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Festivals

Clermont-Ferrand s’anime pour la 40ème année (2018) – Jour 1

par Nicolas Thys

A la question : à quoi reconnait-on qu’on est en France ? Une première réponse surgit de temps à autre en hiver : quand les transports connaissent des retards de plus d’une heure et demi, sans compter les annulations diverses et variées, simplement parce qu’il a tombé quelques centimètres de neige sur Paris la veille. C’est à cela que tiennent la possibilité d’assister à certaines séances dans un grand festival comme celui de Clermont-Ferrand où l’on vient d’arriver. Grand mais perdu au milieu de la France entre des volcans éteints, des paysages aussi vides que beaux et des meules de fromages à n’en plus finir. Ces éléments expliquent en partie – la programmation en est bien sûr un autre – ce qui draine les spectateurs depuis plus de 40 ans ici-bas, quitte à affronter les pièges ferroviaires, pour assister à des séances de films courts pendant près de 10 jours. Il faut imaginer la ville entière vivre au rythme de la dizaine de salles qui tournent en permanence de dix heures du matin à minuit, régulièrement pleines. 8000 films reçus, environ 150 en sélection officielle ainsi que d’autres présentés dans des programmations parallèles. Cette année la Suisse, la cuisine et l’école polonaise de Lodz sont notamment à l’honneur.

 

Parmi les films en compétition l’animation occupe toujours une certaine place du tableau, un peu moins cette année que les précédentes. 22 films seront montrés dans les 31 programmes alors que l’année passée c’était pratiquement un par programme. Certains d’entre eux ont déjà fait le tour du monde et été mentionnés dans de précédentes chroniques, notamment à Annecy, et nous n’y reviendrons pas (Par exemple : Min Borda de Nikki Lindroth von Bahr, Manivald de Chintis Lundgren ou Negative space de Ru Kawahata et Max Porter, à propos desquels nous avons déjà écrit tout le bien que nous en pensions). Autant aller découvrir les autres et leur consacrer quelques lignes.

Si tout se passe correctement et qu’une cohorte de bonshommes de neige sauvages ne vient pas manifester devant les salles contre la chaleur humaine que dégage le public, cette semaine seront donc au programme : Sébastien Laudenbach, David OReilly, Nikita Diakur, Rosto, Gilles Cuvelier, Jossie Malis Alvarez, Mor Israeli, Riry Byrne, Frédéric Hainaut, Trevor Jimenez, Seo-Ro Ho, Gabriel Böhmer, Dirk de Bruyn et d’autres surprises.

Bien sûr nous verrons autre chose que de l’animation sans pour autant nous y attarder trop. Cela ne nous empêchera pas de mentionner certains films réussis et importants comme le nouvel opus de William Laboury, Chose mentale. Le cinéaste traitait des nouvelles images, de leur rapport aux réel, dans Hotaru, voilà deux ans, un film de montage sous l’influence claire de Chris Marker. Cette fois il travaille les ondes, les perturbations psychiques et psychiques, le mouvement humain qui s’échappe de son enveloppe corporelle.

 

Côté animation, c’est l’imagerie informatique qui aura été la plus questionnée lors de ce premier jour avec notamment Everything de David OReilly et Ugly de Nikita Diakur. Alors que le second a l’air d’une pochade au scénario improvisé et au design mal dégrossi, le premier se veut, à première vue, sérieux en se plaçant sous l’égide du penseur britannique Alan Watts. Pourtant, dans les faits, c’est l’inverse qui se produit, le sérieux offrant au regard un grand n’importe quoi pendant que la mocheté annoncée dans le titre donne lieu à une œuvre très réfléchie et singulière. Cependant, ces courts-métrages proposent deux voyages complémentaires dans ce qu’on appelle encore souvent les « nouvelles images », expression vieille pourtant de quelques décennies.

