Fantasia 2016 – Blogue 1
par Alexandre Fontaine Rousseau
Blogue Fantasia 2016
Du 14 au 17 juillet
La première fin de semaine de cette vingtième édition de Fantasia a surtout été marquée par le passage à Montréal d’une poignée d’invités prestigieux. Le maître du cinéma de genre mexicain Guillermo del Toro est venu faire un tour en ville pour recevoir un prix Cheval Noir et pour présenter le documentaire Creature Designers : The Frankenstein Complex, auquel il participe à titre d’intervenant. Avec un enthousiasme plus souvent qu’autrement contagieux, le film de Gilles Penso et Alexandre Poncet retrace les grandes lignes d’une histoire des effets spéciaux au cinéma en s’intéressant plus particulièrement, comme son titre l’indique explicitement, à la figure du monstre. Par-delà l’ébauche d’un discours plutôt simpliste sur la place qu’occupe celle-ci dans l’imaginaire collectif, le film s’intéresse principalement à l’aspect technique de son sujet – profitant de l’occasion pour rendre un hommage senti à cette génération d’artisans ayant littéralement donné vie au cinéma populaire des années 1970 et 1980.
Poursuivant par le biais d’une classe de maître d’une générosité exemplaire la réflexion entamée par le film, Guillermo del Toro aura été fidèle à sa réputation d’orateur hors-pair, faisant preuve d’humour et d’humilité tout en répondant avec éloquence et érudition aux questions de la foule. L’aura du personnage fait écho à cette candeur remarquable qui traverse son oeuvre – et, à l’issue de cette rencontre, force est d’admettre que l’on comprend un peu mieux pourquoi le réalisateur du Labyrinthe de Pan et de Crimson Peak occupe une place privilégiée dans le panthéon des auteurs de genre contemporains. Del Toro cristallise l’esprit exalté d’une cinéphilie portée par la passion, mais aussi par la volonté de partager celle-ci à tout prix : « whatever the fuck you need to go against, you go against. » Son passage à Fantasia compte déjà parmi les moments mémorables de l’histoire du festival.
Second invité de marque de cette première fin de semaine de Fantasia, le prolifique Takashi Miike a lui aussi eu droit à un accueil particulièrement chaleureux de la part du public montréalais. Il faut dire que le festival entretient une relation particulière avec l’oeuvre du cinéaste japonais : c’est à Fantasia qu’avait eu lieu la première nord-américaine de Fudoh : The Next Generation (1996), son premier succès à l’échelle internationale, et plus de trente de ses films y ont été présentés depuis. Autrement dit, Fantasia ne serait pas Fantasia sans Miike; et c’est en ce sens une véritable légende vivante qui s’est présentée ce samedi pour recevoir un prix honorifique pour l’ensemble de sa carrière. Calme et posé, Miike est aux antipodes de cette image d’énergumène que projète sa filmographie titanesque où se côtoient tous les genres et les excès; mais, à 55 ans, il ne montre aucun signe de relâchement, poursuivant sur cette inépuisable lancée dont la trajectoire ne cesse d’étonner.
Malgré tout, son plus récent long métrage Terra Formars s’avère une franche déception. Le film, adapté d’un manga à succès, repose sur une prémisse de prime abord banale qui révèle petit à petit l’ampleur démesurée de son absurdité. Un groupe de mercenaires est envoyé sur Mars dans le but d’éradiquer une colonie de cafards mutants; or, chacun des membres de la mission a été génétiquement modifié à son insu, afin de développer les habiletés d’un insecte donné. Habituellement, Miike est passé maître dans l’art de s’approprier ce type de prémisse farfelue pour en exploiter pleinement le potentiel excessif. Mais, cette fois-ci, le cinéaste ne trouve malheureusement pas le moyen de transcender le ridicule de son récit et se contente de réaliser un film de science-fiction parfaitement générique – enchaînant sans inspiration des scènes d’action monotones qui sont, de surcroît, ankylosées par la facture numérique foncièrement neutre de l’ensemble.
