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Fantasia 2018 – Blogue n°1

par Alexandre Fontaine Rousseau

Les lumières se sont éteintes, plongeant la salle dans l’obscurité. Puis un miaulement s’est fait entendre et les gens se sont mis à rire et à applaudir en voyant la même annonce de soupe instantanée qui sévit maintenant depuis des années. C’est comme ça que j’ai su que j’étais bien à Fantasia et que rien, fort heureusement, n’avait changé.

Je sais aussi que je suis à Fantasia quand je vois sans autre raison que « pourquoi pas » des films tels que Tornado Girl, une insignifiante comédie romantique japonaise pour laquelle je n’aurais aucun intérêt en d’autres circonstances. Sorte de 500 Days of Summer nippon, le long métrage de Hitoshi Ohne (qui avait adapté en 2015 le manga Bakuman) met en scène une constellation de personnages sans substance, auxquels il est absolument impossible de s’attacher. La charge satirique contre « l’amour romantique » ne fonctionne qu’à moitié et l’ensemble n’échappe donc jamais à sa propre mièvrerie.

Beaucoup plus réussi, The Travelling Cat Chronicles est un mélodrame félin bien larmoyant qui tire habilement sur des ficelles somme toute assez grossières. Il est ici question d’un chat et de son maître qui traversent le pays à la recherche d’une nouvelle famille d’accueil pour l’animal – le périple rappelant au jeune homme divers épisodes de sa propre existence, tandis que le minou commente le tout. Adapté d’un bestseller de Hiro Arikawa, le film n’a d’autre ambition que celle de nous faire brailler; et l’impressionnant sanglot collectif ayant secoué l’auditorium confirme que, de ce côté là, The Travelling Cat Chronicles livre la marchandise.

Extravagant soap opera psychédélique, le plus récent film de Nobuhiko Ōbayashi a été tourné alors que le réalisateur du classique culte Hausu était atteint d’un cancer du poumon. Véritable testament, cette fresque intimiste se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale poursuit dans la lignée d’une oeuvre inclassable rejetant à la fois toutes les conventions formelles du cinéma classique et la logique narrative traditionnelle pour créer une expérience sensorielle surchargée, potentiellement déroutante mais au final fascinante. Ōbayashi persiste et signe face à la mort, livrant ici une ultime charge surréaliste contre la folie de la guerre.

Autre coup de coeur de cette édition, le surprenant Chained for Life est un essai cinéphile riche et nuancé sur le rapport contradictoire qu’entretient le cinéma de genre à la difformité et à la différence. La problématique de la représentation de l’autre y est abordée à travers une mise en scène virtuose qui rappelle La nuit américaine et Berberian Sound Studio tout en multipliant les références au Freaks de Tod Browning. Mais cette fascination pour le classique de 1932 n’emprisonne jamais le réalisateur Aaron Schimberg dans une simple posture fétichiste; au contraire, ce film brillant remet en question cet héritage, sans jamais offrir de réponses simples aux interrogations qu’il soulève.

Véritable leçon dans l’art de ne pas niaiser avec la puck, Luz est un premier film saisissant qui repose sur une prémisse simple et efficace afin d’explorer avec brio le thème fondamentalement cinématographique de la possession. Minimaliste dans son approche, le long métrage de l’Allemand Tilman Singer n’échappe pas totalement au piège de l’exercice de genre. Le scénario sert ici de simple prétexte à la mise en scène, toutes ses idées relevant au final de l’inspiration visuelle. Mais l’aplomb de la réalisation nous fait oublier ce problème durant 70 minutes, nous laissant surtout avec l’impression d’avoir découvert un jeune cinéaste fort prometteur.

Relaxer possède les mêmes qualités que The Alchemist Cookbook, film précédent de Joel Potrykus : une prémisse originale, propice à un huis clos maîtrisé, ainsi qu’un sincère intérêt pour les marginaux qui s’installent en périphérie du système. Mais il souffre malheureusement des mêmes défauts que son prédécesseur, à commencer par cette impression qu’il s’agit d’un court métrage s’étirant inutilement, diluant ses idées les plus pertinentes dans une durée qu’il arrive de peine et de misère à meubler. Capitalisant sur un humour sincèrement dégueulasse, qui plaira ou non au gré des sensibilités personnelles, Relaxer repose essentiellement sur une poignée de scènes fortes se perdant à même cette inertie moribonde qu’il cultive avec un malin plaisir.

Chained for Life sera à nouveau présenté mardi le 24 juillet à 15h20. Luz, pour sa part, sera projeté une seconde fois lundi le 23 juillet à 17h15.


23 juillet 2018