Je m'abonne
Festivals

Fantasia 2016 – Blogue final

par Alexandre Fontaine Rousseau

Too Young to Die! est très exactement le genre de film puéril et exubérant, énergique au point d’être épuisant, auquel nous a habitué le cinéma japonais des quinze dernières années; mais bien que la « formule » soit devenue familière avec le temps, certaines œuvres arrivent encore à nous surprendre et force et d’admettre que celle-ci fait partie du lot. Le réalisateur Kankurô Kudô, notamment scénariste des deux Zebraman de Takashi Miike, s’en donne à cœur joie d’un bout à l’autre avec cette histoire d’amour qui se déroule en enfer, sur fond de rock et de résurrections; le Diable ressemble ici à Lemmy de Mötorhead, son domaine à un concert de Kiss… et même si l’ensemble aurait profité d’un montage un peu plus resserré, on ne s’ennuie jamais très longtemps devant cette comédie qui nous rappelle que la compagnie est bien meilleure dans les bas-fonds qu’au paradis, où le bonheur est éternel mais un brin fade.

Le cinéaste américain Kevin Smith était quant à lui de passage pour venir présenter (pendant près d’une heure) Yoga Hosers, second film de sa trilogie True North amorcée en 2014 avec l’inexplicable Tusk. Comment fait-on suite à un long métrage dans lequel un homme transforme ses victimes en morses pour tromper sa solitude – et dans lequel Johnny Depp interprète un agent de la Sûreté du Québec du nom de Guy Lapointe? Dans l’esprit de Smith, la réponse semble claire : avec une armée de lutins en saucisses, un savant fou nazi dont le repaire est situé sous un dépanneur de Winnipeg, le spectre menaçant du fürher canadien Adrien Arcand ainsi que des bouchées doubles du faux accent québécois parfaitement ridicule de Johnny Depp. En ce sens, Yoga Hosers n’est pas tant un film à proprement parler que la continuation d’une inside joke particulièrement absurde entre Smith et ses fans; et la présentation du film par son auteur fait partie intégrante de cette expérience, cimentant ce lien privilégié qui l’unit à son public et justifiant par la même occasion l’existence de cette œuvre d’une qualité par ailleurs fort discutable.

La projection d’un ou deux classiques du répertoire des Shaw Brothers est désormais une tradition de Fantasia, au même titre que les fameux miaulements précédant les projections et les éruptions volcaniques d’applaudissements accompagnant un démembrement particulièrement satisfaisant. Holy Flame of the Martial World (1983) de Tony Liu Jun-Guk est une autre de ces productions psychédéliques à souhait cherchant à repousser les limites esthétiques du bon vieux film de kung fu – dans l’esprit du Demon of the Lute (1983) de Tang Tak-Cheung, présenté à Fantasia en 2014, ou encore du Buddha’s Palm (1982) de Taylor Wong, projeté l’année dernière. Après une heure de combats aussi formidables qu’improbables, on se demande inévitablement comment un film aussi délirant que celui-ci arrivera à se surpasser lui-même. Fort heureusement, Holy Flame of the Martial World trouve le moyen de se renouveler jusqu’à la toute fin; et l’ultime combat entre le bien et le mal, au cours duquel des boules disco volantes font office d’armes légendaires, mérite amplement le titre de clou du spectacle.

C’est un Jean-Claude Lord visiblement ému qui est venu récupérer le premier Prix Denis Héroux, soulignant « une contribution exceptionnelle au développement du cinéma de genre et du cinéma indépendant québécois », avant de présenter une version nouvellement restaurée de son tout premier film Délivrez-nous du mal – tourné en 1965, puis lancé en 1969. Assez audacieuse pour l’époque, cette adaptation d’un roman de Claude Jasmin met en vedette Yvon Deschamps dans le rôle d’un homme épris de l’ancien amant de sa sœur. On s’étonne d’y découvrir le réalisateur de Lance et compte en fidèle disciple de la Nouvelle vague – multipliant les clins-d’œil et les emprunts stylistiques à Truffaut, Chabrol et Resnais. Malgré quelques maladresses aisément pardonnées, le pastiche se révèle somme toute assez convaincant : la caméra de Claude Charron est d’une grande élégance et la trame sonore jazz signée François Dompierre ajoute à l’atmosphère de l’ensemble. Délivrez-nous du mal est une vraie belle curiosité historique, d’autant plus étonnante qu’elle aborde de front le thème de l’homosexualité à une époque où celle-ci était encore illégale au Canada.