Après son mémorable External world, quintessence frénétique et mélancolique de la décennie précédente, OReilly a comme entamé une nouvelle phase de sa carrière. Sa pratique s’est entremêlée totalement au jeu vidéo au point de devenir un entre-deux entre le cinéma et l’animation. La thématique vidéoludique lui était déjà familière mais ses premiers films s’attachaient davantage au cœur de la création informatique. Il ne dissimulait aucun artefact, ne cherchait jamais le lisse ou le formaté mais allait toujours plus loin dans l’idée de ne pas masquer le code qui lui servait de matière créatrice. Malgré Disney, l’animation n’a jamais été censée devenir hyperréaliste, devenir un simulacre du réel, mais au contraire s’en détacher, proposer d’autres modes d’expression. Ces dernières années son langage visuel s’est de plus en plus confondu avec le gaming. En plus d’avoir modélisé des jeux atmosphériques sans véritable objectif à atteindre, des « nothing game » loin d’être un « everything », il a conçu la Stupidité Artificielle qu’on voit dans Her de Spike Jonze.

Aujourd’hui, son Everything a, à première vue, l’air d’une captation d’un truc jouable bizarre et moche qu’il a lui-même créé doublé d’un dialogue sirupeux en voix-off à la manière des docus de vulgarisation scientifiques qu’on peut voir partout à la TV. Et, d’une certaine façon, certains pourront prendre le film au premier degré, se laisser immerger et bercer par la voix, sans voir la surprenante parodie qu’il est visuellement. Le discours surplombant les images mêle spiritualité et sens commun autour de la totalité du monde, de son interconnexion, prenant appui sur des théories philosophico-techniques rebattues depuis longtemps – déjà réutilisées par Jean Epstein par rapport au cinéma dès les années 1920 – liées au microscope et au télescope, à la possibilité de voir l’infiniment grand et petit, des mondes hors de notre champ de vision habituel, les uns et les autres étant liés.

Autant la voix d’Alan Watts ressasse des clichés sympathiques, autant l’animation s’en détache de par les mouvements. L’idée d’image par image est mise à mal par un défilement continu polygonal des plus simples et sans aucun détail. On se trouve pris dans un monde en 3D, où les personnages, animaux, insectes, n’ont que 4 poses : sur les pieds, sur le dos, sur les fesses et sur la tête. Ils bougent en tournant sur ces dernières, comme si le réalisateur avait oublié à la fois que la faune se mouvait généralement grâce à ses pattes et les intervalles entre ces poses. En même temps, son monde est-il l’image du nôtre et est-ce bien nécessaire de s’embêter pour si peu ? Le scrolling affiche sans cesse ses limites, nous portant dans des endroits où nul n’a de prise – et donc « injouable » – sauf errer sans fin entre les multiples agrandissements dans l’herbe et les éternels éloignements dans les galaxies. Une sorte de Katamari forever, en plus absurde et nihiliste.

David OReilly, en utilisant à son avantage le formatage documentaire vu à la télé, scientifique et animalier, propose une caricature délirante du monde où l’animateur et le joueur ne sont plus rien une fois l’encodage terminé. Ils affichent leurs limites. Tout comme le spectateur invité à stagner sur son siège en se demandant pourquoi il n’a aucune manette entre les mains (mais à quoi bon ? il n’aurait rien à faire sauf tourner en rond ou en sphère). Ceci dans un univers sans humain. A travers ce film qui est presque une installation, il s’amuse avec les limites formelles de l’animation, au sens le plus large du terme, et avec les limites d’un monde voué à n’être qu’une boucle immense sur laquelle nul n’aura de prise, soulignant d’autant plus la vacuité sociale du genre humain. C’est en somme un merveilleux film sur Rien !

 

On écrit, on écrit. Un peu trop. On ménagera donc le suspense pour Ugly et son charaignée moche pris dans une apocalypse rose et bleu. Ils attendront demain. Pour patienter voilà son « making-off« . On reparlera également de la masterclass donnée par Georges Schwizgebel et animée par Antoine Lopez (auteur de l’affiche de cette année).


8 février 2018