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Fantasia 2016 – Blogue 3

par Elijah Bukreev

C’est encore une fois le cinéma asiatique qui fait figure de champion du festival, après une deuxième fin de semaine de films américains et européens décevants, voire frustrants. On comprend que l’objectif de Fantasia est d’encourager également les cinéastes débutants et indépendants. Cela est tout à fait louable, mais certaines  projections récentes ont été accueillies avec réserve, sans l’agitation ou les applaudissements spontanés qui ont marqué la semaine précédente. On a plutôt  l’impression de voir des films d’art et d’essai moyennement réussis au lieu de se consacrer à un véritable cinéma de genre.

Shelley en est un premier exemple. Il s’agit d’un film d’horreur danois réalisé par Ali Abbasi qui mêle au concept de base de Rosemary’s Baby le thème plus moderne des mères porteuses. Malgré la présence convaincante de Cosmina Stratan (Beyond the Hills) dans le rôle d’une Roumaine venue travailler pour un couple qui a choisi de s’isoler de la société, et une photographie qui évoque les films du Dogme 95, le film plonge dans des scènes cauchemardesques qui lui font rapidement perdre toute subtilité, et toute forme de lien émotionnel qui s’était formé envers les personnages. L’idée cronenbergienne d’invasion corporelle est exploitée avec trop de réserve et sans réelle introspection, ce qui en fait une œuvre décousue, au potentiel inexploité et aux procédés lassants.

Let Me Make You a Martyr offre une vision outrageusement glauque du Sud rural des États-Unis. Tous les pêchés qu’on imagine s’accumulent : prostitution, drogues dures, meurtres, suicides et crimes divers. On pense à True Detective, mais ce drame criminel sur un homme au passé trouble qui revient dans la ville de son enfance pour tuer son père adoptif est loin d’avoir le même niveau de perfection stylistique. On ne tombe pas non plus dans les tréfonds du cinéma d’exploitation – ce qui aurait pu au moins offrir quelques plaisirs malsains. Cette œuvre tape-à-l’œil est surpeuplée de personnages qui communiquent par des dialogues trop écrits, et le scénario est confus à un point tel qu’il n’est plus possible de comprendre les enjeux de l’action. Il faut aussi noter que Marilyn Manson, de loin l’acteur le plus intéressant de la distribution, n’appararaît que quelques minutes, et la fonction de son personnage au sein du récit est loin d’être claire ou particulièrement utile.

Il arrive de voir un film si incongru qu’il ne reste plus qu’à hausser les épaules et rire. C’est le cas de Tank 432, l’un des objets les plus étranges de la programmation, dont l’intention et la signification demeurent foncièrement incompréhensibles. Voici en gros le concept : des soldats, pris dans une guerre inconnue, se réfugient dans un tank abandonné, et n’arrivent plus à en sortir. Cette histoire bien maigre est trop symbolique pour n’être qu’un exercice de style, mais trop diffuse pour satisfaire à quelque niveau que ce soit. Peut-on l’apprécier simplement en tant qu’expérience de claustrophobie? Dans la mesure où le montage effréné rappelle plutôt un film d’action dans le style de Tony Scott, on n’a simplement pas la patience de s’immerger dans un certain espace et d’y rester plus de quelques secondes à la fois.

Contrairement aux films précédemment cités, Realive, du réalisateur et scénariste espagnol Mateo Gil, est très linéaire, ce qui est appréciable, mais pas assez pour en faire une œuvre réellement digne d’intérêt. Gil s’interroge ici sur l’idée de l’immortalité, en présentant une situation où un homme qui décide de geler son corps est ramené à la vie 70 ans plus tard.  C’est un de ces films de science-fiction bourrés d’interrogations existentielles, où tout n’existe que pour valider, ou pas, une thèse posée d’avance par l’auteur. On peut donc s’étonner de voir, côte à côte, des passages schématiques, comme une vision du futur simpliste, et d’autres extrêmement crus, comme un accouchement réel. Même les meilleures intentions humanistes ne peuvent toutefois compenser l’impression de fausseté qui survient souvent lorsqu’un film européen est tourné dans ce style pseudo-américain qui finit par être anonyme.

If Cats Disappeared from the World présente une vision nettement plus équilibrée de la même problématique : comment un jeune homme réagira-t-il en apprenant qu’il a le cancer, et comment parviendra-t-il à accepter une mort inévitable? La réponse s’articule en quatre temps, d’une manière qui ne peut éviter de rappeler Un chant de Noël de Dickens. Le personnage s’imagine un monde sans téléphones, puis sans cinéma, sans horloges et enfin sans chats. Jamais les miaulements qui précèdent infailliblement chaque projection du festival n’auront-ils été plus appropriés. Si l’on ne le prend pas au pied de la lettre, ce drame fantastique japonais ne manque pas d’émouvoir, surtout quand on partage la cinéphilie de ses personnages. Les couleurs douces, qui se font plus vives lors d’un passage inattendu en Amérique du Sud, donnent au film une esthétique stylisée, mettant en évidence un sentimentalisme adolescent qui n’en est pas moins touchant.

Train to Busan, projeté avant Seoul Station, en était pourtant une suite : c’est dans ce dernier film que l’on voit les débuts de l’épidémie de zombies, cette fois sous forme d’animation. Ses personnages sont différents, mais le contexte est le même : la situation ne cesse de dégénérer, le danger est partout, et il faut se battre pour survivre. Quand on a vu Train to Busan en premier, on peut remarquer que Seoul Station ne possède pas cette même énergie folle, mais offre une critique sociale nettement plus développée. Ce drame de zombies met en scène une prostituée, ses proxénètes et des itinérants. Il met donc l’accent sur l’horreur des conditions de vie des parias de la société. Même si le style d’animation utilisé ne s’accorde pas toujours bien avec l’action, qui est desservie par un manque fréquent de fluidité, il n’en demeure pas moins que le film emploie efficacement les procédés habituels du genre, et offre un chapitre de plus à la saga de Yeon Sang-ho.

On trouvera difficilement dans la programmation un film plus adorable que Sori: Voice from the Heart. L’histoire d’un robot doté d’intelligence artificielle qui tombe d’un satellite et accompagne un père dans la recherche de sa fille, disparue depuis plus de dix ans. Un tel concept ne devrait pas pouvoir tenir debout mais, pour une raison inexplicable, il évite le ridicule d’un film comme Short Circuit. Sans aucune prétention, Sori a tout de même le courage de s’aventurer hors de Corée jusque dans les bureaux de la NSA et le désert de l’Afghanistan, ce qui fait sourire sans jamais briser son charme, qui s’accroît à mesure que le récit devient de plus en plus invraisemblable. Si l’on est capable de pardonner ses maladresses et sa manipulation émotionnelle flagrante, il y a de quoi apprécier ce film qui pourrait devenir un classique pour de nombreux enfants coréens.


28 juillet 2016