Fantasia 2018 – Blogue n°2
par Alexandre Fontaine Rousseau
Ce sont les petits films qui se sont démarqués, tout au long de cette 22e édition de Fantasia. De la virtuosité formelle et conceptuelle du Luz de Tilman Singer aux mises en abîmes sophistiquées du superbe Chained for Life d’Aaron Schimberg, les jeunes cinéastes faisant preuve d’une inventivité remarquable se sont taillés une place de choix dans la programmation.
La réalisatrice japonaise Yoko Yamanaka n’avait que 19 ans lorsqu’elle a tourné Amiko, petit long métrage approximatif et attachant dans lequel elle dresse le portrait ordinaire d’une adolescence qui l’est tout autant. Amiko est un geste spontané, d’autant plus inspirant qu’il nous vient d’un pays où « il est impossible pour les gens de se mettre à danser spontanément. » Il tire sa force, en partie, de ce désir d’exister l’animant – ce même désir qui pousse la protagoniste à se sauver de sa propre routine pour un bref instant. Le résultat final n’est pas parfait, ce qui explique d’ailleurs son charme et son authenticité.
Microhabitat, de la cinéaste coréenne Jeon Go-woon, est un premier film particulièrement prometteur sur l’errance et le coût de la vie – une réflexion douce-amère sur la précarité financière au sein de la société capitaliste contemporaine ainsi que sur l’inflation qui affecte le prix du loyer et d’un paquet de cigarettes. Femme de ménage, Miso a l’habitude de vivre parmi les choses des autres. Mais lorsqu’elle perd son propre appartement, c’est dans la vie de ses propres amis qu’elle doit s’immiscer pour le meilleur comme pour le pire. Réussite indéniable, Microhabitat propose une mise en scène méthodique, à la fois lucide et sensible, de l’impact de la pression économique sur les rapports humains.
Premier long métrage de fiction de Crystal Moselle, documentariste s’étant faite remarquer en 2015 avec The Wolfpack, le superbe Skate Kitchen s’impose d’ores et déjà comme l’un des meilleurs films américains de l’année. Rappelant par moments le fameux Kids de Larry Clarke, discours alarmiste et MTS en moins, ce « coming of age » atmosphérique repose sur une trame narrative évanescente – préférant saisir au gré des scènes une alternance de sensations allant de l’oppression à l’émancipation, de l’ennui à l’insouciance. Portrait juste d’une adolescence consacrée à se réapproprier l’espace une rampe à la fois, Skate Kitchen est une oeuvre tout en grâce et en mouvement, une ode à la liberté dans tout ce qu’elle a de beau et d’angoissant à la fois.
Mais où sont, avec tout ça, mes monstres géants, mes robots extra-terrestres, mes visions cauchemardesques, mes mutations grotesques et mes fluides corporels? Ils semblent tous s’être donnés rendez-vous dans le délirant Violence Voyager, oeuvre hybride à mi-chemin entre l’animation et la bande dessinée réalisée à l’aide d’un ancien procédé du nom de « gekimation ». À l’aide de figurines découpées dans le carton, le cinéaste Ujicha orchestre un récit d’horreur faussement naïf dont l’imaginaire troublant est parfaitement rendu par cette technique inusitée. Les amateurs de cinéma hors-normes seront sans doute séduits (ou à tout le moins fascinés) par cet objet insolite, aussi dérangé que dérangeant.
Une blague n’attend pas l’autre, dans le Gaston Lagaffe de Pierre-François Martin-Laval. Le problème, c’est qu’elles ne sont pas très drôles et que les chutes s’enchaînent ici sans le moindre sens du rythme. Cette construction impeccable qui fait tout le charme des gags d’André Franquin est totalement absente de cette adaptation; et sans cette structure pour les soutenir, les « farces » ne sont rien de plus que des référents vides renvoyant bêtement à la bande dessinée. Tout est très « Gaston », mais rien ne l’est vraiment : tout est familier, mais la finesse n’y est plus et l’esprit non plus. En remplaçant les éditions Dupuis par une startup au nom stupide, Martin-Laval tente de « moderniser » Lagaffe. Encore faudrait-il, pour cela, qu’il en saisisse l’essence.
Fantasia se termine le jeudi 2 août. Parmi les films à venir, notons Madeline’s Madeline – le plus récent long métrage de la cinéaste américaine Josephine Decker, qui avait retenu notre attention en 2014 avec l’étonnant Thou Wast Mild and Lovely. L’inépuisable Sion Sono est de retour avec Tokyo Vampire Hotel tandis que l’intrigant Mandy de Panos Cosmatos, qui met en vedette Nicolas Cage, promet d’emblée une soirée de clôture mémorable. Amiko de Yoko Yamanaka sera de projeté à nouveau mardi le 31 juillet, à 15h10. Quant à Skate Kitchen de Crystal Moselle, il prend l’affiche à Montréal le 24 août.
30 juillet 2018