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Festivals

Fantasia 2016 – Blogue 2

par Elijah Bukreev

Le cinéma sud-coréen est l’un des plus représentés au sein de cette édition de Fantasia, et avec raison : ce pays semble produire une quantité miraculeuse de films remarquables, surtout si l’on prend en compte la variété de genres et de styles que l’on y retrouve.

Il y a d’abord The Wailing, enquête policière aux accents surnaturels qui doit sans doute son effet épique à sa durée de 156 minutes, et son charme singulier à son mélange de registres : on passe dans les premières scènes si rapidement de la comédie burlesque aux moments d’effroi que l’on se croirait presque dans un film d’Edgar Wright, avant de s’enfoncer dans un récit de plus en plus sinistre, un puzzle moral dans lequel se rencontrent le folklore coréen et la fable biblique. Le réalisateur Na Hong-jin, connu pour ses thrillers The Chaser et The Yellow Sea, porte ici un discours sur la xénophobie qui n’est pas entièrement cohérent, sans doute pour les besoins de l’intrigue, mais dont le message final est tout de même percutant. À voir si ce n’est que pour la scène d’exorcisme, d’une tension spectaculaire, et qui a toutes les chances d’entrer dans les annales.

Peu de projections ont autant exalté la foule que Train to Busan, film de zombies coréen qui se déroule presque entièrement à bord d’un train, et dont chaque virement de situation a été accompagné d’un tonnerre d’applaudissements. Si le fil narratif est relativement prévisible, et les personnages très typiques du film de catastrophe américain (le père divorcé qui néglige sa fille, le héros d’action plaisantin, le méchant chef d’entreprise), c’est une œuvre qui regorge de passion et d’énergie. Il fut un temps où Hollywood excellait dans ce type de divertissement pur, mais on n’y retrouve presque plus l’amour de la cause qui est si présent dans ce premier film à acteurs du réalisateur d’animation Yeon Sang-ho (Seoul Station). L’inventivité du scénario, qui place les personnages dans des situations inusitées dans le genre, s’accompagne d’une critique sociale qui s’apparente au Snowpiercer de Bong Joon-ho.

Karakoke Crazies est un film beaucoup plus modeste et assez théâtral sous forme de huis clos. On pense presque au Delicatessen de Jeunet et Caro en suivant les déplacements fréquents de la caméra le long de couloirs sous-éclairés, dans une atmosphère de mystère impénétrable et de vague menace. Le lieu principal de cette bien étrange comédie dramatique, un bar à karaoké triste et désert, est à l’image de ses personnages marginaux au passé douloureux, pour lesquels l’établissement devient progressivement une sorte de refuge, et ses habitants une famille. Tant d’émotions différentes se succèdent au cours du film qu’il finit par ressembler à une  thérapie de groupe. On en ressort étrangement attendri, malgré des passages violents et décidément troublants.

The Throne témoigne encore une fois de la grande diversité du cinéma coréen, mais aussi de son rapport important à la famille, et plus précisément au rôle paternel. Ce  drame historique soumis aux Oscars en 2015 retrace l’histoire du conflit entre un roi et son fils au XVIIe siècle. Le film recrée avec délicatesse la Corée de l’époque, limitant cependant sa vision à trois générations de la famille royale, où les tensions montent jusqu’à aboutir à une condamnation à mort. C’est le système légal et traditionnel parfois absurde qui sert d’antagoniste, le « trône » si l’on veut, et le roi lui-même est contraint de s’y soumettre, mettant en marche une tragédie qui semble d’inspiration grecque.

En conclusion à cette première vague de films coréens, il y a Fourth Place, un drame qui dépeint avec naturalisme le monde du sport compétitif, et un cycle de violence qui se perpétue d’une génération à une autre. L’absence étonnante de personnages adultes positifs, entre un enseignant de nage cynique et agressif, un journaliste hypocrite et une mère prête à tout pour la réussite de son fils, contraste avec l’innocence d’un apprenti nageur qui aimerait pratiquer le sport à sa façon, sans se plier à un système d’éducation déshumanisant. D’une grande authenticité, surtout pour ce qui touche à la vie quotidienne du jeune héros et de sa famille, le film est une ode à la liberté, illustrée par des scènes de nage d’une grâce infinie.

En hommage au regretté Andrzej Zulawski, le festival a également programmé de nombreux films polonais, et c’est sans aucun doute The Lure qui a le plus fait parler de lui. Le premier musical tourné en Pologne, et probablement le dernier à mettre en scène des sirènes mangeuses d’hommes, c’est un film tourné avec ambition, et une forte sensibilité féminine qui évoque Sofia Coppola, utilisant des éléments d’horreur pour communiquer la brutalité et la douleur du passage à l’âge adulte de deux jeunes filles, ou sirènes, s’inspirant librement de La petite sirène d’Andersen, resituant le conte dans un bar disco des années 1980. Parfois trop flou pour mener à une compréhension parfaite du récit et de ses personnages, le film est toutefois doux et sensuel, même dans ses moments violents, et il est facile de se laisser charmer par le chant des sirènes, jusqu’à oublier qu’il y a même un récit à suivre.

I, Olga Hepnarova, bien que co-produit par la Pologne, est certainement un film tchèque. Il décrit les évènements qui ont conduit à une tuerie ayant marqué l’histoire du pays dans les années 1970. Le film, tourné efficacement en noir et blanc, est d’une précision meurtrière, se concentrant entièrement sur son personnage principal, sans jamais s’égarer vers des références historiques, sociales ou politiques. Il en résulte un tête-à-tête prolongé avec le personnage éponyme, une jeune femme solitaire et amère, dont le regard perce l’écran. Elle est interprétée par Michalina Olszanska, l’une des vedettes de The Lure, qui provoque ici, tour à tour, l’horreur, l’empathie, la fascination. Compte tenu de son récit, il est remarquable de voir un film si entièrement dénué de sentiments, d’une neutralité désarmante qui est toutefois abandonnée dans un dernier plan d’une brutalité ironique inattendue.

Enfin, Aloys est un de ces tout petits films d’art qui ont toutes les chances de se perdre dans la frénésie sanguinaire du festival. Une histoire d’amour insolite qui s’interroge sur le rapport des individus à leur espace vital, tant réel qu’imaginaire. Ce premier film du réalisateur suisse Tobias Nölle trace un portrait de la dépression et de l’enfermement émotionnel d’un homme avec poésie et tristesse. Celui-ci est un détective privé qui n’arrive plus à communiquer, préférant filmer les gens plutôt que de leur parler. Il se retrouve soudainement lui-même sous surveillance, ce qui ne conduit pas à un thriller paranoïaque à la The Conversation, mais à un premier contact humain qui le libère de son angoisse. Au final, il intègre le rêve d’une autre, dans lequel il se retrouve invité, à travers un montage créatif qui illustre les possibilités de transposition du son en images.


24 juillet 2016