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Festivals

Cartoon movie 2020 : adaptations et œuvres originales

par Nicolas Thys

Lors du Cartoon movie 2020, les adaptations furent nombreuses, qu’elles soient issues d’ouvrages jeunesse ou de bandes dessinées plus adultes comme Melvile du français Romain Renard, publié au Lombard, mélange de polar et de western urbain dans une ville imaginaire hantée par la figure de l’homme-cerf, ou Girl and wolf de Roc Espinet. Cet auteur espagnol, qui a notamment travaillé sur Psiconautas d’Alberto Vazquez propose un univers fantastique, mélange d’aventure et d’action, dans un village terrifié par une meute de loups qui empêchent les habitant de se déplacer la nuit. Un soir, Paula, jeune femme constamment humiliée par le tenancier du bar dans lequel elle travaille, est enlevée et se trouve bien plus en sécurité avec les canidés avant qu’un chasseur ne décide de s’en débarrasser une fois pour toute. Si Renard et Espinet parvenaient chacun à conserver l’esthétique et l’ambiance lugubre, mystérieuse et singulière de leur bande dessinée, leurs films pourraient se révéler des plus intéressants.

Les amateurs du Disque-monde pourront peut-être voir son pendant pour enfants arriver sur grand écran avec The Amazing Maurice de Terry Pratchett. Reprenant l’idée du joueur de flûte d’Hamelin, Maurice, un chat irrévérencieux s’associe avec une armée de rats civilisés et un enfant qui pratique le pipeau pour une arnaque qui ne tourne pas comme il l’espère. Cette coproduction germano-irlandaise sera écrite par Terry Rossio (Aladdin, Shrek, Pirates des Caraïbes) et réalisée par Toby Genkel & Florian Westermann, réalisateur et directeur artistique de… Oups ! J’ai raté l’arche en 2015. Espérons que ce dernier ne fût qu’un faux pas, sinon les amateurs de l’écrivain britannique risqueraient de leur en vouloir, notamment vu le peu d’adaptations cinématographiques de l’œuvre de Pratchett qui ont été menées à bien.

Du côté des romans jeunesses, Marie Desplechin est venue parler de Verte. Son ouvrage suit une adolescente de 11 ans en conflit avec sa mère qui va devoir devenir, malgré elle, une sorcière alors qu’elle ne souhaite que deux choses : être normale et retrouver son père dont elle ne sait rien.  Pour cela, elle va utiliser ses pouvoirs sans en avoir le droit, manipuler quelque peu une de ses amies et mettre tout le monde dans l’embarras. L’autrice souhaitait évoquer la difficulté des relations mère/fille à la sortie de l’enfance quand elle a écrit cette histoire d’amitié, de trahison et d’une famille quelque peu délitée. Son roman fût un tel succès qu’il engendra deux suites, Pome et Mauve. Desplechin travaillera le scénario avec Jean Régnaud. Magali Le Huche (Jean Michel le Caribou et Non-Non l’ornithorynque), qui s’est occupée de la partie graphique des ouvrages, assurera la direction artistique. L’image d’origine devrait conserver son trait malicieux tout en étant légèrement retravaillé pour les besoins de l’animation. C’est Hélène Friren qui réalisera le film pour Folimage.

Enfin dernière adaptation littéraire et non des moindres : L’Ours et l’ermite de John Yeoman. L’auteur graphique, Quentin Blake, est célèbre pour avoir mis en image tous les albums de Roald Dahl avec ses dessins caractérisés par une grande simplicité et une belle naïveté : quelques traits à l’encre surmontés d’une touche d’aquarelle dans des décors minimalistes. C’est Delphine Maury, productrice d’En sortant de l’école et autrice des Grandes grandes vacances, l’une des séries animées les plus importantes de la décennie passée, qui monte ce projet. Pour mettre en scène ce récit d’un ermite déçu de n’avoir pour seul élève, dans son école au fond de la forêt, qu’un ours qui voudrait s’instruire mais ne réussit qu’à entraîner son professeur d’une catastrophe à l’autre, c’est Marine Blin qui a été choisie. Sortie de La Poudrière en 2013, elle termine son premier court en tant que réalisatrice chez Papy 3D tout en débutant ici dans le long métrage. Elle sera aidée par Charlie Belin à la direction artistique, dont le style épuré qu’on a découvert dans La Pao et Blanquette, colle parfaitement à celui de Quentin Blake.

Pour terminer cet aperçu du Cartoon movie 2020, quatre idées originales, qui n’entrent pas tout à fait dans les catégories mentionnées jusque-ici, méritent d’être abordées.

