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Festivals

Fantasia 2019 – Blogue no. 1

par Elijah Baron

Le festival Fantasia, bien entamé depuis plusieurs jours, enchante encore cette année par la rare cohésion que l’on peut observer entre son fidèle public et ses propositions cinématographiques. Les programmateurs y sont reçus comme des annonceurs de boxe, et un coup de poing opportun survenu à l’écran peut suffire pour faire éclater la salle en applaudissements et en cris de joie.

Les combats, les affrontements et les bagarres sont monnaie courante au sein des films programmés. Ainsi, certaines projections ont-elles cette qualité de défouloir, d’évènement sportif. The Art of Self-Defense, projeté dès le premier jour, aborde directement cette thématique. Sorte de croisement entre Fight Club et le mouvement mumblecore, ce deuxième film de l’Américain Riley Stearns ne parvient pas à trouver un équilibre entre la violence, tant physique que culturelle, dont il traite, et l’humour naïf qu’il utilise pour faire passer le message. Cette histoire d’un homme discret victime d’une agression, qui décide de s’inscrire à un cours de karaté aux allures de secte afin de réveiller ainsi la virilité qui sommeille en lui, avait certainement un potentiel satirique. Toutefois, le film évolue avec bien peu de finesse vers un dénouement prévisible, et n’impressionne au final que par sa distribution. Dans le rôle principal, Jesse Eisenberg a quelque chose de Buster Keaton. Il parvient à exploiter l’humour physique des situations et à communiquer, avec un minimum d’expressivité, toute la vulnérabilité de son personnage. Pas si étonnant après tout qu’il ait été choisi pour interpréter Marcel Marceau dans un film qui sortira cet automne. Alessandro Nivola est un parfait partenaire de jeu dans le rôle d’un sensei qui n’a pas conscience de sa propre absurdité.

Du côté du cinéma coréen, amplement représenté à Fantasia, deux films bénéficiaient d’une certaine notoriété. Le premier, Extreme Job, a été l’un des plus importants succès commerciaux de l’année en Corée du Sud. C’est pourtant une comédie grand public qui en vaut une autre, et ne se démarque en rien.

The Gangster, the Cop, the Devil, thriller d’action de Lee Won-Tae projeté hors compétition à Cannes, mérite davantage l’attention qu’il reçoit. Le chef d’une bande criminelle et un jeune policier y unissent leurs forces pour venir à bout d’un tueur en série. Une fois qu’on connaît le synopsis, on sait plus ou moins à quoi s’attendre : c’est une œuvre qui s’amuse à réarranger différents clichés (le buddy movie, le film de gangsters, l’enquête de meurtres en série, la course au trésor) dans l’espoir d’obtenir quelque chose d’inusité. Sans y parvenir tout à fait, et sans atteindre les sommets de style et de démence d’un The Good, the Bad, the Weird qu’il rappelle par son titre, ce film modère son ambition et évite le mélodrame, misant tout sur le charisme de sa vedette. La stratégie est bonne ; Ma Dong Seok, également connu sous le nom de Don Lee, est irrésistible dans le rôle du gangster éponyme. C’est son personnage qui retient le plus l’attention et la sympathie, le policier étant une caricature, et le diable un symbole.

Peu de cinéastes savent concilier art et divertissement à la façon de Zhang Yimou. S’il en fallait une preuve supplémentaire, Shadow en est une. Autant un film d’action aux qualités épiques qu’un tableau en teintes de gris, l’œuvre de Zhang offre une expérience sensorielle d’envergure. Le film marque avant tout par ses images mémorables, semblables à des peintures à l’encre, immobiles et sereines lors des scènes de dialogues, orageuses et élégantes lors des affrontements. Il bénéficie également d’une furieuse musique de cithare, ainsi que de sons singuliers qui accompagnent l’action, et lui confèrent une identité propre. Il y a dans la pureté du drame qui se joue quelque chose de théâtral, et il nous est présenté de manière détachée, la priorité étant accordée au style. Le yin et le yang sont le symbole dominant, tant sur le plan esthétique que sur le plan narratif : le titre se réfère à un guerrier qui se fait passer pour un commandant, devenant son double, son ombre. En d’autres mots, tout ici est harmonie.

Shadow sera projeté à nouveau le 25 juillet à 14h40 à la salle J.A. DeSève.


18 juillet 2019