Festival du court métrage de Clermont-Ferrand 2023
par Nicolas Thys
Après une année 2022 réussie mais accusant une importante baisse de spectateurs comparée à l’avant pandémie, la nouvelle édition du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand a retrouvé ses couleurs affichant 160 000 entrées soit quasiment autant qu’en 2020. De même, le marché du film, plutôt vide l’année passée a battu son plein avec un grand nombre d’invités et de belles perspectives pour les années à venir.
Cette année, outre la compétition et les programmations habituelles une carte blanche était offerte à Apaches films, producteurs, entre autre, des films d’Anton Bialas, Taïwan a succédé à l’Espagne comme pays à l’honneur et une rétrospective Libido était organisée autour de films dont le thème central est la sexualité. Après trois jours passés à arpenter les différentes salles du festival qui programmaient plus de 500 films parmi les plus de 8300 reçus, nul doute que le film court se porte bien. Mais, en même temps, reviennent les mêmes regrets d’année en année : assez peu de films d’animation et de documentaires figurent au sein des compétitions Internationales et Françaises. On en a dénombré 7 de chaque sur les 73 programmés dans la compétition internationale pour 8 courts animés et 2 documentaires sur les 56 courts français. Ces deux formes cinématographiques, ainsi que les œuvres plus expérimentales, continuent infatigablement à être reléguées dans la compétition Labo qui semble réunir les films dont les sélectionneurs ne savent pas trop quoi faire comme si ces formes peinaient à cohabiter ensemble. D’ailleurs, un seul film Labo sur les 25 de cette sélection était catalogué simplement « fiction » (comme si l’animation ne pouvait être de la fiction), l’envoutant et particulièrement charnel et gore Hideous de Yann Gonzalez dont l’onirisme décapant fait toujours mouche. Que ce soit dans ses courts ou ses longs, il impose un univers unique. En prime, une apparition de Jimmy Sommerville.
Les compétitions internationales et françaises ont brillé, comme c’est souvent le cas, par un certain classicisme formel et des thématiques sociales et familiales déjà beaucoup traitées – les difficiles entrées dans l’âge adulte et les drames amoureux et familiaux ont encore de beaux jours devant eux. Cependant, deux points positifs cette année. D’abord, un nombre de comédies plus élevés que d’habitude. Peut-être témoigne-t-il d’une volonté pour les cinéastes de se libérer de certains carcans après deux années étouffantes à l’image de La Fumée pique les yeux du singapourien Alvin Lee, autour d’un corps malencontreusement incinéré. Ensuite, un moins grand nombre d’œuvres qui ressemblent à des « bandes annonces » de longs métrages à venir avant d’être de véritables films courts.
S’il fallait en retenir quelques-uns dans ces catégories, ce serait d’abord le simple mais redoutablement efficace Aaaah ! d’Osman Cerfon. Le cinéaste, déjà auteur des Chroniques de la poisse et de Je sors acheter des cigarettes, deux films où l’humour se mélange incroyablement aux drames du quotidien et en font ressurgir toute la cruauté, reprend le son A et ses multiples résonnances pour le déployer dans un univers scolaire. Tout au long d’une journée, dans de petites saynètes réalistes rythmées par des voix monosyllabiques, nous suivons encore des personnages dégoutés, amusés, ennuyés (par les cours), se battant, regardant du porno ou se rebellant dans un capharnaüm à première vue drôle et anecdotique mais qui, en y repensant, laisse planer un petit quelque chose de perturbé.
Viennent ensuite Swann dans le centre d’Iris Chassaigne, déjà présenté à la Semaine de la critique. Le centre est un centre commercial de ville moyenne, comme nous en avons tous déjà vu, qui se vide petit à petit. Un univers clos, quasiment fantomatique, dans lequel se promène une jeune femme qui se cherche en tentant de résoudre l’inéluctable : comment faire revivre ce lieu déjà mort ? Entre le fantasme et la réalité cruelle, entre des amours vaines et des amitiés de quelques temps, ce centre est d’abord intérieur, intime, éphémère. Le paysage doucereux d’une âme en peine.
A l’opposé, mais toujours dans l’observation et l’intime, se dresse La Grande Arche de Camille Authouart, premier court métrage professionnel d’une animatrice ancrée tout autant sur les micromouvements du quotidien que sur la plombante rigidité des monuments qu’elle présente. L’arche de la Défense et ses œuvres d’art en plein air hantent la réalisatrice qui se livre à une belle introspection autour de la redécouverte de cet endroit où tout le monde passe sans s’arrêter et où elle contemple le seul être qui se pose vraiment : un SDF que nul ne voit, avant de traverser la nuit en s’immergeant dans le fantastique du lieu. En plus de proposer une belle réflexion sur le mouvement et l’art, Camille Authouart joue à merveille sur cet entre-deux où emmène l’animation : une réalité flottante qui transforme un lieu en apparence indifférent en un ailleurs qui permet d’aller au plus profond de soi.