Les théories de la conspiration sont toujours amusantes. Par conséquent, Operation Avalanche l’est aussi. Le second long métrage de Matt Johnson se penche sur celle selon laquelle la mission Apollo 11 est un coup monté en studio par la NASA et la CIA, relatant sous la forme d’un found footage relativement bien conçu l’élaboration et l’exécution de cette vaste supercherie impliquant notamment Stanley Kubrick. Le sujet, évidemment, est assez intéressant – à l’image de l’exécution, techniquement satisfaisante, qui repose sur quelques tours de passe-passe plutôt ingénieux. Malgré cela, on ressort de la projection relativement indifférent. Car le film, après avoir piqué notre curiosité par sa prémisse, se contente d’établir ses faits truqués avant d’être aiguillé de manière prévisible vers les conventions du thriller, qui sont ensuite appliquées mécaniquement en guise de conclusion. Tout, ici, est un peu trop clair, un peu trop transparent : tout tombe en place un peu trop parfaitement, comme si l’efficacité du scénario et la logique de l’écriture désamorçaient la surprise au lieu de l’alimenter. Un peu trop ordinaire, Operation Avalanche n’est pas pour autant déplaisant; il s’acquitte toutefois difficilement d’attentes plus élevées.

Le cinéma de Mike Flanagan utilise depuis toujours l’horreur pour aborder la question du deuil, flirtant de ce fait avec un ton mélodramatique que le réalisateur américain assume totalement avec l’indigeste Before I Wake. Équivalent cinématographique d’une immense fondue au fromage, ce récit fantastique repose sur une idée prometteuse que Flanagan ruine malheureusement en faisant preuve d’une absence consternante de subtilité. Aucune explication ne nous est épargnée, aucune émotion n’est pas soulignée avec insistance deux fois plutôt qu’une; et les acteurs, quant à eux, livrent une série de performances dignes d’un soap opera particulièrement savonneux. Amplifiant toutes les pires tendances de son cinéma, délaissant tout ce qui fonctionnait si bien dans un film comme Oculus (2013), Flanagan déçoit d’autant plus que l’on aurait sincèrement voulu pouvoir valider son approche sentimentale au genre.

Récipiendaire du Grand prix du jury lors de la dernière édition du festival SXSW, The Arbalest est un petit film indépendant hors-norme et particulièrement ambitieux dont la forme évoque tour à tour Spike Jonze, Quentin Dupieux et Wes Anderson, sans pour autant imiter bêtement le style de l’un ou l’autre de ces cinéastes. Avec ce premier long métrage, Adam Pinney propose une sorte de remake à petite échelle de Citizen Kane doublé d’un hommage à Albert Lamorisse, créateur de Risk de même que réalisateur du Ballon rouge. Léché sans être figé, le film retrace en pièces détachées le parcours de l’inventeur fictif du « jeu le plus populaire au monde », le Kalt Cube – créant notamment une série de parallèles ingénieux entre le design et l’obsession, enjeu thématique dont une direction artistique soignée se veut le reflet consciencieux.

La perfection du mouvement est le véritable sujet de Judge Archer, film d’arts martiaux d’une violente élégance porté par l’approche puriste du cinéaste Haofeng Xu – dont le découpage minimaliste de l’action met en valeur l’authenticité des chorégraphies. Réellement originale, sa mise en scène des combats laisse la précision de chaque geste, la vitesse de leur exécution créer l’impression d’une discipline totale qui scelle l’union du corps et de l’esprit. Le cinéma, autrement dit, devient ici une extension de la philosophie qui sous-tend la pratique des arts martiaux; et la tension des confrontations se nourrit de cette conviction, de cette volonté pure qui semble animer les opposants. Haofeng Xu, qui a depuis réalisé The Final Master en plus d’écrire The Grandmaster de Wong Kar-wai, s’impose avec ce film comme un auteur à surveiller – par-delà les frontières du genre dans lequel il s’inscrit.

Le festival s’est terminé en beauté avec une projection à guichet fermé d’On the Silver Globe d’Andrzej Żuławski, film de science-fiction tourné en 1976 mais complété en 1988 que Fantasia présentait en hommage au regretté cinéaste – qui nous a quitté plus tôt cette année. Il serait impossible de résumer en quelques lignes cette fresque aussi monumentale que délirante, qui nécessitera sans doute un article plus long dans un futur numéro de 24 Images. Contentons-nous, pour l’instant, de dire qu’il n’en font plus des comme ça… et que même lorsqu’ils en faisaient des « comme ça », ils n’ont jamais été en mesure de finir celui-là. Ce qui en dit long sur la bête en question, qui ressemble par moments à un Hard to Be A God tourné par Terry Gilliam. Après trois semaines éclectiques à souhait, c’est donc sur ce grand film maudit que prenait fin une vingtième édition bien remplie et encore une fois fort satisfaisante de Fantasia.


4 août 2016