Cartoon movie 2020 : Premier aperçu des projets
par Nicolas Thys
Pour le long métrage animé, l’année 2019 fût remarquable en termes de sorties en salles ou en festivals. Pour le Cartoon movie, le cru reste le meilleur qu’on ait connu. Même si le nombre de productions terminées est en constante augmentation tous les ans, les années ne peuvent être toutes aussi riches et 2020, perdue entre les blagues sur le coronavirus ou le Brexit, se sera montré quelque peu moins exaltante malgré la diversité des acteurs venus présenter leurs projets. Certains se sont cependant démarqués et des tendances ou thématiques s’imposent alors même qu’il n’est possible que d’assister à une grosse moitié des pitchs, l’événement ayant lieu dans deux salles en même temps, et des choix devant être faits.
Il est remarquable que l’animation ados/adultes ne faiblit pas, quantitativement, avec 25% projets au total dont dix parmi les 28 présentés en concept, soit 35% de ces derniers. Le chiffre est d’importance car s’il s’agit des œuvres qui sont encore les plus fragiles et ont le moins de chances de voir le jour, il s’agit aussi d’un mouvement général qui ne cesse de croître. Difficile donc de dire combien d’entre eux seront effectivement mis en chantier et menés à terme mais le chiffre est éloquent et la volonté de porter l’animation vers un public moins enfantin ou familial perdure chez les créateurs comme dans les studios. Et ce d’autant plus que tous ne viennent pas pitcher au Cartoon, à l’image de Kill It and Leave This Town de Mariusz Wilczyński, long polonais présenté à la dernière Berlinale et dont nous n’avions rien vu jusqu’à présent. Les chiffres relativement bas des dernières productions françaises au box-office n’ont donc pas eu raison des désirs des uns et des autres d’aller vers des projets plus matures, et souvent plus ambitieux dans leur écriture ou leur forme. Espérons que cela se confirmera les années à venir car il est important de s’installer dans la durée pour faire évoluer les attentes d’un public. Comme de soutenir ces futures œuvres comme le rappelait Francis Gavelle ici.
Parmi les projets en concept, le premier à retenir est La Légende de Depanurges de Franck Dion, cinéaste bien connu des amateurs de courts-métrage, notamment pour Edmond était un âne ou Une tête disparait coproduits par l’ONF/NFB. Porté par Papy 3D, dont il s’agira de la première expérience de production dans le long métrage, le film devrait réunir quelques thématiques (obsessions ?) du cinéaste comme les poules et les décors grandioses dans une histoire de Baron bélier récemment décédé et d’un étrange héritage entre quatre enfants dont l’un d’eux est un loup cornu ! Peu d’éléments précis de l’histoire, dont la première version est encore en cours d’écriture, ont été dévoilés, affichant ainsi un avant-gout du mystère qui plane autour de cette famille. L’univers visuel si caractéristique du cinéaste, qui empreinte au pop surrealism et à la douce inquiétude qui le caractérise, sera bien sûr de rigueur mais, cette fois, l’animation informatique pourrait côtoyer les marionnettes. Néanmoins tout est encore à faire, l’équipe cherche des partenaires de tout type. Vivement leur retour avant plus d’éléments dans une prochaine édition.
Même s’ils sont plus orientés famille, deux autres projets en concept trouveront certainement un écho chez un public plus âgé. Commençons par l’adaptation par Liane-Cho Han de Métaphysique des tubes, roman phare d’Amélie Nothomb publié en 2000. Ce sera là la première réalisation d’un des animateurs et storyboarders importants de Remi Chayé sur Tout en haut du monde et son plus récent Calamity. Produit par Maybe movies et Ikki films, le film relatera les aventures quasi autobiographiques d’Amélie, née au Japon, qui y séjourna les trois premières années de sa vie, entre des parents plutôt absents et une nounou qui s’émerveillait du moindre de ses gestes, lui donnant l’impression d’être une sorte de dieu. Les premières images, aux larges aplats bien lisses et rose bonbon peuvent surprendre mais le rendu n’est pas définitif et on espère en découvrir davantage bientôt.