Signalons également le très beau film brésilien de Guilherme Xavier Ribeiro, Dans la province profonde, dont nous n’avons probablement pas compris tous les tenants et les aboutissants mais qui proposent une plongée déroutante dans une petite ville hostile à la recherche d’une jument. Enfin, le film d’animation le plus long et le plus fou du festival : My years of dicks de l’islandaise Sara Gunnarsdóttir qui adapte avec des techniques et des esthétiques différentes, les mémoires de Pamela Ribon, adolescente dans les années 1990 qui cherche à perdre sa virginité et tombe sans cesse sur des garçons plus horribles les uns que les autres.
La compétition la plus intéressante restait la compétition Labo. C’est celle où se joue quelque chose du futur des images cinématographiques et où on peut assister aux expérimentations contemporaines les plus importantes. Même si certains films restent finalement conventionnels et peinent à convaincre – notamment les pseudos montages poétiques d’images surplombés d’une voix off et le Scale de Joseph Pierce qui ne fait que ressasser ce qu’avait déjà fait Richard Linklater voilà déjà 20 ans et d’autres encore avant lui – l’ensemble était d’un excellent niveau. En particulier, plusieurs documentaires intrigants et passionnants comme la recréation numérique d’un espace confiné par Ting Chi-Wen dans L’Approche textuelle du dialogue contemporain ainsi que l’original – c’est rare – journal d’un confinement en Chine par Xiao Yang & Sisi Chen dans Journal du rebord de ma fenêtre. Ou encore le Fantasme dans une jungle de béton du Bengladais Mehedi Mostafa qui évoque les villes contemporaines, leurs étendues anarchiques et le besoin de renouer avec un monde plus naturel. La mécanique des fluides de Gala Hernandez Lopez proposait un – long mais – surprenant voyage dans la sphère des Incels, ces masculinistes qui envahissent internet à partir de vidéos et témoignages issus directement de pages web. Enfin, 45ème parallèle de Lawrence Abu Hamdan s’amuse de l’arbitraire de certaines lois et des contradictions de la justice américaine à travers un lieu unique, une béance géographique : une bibliothèque qui est également frontière et passage entre le Canada et les Etats-Unis et permet de réunir des proches éloignés.
Côté animation, la plupart des films étaient présentés au festival d’Annecy 2022 et la sélection ressemblait à un best of. Il faut quand même redire à quel point La Débutante d’Elizabeth Hobbs, Persona de Suji Moon, Pentola de Leo Cernic et Backflip de Nikita Diakur sont de belles réussites, chacun dans leur genre. Les films oscillent entre critique sociale d’un monde bourgeois pour la première et d’un univers superficiel pour la seconde et délires autour de super héros le troisième et d’une intelligence artificielle utilisée pour faire des sauts arrière sans se casser le cou pour le dernier.
Mais le film qui ressort le plus de cette sélection reste Le Semeur d’étoiles de Lois Patiño, déjà auteur du sublime Montaña en sombra en 2014. Cette fois, son film évoque les contours d’une ville, ses variations poétiques et politiques, à travers les lumières qui surgissent de bateaux, de fenêtres ou autres, mais aussi une nuit qui n’arrivera jamais à être totalement noire et crée, elle aussi, des fantômes. Sur des textes – peut-être un peu trop présents – philosophiques, il dresse un portrait d’un monde aussi sombre que mystérieux.
Présenté dans une compétition scolaire signalons également deux films animés réussis : Le Crabe de Piotr Chmielewski, film étudiant en volume sur un bateau vu depuis un crabe qui manque de se faire cuisiner, mais aussi Harvey produit par l’ONF/NFB et Folimage, troisième court métrage de Janice Nadeau et adaptation d’un livre d’Hervé Bouchard qu’elle avait déjà illustré. Elle s’intéresse cette fois à l’imaginaire d’un enfant quand un de ses parents meurt brutalement. Sous une apparente simplicité, le film plonge dans un univers touchant, difficile mais plein d’espoir.
Et en attendant la prochaine édition, voici le palmarès des principaux prix :
Compétition nationale
Grand Prix : La Lutte est une fin d’Arthur Thomas-Pavlowsky
Prix spécial du jury : Fairplay de Zoel Aeschbacher
Prix du public : Tondex 2000 de Jean Baptiste Leonetti
Prix étudiant : Ressources humaines de Titouan Tillier, Isaac Wenzek et Trinidad Plass Caussade
Compétition internationale
Grand Prix : Will My Parents Come to See Me de Mo Harawe (Autriche, Allemagne, Somalie)
Prix spécial du jury : Invincible de Vincent René-Lortie (Canada)
Prix du jury : Nothing Holier Than A Dolphin d’Isabella Margara (Grèce)
Prix du meilleur film d’animation : O Homem do Lixo (The Garbage Man) de Laura Gonçalves (Portugal)
Prix étudiant : Um Caroço de Abacate (An Avocado Pit) d’Ary Zara (Portugal)
Compétition Labo
Grand Prix : Hideous de Yann Gonzalez (UK)
Prix spécial du jury : The Debutante d’Elizabeth Hobbs (UK)
Prix du jury : Scale de Joseph Pierce (France, Belgique, UK, République Tchèque)
Prix étudiant : Fantasy in a Concrete Jungle de Mehedi Mostafa (Bangladesh)
7 février 2023