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Festivals

Fantasia 2019 – Blogue no. 3

par Samy Benammar

Alors que je reprends mon souffle après une journée d’images aussi perturbantes que stimulantes, un inconnu me demande de lui décrire le festival Fantasia. Je réponds par une liste de mots dont la juxtaposition est incertaine : « genre, horreur, asiatique, animation, science-fiction, drame, thriller ». Il me demande alors comment savoir quel film aller voir, comment identifier les œuvres de qualité dans cette programmation titanesque. La question ne trouve pas de réponse et, avec le sourire gêné du critique qui devrait savoir répondre à cette interrogation, je lui dis simplement : « On ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre ».

C’est par exemple la réputation du réalisateur Adolfo Alix Jr. qui conduit le regard à se poser sur ce film philippin Mystery of the Night. L’affiche laisse présager un conte sanguinaire, fait de latex et d’hémoglobine coagulée sur les dents vampiriques d’une bête féroce. Mais la réalité du film est déroutante. Elle impose un développement lent mais jamais ennuyeux, tragédie contemporaine imprégnée de l’histoire coloniale et du folklore du pays du réalisateur. Ce qui constitue le charme de Mystery of the Night, c’est qu’il parvient à échapper à l’étiquette du genre. Bien sûr, le monstre en latex finira par faire son apparition et la prophétie initiale se réalisera sans surprise. Mais lors du visionnement c’est le rythme qui prend le dessus : la tragédie dissémine des symboles, parvient à rendre ses personnages aussi mythologiques que sensibles, si bien que le film finit par faire oublier sa prévisibilité. Peut-être apparaît ici une première idée de ce que pourrait être un bon film de Fantasia, là où le genre codifié est transformé, non pas par un retournement mais par la subtilité d’une œuvre parvenant à occulter ce qu’elle est pour mieux surprendre au moment où se déploient les ailes démoniaques de l’horreur.

Parfois l’étiquette est questionnée de manière plus frontale. Dans Black Magic for White Boys, la magie vaudou devient prétexte à une fausse atmosphère ésotérique. Elle supporte une comédie new-yorkaise aux airs de Woody Allen entre personnage principal imbu de lui-même et gags ethniques assumés, toujours à la limite du stéréotype raciste. Une bonne partie des rires est assurée par le langage des habitants afro-américains du quartier qu’un promoteur immobilier souhaite expulser en se servant des formules magiques que l’on devine originaires du même continent que ces locataires issus de l’immigration. L’enjeu scénaristique est intéressant mais très peu exploité. En définitive, le film ne parvient jamais à être plus qu’amusant et sa subversivité n’est que surface irrévérencieuse là où l’on aurait pu s’attendre à une satire politique plus profonde.

L’expression film de genre ne cesse de se redéfinir entre les séances. Elle devient le noyau vacillant autour duquel gravitent ces films. Elle en vient à être prise de métastases comiques, quand ses tropes se transforment en clichés dégoulinant dans Jesus Shows You the Way to the Highway. Personnages difformes, agences gouvernementales et prophéties cryptiques habitent ce film qui fait de ses influences la matière première d’un récit décalé. Le résultat est jubilatoire : spectacle d’une Black Lodge lynchéenne où s’engouffrent des mouches échappées d’un épisode de Doctor Who pour délivrer le message d’un Jésus tentant de sauver notre agent bossu des griffes du virus informatique portant le masque de Stalin. Je ne parviens pas, dans la confusion du film, à dénombrer les « What the Fuck » hurlés par les spectateurs. Après Crumbs, Miguel Llanso offre une excellente parodie décomplexée. Elle satisfait autant par ses idées visuelles nombreuses et sans cesse renouvelées que par son ton caricatural où chaque moment devient un hommage hilarant au film de genre. L’esthétique rétro renvoie par ailleurs à un âge d’or de ce cinéma auquel les spectateurs de Fantasia vouent un culte aussi respectueux que conscient d’une forme de ridicule.