Ensuite, parmi les œuvres envoutantes, catégorisées jeune public tout comme Edward Gorey ou le Alice de Jan Svankmajer peuvent l’être – car les enfants ont eux aussi le droit à la noirceur, à la peur et à l’extra-ordinaire – Les Sciences inexactes de Stefano Bessoni est l’un des projets les plus envoutant de ce Cartoon. L’artiste italien, multidisciplinaire et déjà réalisateur de longs et courts métrages qui oscillent entre animation, expérimental et documentaire, poursuit ses recherches dans l’univers du conte lugubre et voudrait réaliser son film en marionnettes. Ceux qui ont pu regarder son Pinocchio apocryphe, son Gallows song ou lire son récent Pinocchio – à croire que tous les italiens se doivent d’en produire –, savent que son univers graphique est intimement lié à celui de ses pantins. De même sa réalité invoque sans cesse un imaginaire perclus entre le difforme et l’informe, comme dans une métamorphose arrêtée avant sa conclusion. Ici il en sera de même avec l’histoire d’amour de deux enfants aux cheveux bleus, Jonah et Rebecca, confrontés à l’apparition du fantôme d’une petite fille disparue bien des années auparavant, et au désir aussi soudain que compulsif du petit garçon de créer un cabinet de curiosités des plus surprenants à l’image de ceux qui peuplaient l’Europe après la Renaissance. Le film, dont le budget devrait avoisiner les 3 millions d’euros, est pour l’instant coproduit par Les Contes modernes en France et Pilgrim en Italie.
Première thématique récurrente dans cette édition du Cartoon movie : les enfants en guerre ou en déplacement. Après la sortie de documentaires animés sur le même thème mais centrés sur des adultes ces dernières années, c’est au tour des plus jeunes de devoir s’y confronter mais davantage à travers le prisme de la fiction. Le premier à sortir sera La Traversée de Florence Miailhe. Produit par les films de l’Arlequin et intégralement réalisé en peinture animée, le métrage aura mis 13 ans à se monter et est enfin achevé. On appréciera d’ailleurs le lapsus de la cinéaste qui, corrigée dans la foulée par sa productrice, expliquait que son film était « presque » terminé comme si elle avait encore quelques difficultés à réaliser qu’il l’était bel et bien ! Coécrit par Marie Desplechin, il relate la migration d’une famille à la recherche de meilleures conditions de vie dans un pays qui pourrait être n’importe quel pays meurtri par des violences ou une dictature. Les deux enfants, un frère et une sœur, sont séparés de leurs parents et vont parcourir un continent entier, confrontés à diverses difficultés, pour atteindre un lieu qui voudra les accueillir et essayer de retrouver père et mère. Le scénario, dont on avait pu entendre une lecture à l’Abbaye de Fontevraud voilà deux ans, laissait augurer du meilleur et les quinze minutes qui ont été montrées ici confirment nos attentes. Chaque seconde est une invention formelle. Ne reste plus désormais qu’à attendre sa sortie prévue d’ici quelques mois.
A noter différents projets encore en concept sur le même thème comme Maryam & Varto, sur deux enfants arméniens en 1915 pendant le génocide qui, aidés par un jeune turc, traverseront l’Anatolie pour quitter le pays et arriver en France. Proposé comme une enquête rétrospective, le film s’attachera à faire découvrir les secrets d’une famille singulière. Production française, le film sera réalisé par Gorune Aprikian & Alexandre Héboyan et issu de la BD du premier parue en 2015. Pour le moment, le style graphique n’est pas sans rappeler Tout en haut du monde. Du côté ibérique, Talent scout devrait être réalisé par José Herrera & Manuel Sirgo González, récompensés par un Goya pour leur court métrage Cazatalentos (Chasseur de talents) en 2020. Leur long, à la facture assez classique, sera une sorte de préquel du court, dans lequel une adolescente handicapée pratique le Flamenco. De sa rencontre avec Tito dont elle tombe amoureuse juste avant la guerre civile de 1937, à son périple avec son oncle pour essayer de rejoindre la France, l’histoire montrera comment elle a perdu l’usage de ses deux jambes.
Thématiquement plus original : Shkid. Coproduit par L’Espagne et le Mexique, ce projet est un hommage aux enfants du camp de concentration de Theresienstadt (Terezin) en République Tchèque. Le camp, dans lequel 33000 déportés périrent au cours de la seconde guerre mondiale, a eu pour particularité d’avoir été le lieu d’une mise en scène visant à le faire passer pour exemplaire aux yeux de la Croix-Rouge avec de fausses constructions et la création d’un opéra pour enfants, Brundibár d’Adolf Hoffmeister et Hans Krása. C’est cet opéra, ainsi que la pièce de Jaromir Knittl, Pour ne jamais oublier ou le cabaret Brundibar de Terezin, écrite en 2013, qui ont donné l’idée du film. Documenté voire documentaire, il sera également construit autour des journaux clandestins et autres dessins ou notes faits par les enfants du camp au cours de leur internement et c’est leur point de vue qui sera relaté. Le réalisateur de Shkid devrait être Fernando Cortizo dont le précédent film, L’Apôtre, était une jolie réussite. Le cinéaste quittera cependant la marionnette pour se tourner vers un dessin plus conventionnel, de type disneyen, probablement afin d’alléger visuellement un film dont le propos est délicat et de le rendre visible par les plus jeunes. Si le rendu visuel en a laissé plus d’un circonspect, le projet est ambitieux.