La première, The Island d’Anca Damian, n’est pas inédite puisque la réalisatrice roumaine était venue la proposer en concept ici même l’année dernière. Elle prévoit de terminer son film dans les deux ans, et ce serait son quatrième métrage animé sorti en à peine plus d’une décennie après Le Voyage de Mr. Crulic, La Montagne magique et le récent L’Extraordinaire voyage de Marona. Comme à son habitude elle avance vite et bien avec un budget plutôt petit – de l’ordre de 1,8 millions d’euros – qui lui offre une liberté plus grande pour aborder de façon originale un thème peu évident : une robinsonnade musicale contemporaine où le protagoniste, solitaire, voit arriver sur son île un migrant échoué qui deviendra son Vendredi. Le projet est politique et, comme souvent chez la cinéaste empreint d’une certaine gravité comique. Plusieurs courtes scènes ont été diffusées où on la sent à son aise, voguant dans ce mélange d’absurde, de surréalisme et d’anarchisme qui la caractérise sans se départir de son amour du collage. Le tout est adapté d’une pièce musicale et scénique d’Ada Milea et Alexander Balanescu, l’un des plus importants musiciens contemporains. Au scénario on retrouvera Augusto Zanovello, réalisateur de Lettres de femmes, et à la direction artistique Gina Thorstensen qui partageait cette même fonction sur Marona avec Brecht Evens et Sara Mazzetti.

Les trois autres projets sont davantage destinés à un public jeune ou familial. Sirocco, le royaume des courants d’air, produit par Sacrebleu, sera le premier long métrage en solo de Benoit Chieux. Le cinéaste, déjà connu pour sa longue collaboration avec Folimage et ses courts métrages, retrouvera l’esthétique fluide et colorée qu’il avait déjà utilisée dans Le Jardin de minuit. Cette fois il racontera l’histoire de deux sœurs de moins de dix ans qui, alors qu’elles sont chez leur voisine, écrivaine jeunesse, se retrouvent transformées en chat et projetées au Royaume du vent dans lequel un personnage terrifiant nommé Sirocco sème la panique. S’ensuivront de nombreuses péripéties à forte teneur familiale et amicale dans un univers où tous les protagonistes semblent perdus quelque part entre l’humain et l’animal. Vu des premières images et quelques extraits montrés, le réalisateur, fortement inspiré par Ghibli et ses créatures, affiche une mise en scène dynamique et un jeu important sur les métamorphoses, les décors aériens et les changements d’état liés au vent tout en réussissant à conserver un style personnel. Le film, qui devrait couter 6 millions d’euros, est écrit par Alain Gagnol (Phantom boy, Une vie de chat), un autre habitué de Folimage, pour une sortie prévue en 2022.

Vient ensuite L’Inventeur que réalisera Jim Capobianco. L’animateur, qui travaille habituellement chez Pixar, avait fait ses armes comme cinéaste avec Notre ami le rat et coécrit Ratatouille avec Jan Pinkava avec lequel il partage un gout certain pour la marionnette et les films de Jiri Trnka. En 2009, à son propre compte, il avait réalisé un court-métrage intitulé Leonardo sur le génie italien de la Renaissance, dans lequel arts et sciences s’entremêlaient merveilleusement. Bien que dessiné, les marionnettes le démangeaient déjà sur ce film comme on peut le voir sur son blog. Aujourd’hui le cinéaste est associé avec les français de Foliascope, qui travaillent en ce moment à la fabrication d’Interdit aux chiens et aux italiens d’Alain Ughetto, pour un long métrage issu du court autour de la vie de Leonard de Vinci. On devrait le voir inventer des machines volantes, étudier l’anatomie, dessiner des machines de guerre et évoluer dans l’univers de la Renaissance que l’animation a assez peu cherché à restituer jusqu’ici.

Terminons ce parcours bordelais par quelques mots sur une autre biographie romancée : Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, le nouveau long métrage de Rémi Chayé après Tout en haut du monde. En préparation depuis 4 ans, cette adolescence romancée de celle que les amateurs de westerns connaissent sous le nom de Calamity Jane, est désormais terminée et la production nous a accordé la primeur du premier quart d’heure. Graphiquement le rendu est impeccable, avec un style dans la continuité de Tout en haut du monde avec personnages et décors fondus l’un en l’autre dans de larges aplats de couleurs et un minimum de traits, mais avec des ambiances différentes, bien plus adaptées à l’ouest américain. Alors que seul le début a été dévoilé les comparaisons et les variations sont déjà nombreuses entre les deux films : une héroïne adolescente et forte, qui cherche à s’émanciper de son milieu, à défier les hommes qui la rabaissent, et surtout une histoire d’aventure. Là aussi, on attend la suite avec impatience et cela devrait être pour la rentrée de septembre.

Alors qu’avec le Coronavirus, certains studios ont dû cesser ou ralentir leurs activités, il sera intéressant de voir, dans les années à venir, quelle incidence cette crise aura sur le cinéma d’animation, si elle en a une. Et s’il est légitime de supposer que ce sera le cas, que ce soit d’un point de vue économique ou narratif, nul doute que le Cartoon movie en sera l’un des observatoires principaux en Europe.


5 avril 2020