrès. Il n’adapte pas littéralement le célèbre journal intime mais se concentrer sur le personnage de Kitty, l’amie imaginaire à qui Anne Frank s’adresse à plusieurs reprises. Kitty prend vie, de nos jours, et part à la recherche de l’auteur du livre à travers l’Europe tout en se replongeant dans la seconde guerre mondiale et plus particulièrement dans les sept derniers mois de la vie de la jeune fille. Une partie du film sera animé en volume mais l’essentiel sera dessiné en 2D. Son budget, 16 millions d’euros, est l’un des plus élevés parmi les films présentés à Bordeaux, et les producteurs ainsi que le réalisateur souhaitent qu’il soit prêt pour une présentation au festival de Venise en 2020.
J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, produit par Xilam, avait été pitché une première fois au Cartoon movie en 2014 alors qu’il entrait en phase de développement et il revient enfin terminé et espérant une sélection dans un festival international majeur. Clapin était connu jusque-là pour ses courts-métrages en images de synthèse, et en particulier Skhizein en 2008 pour lequel il avait remporté plusieurs dizaines de prix. Dans ce nouveau film, il adapte un roman de Guillaume Laurant, dialoguiste du Fabuleux destin d’Amélie Poulain dans un mélange de 3D rendu 2D et d’animation traditionnelle. Le sujet est original : Rosalie, une main coupée enfermée dans un laboratoire cherche à rejoindre son jeune propriétaire, Naoufel. Parti à Paris chez son oncle après la mort de ses parents, il tombera amoureux de Gabrielle et sera victime d’un accident. Le film suivra en parallèle l’errance de la main à la recherche de celui à qui elle appartient et l’histoire de ce jeune homme timide jusqu’à son drame. Cinq ans auparavant, le teaser avait laissé une première impression positive et cette fois les séquences proposées confortent cette première impression : rythme, cadrage, couleurs, enchâssement des récits et scènes dialoguées offrent un aperçu aussi envoutant que mélancolique.
Le projet le plus attendu des amateurs d’animation indépendante qui ont eu vent des déboires rencontrés par la réalisatrice est probablement La Traversée de Florence Miailhe. C’est la plus belle preuve que rien est impossible ! Concevoir un long-métrage d’animation engagé sur les migrants avec une équipe réduite tout en utilisant des techniques traditionnelles alliant peinture sur papier de soie, cellulos et décors sur verre relève de l’exploit. Ce qui serait plus évident à monter en prise de vues directes fait malheureusement encore peur aux producteurs en animation. Inspirée par l’histoire de sa famille qui dû fuir les pogroms, ainsi que par quelques carnets de sa mère peintre, Miailhe relate les aventures d’enfants qui veulent retrouver leurs parents tout en cherchant à fuir un pays dont le nom n’est jamais prononcé. Ils seront confrontés à de nombreux obstacles, contraints de fuir une bande de voleurs, la police, une famille qui veut les acheter, etc. Porté par les Films de l’Arlequin, qui suivent Florence Miailhe depuis Hammam qu’ils distribuèrent en 1992, La Traversée devrait être prêt d’ici un an environ. Il aura alors mis d’une quinzaine d’années entre la naissance du projet et la sortie en salles. Les chemins de la création à l’Abbaye de Fontevraud avaient proposé une lecture intégrale du scénario par Isabelle Carré voilà un an et demi, il était aussi actuel que beau et sensible. Les premières minutes du film sont à l’image du scénario. Ce sera à coup sûr l’une des œuvres cinématographiques les plus attendues de 2020, et probablement l’une des plus intrigantes.
A l’inverse, Anca Damian parvient à monter des projets audacieux en peu de temps et ce fut une nouvelle fois le cas avec L’Extraordinaire voyage de Marona coproduit par Aparte et Sacrebleu. Elle confiait qu’après trois ans sur un film elle commençait à trouver le temps long, et son timing est respecté. Entre 2012 et 2019, elle aura conçu un court-métrage et trois longs-métrages animés : deux destinés à un public adulte (Monsieur Crulic en 2012 et La Montagne magique en 2016), et celui-ci à dimension familiale prévu pour une sortie à l’automne. Sur la même période, elle aura complété sa filmographie par trois longs et un court en prise de vues directes. Les aventures de Marona avaient déjà été montrées deux fois au Cartoon movie et racontent la vie d’une petite chienne qui grandit et passe de maître en maitre alors que la seule chose qu’elle cherche est un peu d’amour. Le quart d’heure montré était émouvant et envoutant. La réalisatrice entremêle différentes techniques et crée un monde oniriques et touchants, à la fois haut en couleur, d’une grande beauté et au look artisanal mais d’autant plus humain. La création graphique des personnages a été confiée au néerlandais Brecht Evens, l’un des importants dessinateurs de BD actuels.
Dernier film terminé de ce Cartoon movie sur lequel il faut s’attarder : Buñuel après l’âge d’or de Salvador Simó. Il a déjà débuté sa course aux festivals et remporté le prix du public au Animation is film festival de Los Angeles. A l’instar de Marona, il figurait également au Cartoon movie pour la troisième fois. Simó propose une véritable œuvre cinéphile autour du tournage chaotique et hasardeux du documentaire de Luis Buñuel Las Hurdes (Terre sans pain) qui a connu un destin plutôt incroyable puisque, désargenté, le réalisateur ne l’a produit que grâce à l’argent gagné à la loterie par un de ses amis espagnols. Il s’agit d’un biopic animé, et il n’est pas certain qu’un tel projet eût pu se monter en animation dix ans auparavant. L’équipe a choisi de présenter le début du film, pendant lequel Buñuel, dépité par l’insuccès de ses précédentes œuvres : Un chien andalou et L’Âge d’or, erre dans Paris. L’enthousiasme du public, pourtant composé de professionnels, s’est ressenti à travers les « oh » de déception au moment où les lumières de la salle se sont rallumées. Ceux qui ne sont pas familiers du cinéaste surréaliste, pourront y voir une entrée en matière sympathique dans un univers marqué par l’amour du cinéma et de la peinture, notamment celle de Dali et de ses macabres éléphants.
7 mars 2019