Rétro, identification à une période autre des médias : c’est également dans cette brèche que se glisse We Are Little Zombies, incontestablement l’un des films les plus surprenants du festival. Si son scénario prétend traiter d’un groupe de jeunes orphelins partant dans une quête pour accepter leur insensibilité à l’égard de la mort de leurs parents, le sous-texte du film est bien celui d’une opposition entre contemporanéité et histoire des médias. Le personnage central fuit son époque, s’enferme dans ses consoles vintages, voyant le monde à travers le prisme d’un moniteur 8-bit qui donne au film une texture visuelle riche et soignée, entre couleurs criardes et idées de mise en scène directement tirées des classiques vidéoludiques. S’ajoute à cela, la jeune fille qui l’accompagne avec son appareil photo 35mm sans savoir qu’elle peut développer les photographies qu’elle capture. La mélancolie de ces petits zombies est une réflexion face à une époque numérique, une fuite vers l’analogique qu’ils n’ont jamais vécu, un regard critique mais jamais cynique là où les réseaux en ligne sont plus effrayants encore que les pixels d’un Game Over. Tout dans We Are Little Zombies fait système, la réflexion est subtile et s’écrit entre les lignes d’une photographie remarquable, d’un scénario intelligent et d’une bande sonore qui séduira tous les adeptes des premiers Final Fantasy.

Mais peut-être ce film trouve-t-il en moi son public idéal. Peut-être n’est-il pas exempt de défauts et que le jugement ici exprimé est biaisé par la rencontre parfaite entre un film et le regard pour lequel il a été conçu. L’étiquette du genre serait alors une manière d’identifier un espace où le spectateur fait partie intégrante du cinéma. Sans doute dans la salle, y avait-il d’autres individus ayant passé des heures à compléter des niveaux de Final Fantasy. Ces mêmes spectateurs devaient être là pendant la projection de Brave Father Online – Our Story of Final Fantasy XIV, film adapté d’une série télé racontant l’histoire vraie d’un père et de son fils qui, ne parvenant pas à communiquer dans la vie réelle, finissent par renouer une amitié à travers le jeu de Square Enix. Le lien entre les joueurs/spectateurs est explicite dans cette œuvre qui parvient à capturer l’essence de la franchise en exprimant le sentiment de communauté au centre du jeu en ligne. Certes, il s’agit aussi d’un contenu promotionnel de deux heures, mais l’émotion transmise par ce drame est palpable. Bien que classique, l’histoire racontée entre séquences de jeu et prises de vue réelles acquiert une originalité certaine, rendant acceptable les clichés de construction. A la fin des crédits, les rythmes des applaudissements plus longs qu’à l’accoutumé se synchronisent : sans un mot, les joueurs de la salle se reconnaissent. L’un des spectateurs profite de la présence du réalisateur pour lui demander son avis sur la dernière extension du jeu vidéo. Dans cette question, transparaît encore une fois une forme de reconnaissance. Une pensée naïve me traverse l’esprit : l’écran de jeu est un espace solitaire tandis que celui du cinéma est collectif. Et c’est cette dernière caractéristique peut-être qui m’aurait permis de mieux répondre au jeune homme me demandant ce qu’était Fantasia.

Peut-être, le genre se définit-il moins par des œuvres majeures et des codes que par la reconnaissance de ceux-ci par une communauté de fans. Sans doute est-ce aussi que l’idée de cinéma de niche s’effrite dans une période où l’horreur et la science-fiction ne sont plus les oubliés du cinéma, amassés en une collection de VHS chez un vieux garçon solitaire. Si Fantasia est un festival de cinéma de genre, c’est sans doute pour continuer d’affirmer années après années que le genre n’existe pas, qu’il n’a jamais été question d’autre chose que de cinéma.

Black Magic for White Boys est présenté à nouveau le mardi 23 juillet à 14h40


21 juillet 2019