Autrement plus réussi, As the Gods Will s’inscrit pour sa part dans le genre du « death game » – injectant une réjouissante dose d’excentricité à la mécanique d’élimination systématique qui définit cette formule par ailleurs familière. Ici, Miike s’amuse réellement avec le matériel que met à sa disposition le manga de Muneyuki Kaneshiro et Akeji Fujimura : un chat de porcelaine géant qui mange des étudiants déguisés en souris, des poupées kokeshi possédées qui tournoient autour de leurs « camarades de jeu » en récitant des comptines, une tête de Daruma qui réduit ses victimes impuissantes à l’état de billes rouges représentant le sang qui gicle… As the Gods Will arrive par son inventivité constante à déjouer les pièges que lui tend sa propre violence outrancière. Sa folie meurtrière bascule toujours de manière inattendue vers la représentation, transformée par une série de trouvailles formelles en pure matière visuelle; et les jeux cruels qu’il met en scène peuvent de ce fait déployer leur plein potentiel ludique, sans jamais sombrer dans l’abjection.
Le cinéma de Johnnie To s’articule entièrement autour du principe du jeu. L’action, chez lui, n’est tout au plus qu’un prétexte, une manière de relancer le jeu. À cet égard, Three s’avère parfaitement représentatif de cette méthode que le cinéaste a depuis longtemps perfectionné, mais qu’il trouve malgré tout le moyen de renouveler d’un film à l’autre. Réglé au quart de tour malgré sa nature improvisée, ce pur exercice de style fait preuve d’une minutie caricaturale, détaillant l’action de manière à créer un effet d’anticipation qui culmine sur un plan-séquence totalement surréaliste – instant d’apesanteur relevant à la fois du tour de force technique et de la boutade inconséquente. Le génie de To est ici d’assumer entièrement la vacuité de sa virtuosité, ses personnages n’étant plus que des corps à disposer dans un espace quasi abstrait, tandis que le scénario sert uniquement de prétexte à une mise en scène qui repousse ses propres limites en épuisant le principe même de « sens ».
Hunt for the Wilderpeople est très exactement le genre de petit film parfaitement sympathique qui ne devrait pas être une exception mais bien la règle – une comédie grand public juste assez décalée dont le coeur est à la proverbiale « bonne place » et dont l’exécution, d’une belle inventivité, met en valeur le charme discrètement irrésistible. Taika Waititi, réalisateur de l’excellent What We Do in the Shadows, signe avec ce quatrième long métrage une fable fantaisiste attachante dans laquelle un Sam Neill aussi bourru que barbu s’enfonce dans la forêt néo-zélandaise avec la police à ses trousses, se liant progressivement d’amitié avec une petite peste à laquelle il n’avait aucunement l’intention de s’attacher. Sans rien réinventer, sans non plus surprendre outre mesure, cette improbable histoire d’outsiders confirme cependant le talent bien réel d’un jeune cinéaste qui devra désormais prouver que sa touche personnelle peut survivre à la machine hollywoodienne, puisqu’il tourne actuellement Thor: Ragnarok pour le compte des studios Marvel.
Suite à une série de petits films d’horreur particulièrement bien ficelés (House of the Devil, The Innkeepers), le réalisateur américain Ti West change de registre avec In A Valley of Violence, western s’inscrivant très clairement dans le sillage de Tarantino qui ne possède ni l’intelligence, ni la dextérité d’un Hateful Eight ou même d’un Django Unchained. Tristement desservi par une photographie fade aux couleurs étrangement délavées, le film est en quelque sorte sauvé par son absence totale de prétention. Visiblement, West n’est porté par aucune autre intention que celle de livrer un pastiche de genre efficace – une simple histoire de vengeance dépourvue de tout second degré, tablant de manière rudimentaire sur les émotions viscérales qu’elle convoque. Au bout du compte, In A Valley of Violence est sauvé de l’anonymat par le charisme sincèrement époustouflant de son protagoniste canin – qui éclipse le reste d’une distribution comptant parmi ses rangs John Travolta et Ethan Hawke.
19 juillet 2016