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Festivals

Fantasia 2013 – Blogue 4

par Céline Gobert

LA FLAMME

Ils étaient nombreux ceux qui, samedi soir, cherchaient à se payer simultanément du fun et du gore, l’un des cocktails favoris des festivaliers de Fantasia. La file d’attente – qui se pressait pour entrer dans la salle de You’re next, film d’invasion domestique signé Adam Wingard – pouvait d’ailleurs en témoigner… Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que les amateurs d’éclats de rires ensanglantés n’ont pas été déçus ! Acclamant tour à tour les sursauts sauvages d’une héroïne bien décidée à combattre ses agresseurs, ou les violents twists d’un scénario aussi drôle que roublard, le public de Fantasia n’a pas caché son enthousiasme face à une oeuvre plus maligne qu’elle n’en a l’air. Encore un bel exemple de plaisir collectif, exacerbé, exprimé. You’re next, avec son séduisant crescendo horrifique et son jusqu’au-boutisme écarlate, a fait communier les sens. C’était, au passage, la dernière fin de semaine du festival, qui clôturera son avalanche de longs métrages atypiques avec la première, mardi, de The World’s end du joyeux trublion britannique Edgar Wright. Une conclusion comique. Tiens, tiens.

Oui, le film d’horreur, et on aurait tendance à l’oublier parfois, c’est aussi de l’entertainment pur. Du zéro prise de tête. Du dégueulasse, pour le plaisir du dégueulasse. Du cerveau laissé aux vestiaires, et de la déconne en barre. De ce fun assumé, les films de genre en sont bourrés. Ce You’re next donc, qu’était venu présenter l’acteur et cinéaste indépendant Joe Swanberg, vraie oeuvre décomplexée, a su dynamiter les codes et poncifs coutumiers à ce genre de films. Là où The Purge de James DeMonaco (sorti récemment en salles) se prenait bien trop au sérieux sur un sujet (quasi) similaire, soit le « home invasion movie » où des intrus pénètrent dans la maison d’une famille WASP, You’re next joue la carte de l’insolence cadencée, et met en place une double progression impitoyablement jubilatoire: et vers la tragédie, et vers l’hilarité générale. À mesure que les membres d’une famille se font décimer par un trio de psychopathes arborant des masques d’animaux, le spectateur se laisse prendre (pour son plus grand plaisir) dans les filets d’une mécanique en forme de « toujours plus». Toujours plus d’acrobaties scénaristiques. Toujours plus d’inventivités morbides. Jusqu’au délire paroxystique de fin, qui offre en conclusion du show un feu d’artifice d’humour noir. Une prise de recul en mode rigolade bien trop rare sur les écrans depuis la saga des Final Destination

Autre proposition fun du week-end, et qui valait le détour, c’était l’Imaginaerum de Stobe Harju, extension visuelle de l’album de power metal épique du groupe Nightwish. On est d’emblée plongé dans un univers bizarroïde, quelque part entre la candeur d’un Burton, l’excentricité d’un Terry Gilliam, et… la médiocrité d’un clip vidéo cheap de métalleux chevelus. Surprise: en épousant des postures intello-loufoques, le groupe finlandais accouche d’une partition étonnamment touchante. Parce qu’il y a, paradoxalement et tout comme dans You’re next, une véritable modestie derrière l’apparente grandiloquence du package. Comme s’il fallait tout mettre sur la table, montrer de quoi on est capable, se donner à fond. D’une seule traite, sans rature possible, et dopé au culot. À la fin, Imaginaerum – à force de mixer notes enchanteresses et riffs dark – fabrique de l’inédit, de l’onirisme croisé fantasy, et, un fragile cauchemar de freaks où il se joue bien davantage que des morceaux de métal. Car en boostant leurs singularités propres, les deux oeuvres ont vomi leur noirceur avec fun, ont rejoué – et déjoué – les codes de façon ludique, ravivant de ses cendres le triptyque de la flamme créatrice : le style, l’unicité, et le simple plaisir de faire ce que l’on fait. Et – sans flatterie aucune – on pouvait sentir dans l’air, à chaque projection de film, que c’est aussi ce qui anime Fantasia.

Bonne fin de festival à tous !

Céline Gobert


5 août 2013