Autre thématique récurrente : les biopics autour de la musique semblent revenir en force. On en dénombre trois, tous orientés adultes et allant du classique au jazz en passant par la bossa nova.
Black swallow avait déjà été présenté sous un autre titre voilà quelques années et il revient avec une structure quelque peu modifiée. Il s’agit de la vie d’Eugene Bullard, héros aux multiples existences mais pratiquement oublié aujourd’hui. Américain, il est le premier pilote de l’air noir au cours de la première guerre mondiale au côté des français et le compagnon d’armes de Blaise Cendrars. Rentré à Paris, il devient batteur de jazz, dirige un cabaret à Pigalle et passe les années folles en compagnie d’Ernest Hemingway, Joséphine Baker ou Louis Armstrong. Blessé pendant la seconde guerre mondiale où il opère dans un réseau de contre-espionnage, il rentre aux Etats-Unis où il devient liftier pour un hôtel pour mourir dans la misère et l’oubli d’un cancer en 1961. Pour éviter la trame convenue du biopic et revenir l’Amérique des années 60, la ségrégation raciale et le développement du féminisme, les auteurs ont écrit le film comme une enquête qui permettrait à une journaliste de redécouvrir la vie de Bullard tout en luttant face à sa rédaction à la fin des années 1950. Le film sera réalisé par Louis J. Gore, peintre et réalisateur de Billie’s blue en 2014, et produit par La Luna production.
Autre projet qui comportent de fortes résonances avec le précédent : They shot the piano player porté par Fernando Trueba. Le cinéaste espagnol s’intéresse à Francisco Tenório Júnior. Ce pianiste virtuose brésilien, qui fût à l’origine de la bossa-nova à la fin des années 1960, a mystérieusement disparu en Argentine alors qu’il était une gloire montante et n’avait enregistré qu’un seul album. Trueba, grand amateur de musique brésilienne, a d’abord pensé faire un documentaire sur le pianiste mais, ne trouvant finalement pas la forme adéquate, a bifurqué vers l’animation et l’enquête journalistique. Il mettra en scène un reporter bien décidé à percer le mystère de Tenório, soupçonné d’avoir été tué par une milice argentine à l’orée de la dictature en 1976. Là encore, histoire, musique et politique seront entremêlés. A la direction artistique, Trueba retrouvera Javier Mariscal après Chico et Rita réalisé en 2010. Mariscal utilisera différentes ambiances colorées pour les trois époques du film et nous plonger dans différents climats. Jeff Goldblum devrait prêter sa voix au journaliste. Le producteur, Film constellation, avait lancé le projet avec Prima linea mais leur faillite ayant été actée voilà quelques semaines, ils sont à la recherche de nouveaux partenaires financiers.
Enfin, la réalisatrice Alex Helfrecht devrait mettre en scène une adaptation du Winterreise de Franz Schubert à partir de poèmes de Wilhelm Müller, une des pièces musicales les plus jouées au monde, pour une coproduction entre Oiffy (Royaume-Uni), Les Films d’ici (France), Breakthru (Pologne) et Pandora film (Allemagne). L’œuvre, une histoire d’amour tragique et voyage solitaire, est constituée de 24 lieder pour piano et voix et chaque chant, devrait être animation en un plan séquence sans aucun mot prononcé autre que les chants. Le scénario évoquera un poète meurtri qui, banni de la société, erre à travers les montagnes au seuil de la vie et de la mort. Le film devrait être fait en rotoscopie, à la manière de Loving Vincent dont le producteur est attaché au projet. On retrouvera dans les rôle clé Gaspard Ulliel, John Malkovitch ou Charles Berling. McGuff devrait également être de la partie pour les effets visuels. Le rendu global sera probablement très loin de ce qu’avait pu proposer un autre animateur, William Kentridge qui l’avait présenté sous forme scénique et filmique au festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 2014. Si le projet se concrétise, la comparaison sera intéressante.
Demain nous reviendrons sur les différents projets d’adaptations et quelques idées originales.
24 mars 2020