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Festivals

Fantasia 2019 – Blogue no. 6

par Samy Benammar

Un dimanche matin pour retomber en enfance. Une atmosphère légère plane sur Fantasia, entre les programmateurs dont les regards laissent deviner un interminable samedi soir passé à discuter du sublime Shadow de Zhang Yimou et les festivaliers impatients d’assister à la première projection de la section d’animation intitulée Axis.

Dans l’auditorium, le silence se fait devant The Wonderland. Loin de la noirceur d’un Colorful, Keiichi Hara propose ici une fable fantastique à la prémisse aussi prévisible que son développement. Une jeune fille part chercher son cadeau d’anniversaire à la boutique d’antiquité de sa tante Chii avant de réaliser, par l’entremise d’un artefact ouvrant une porte vers un autre monde, qu’elle est l’élue. Alors qu’apparaît un alchimiste accompagné d’une fée pour expliquer la situation à la jeune fille, Chii sert de pont entre le spectateur et la scène, multipliant les remarques taquines visant à souligner les clichés de l’animation japonaise (apparitions magiques, mondes parallèles aux destins liés etc…). Malheureusement, si ce personnage ne perd pas de sa saveur au cours de l’aventure et se révèle en être l’élément comique le plus appréciable, elle ne parvient pas à ralentir la multiplication des clichés. The Wonderland, bien qu’animé avec soin, ne propose aucune idée visuelle ou sonore pour justifier sa pauvreté scénaristique : on devine très vite que le grand méchant cache son identité et la révélation tardive tourne un peu à vide. Un film quand même agréable mais qui sera vite oublié.

Les adeptes d’anime sont habitués à ce type d’intrigues et le plaisir réside davantage dans la variation mineure que dans la révolution des idées. Dans la capacité au sein d’un genre codifié de proposer une bande sonore, par exemple, qui vient créer une émotion forte et accorder au film sa singularité. C’est d’ailleurs, sans doute, l’une des raisons pour lesquelles Ride Your Wave a été récompensé par le jury. Rappelant par de nombreux aspects Lu Over The Wall – précédent film de Masaaki Yuasa – Ride Your Wave traite d’un deuil au bord de l’eau où les formes aquatiques se meuvent au rythme de la chanson entêtante que fredonne sa protagoniste. Prévisible, le film parvient cependant à proposer quelques images époustouflantes comme celle d’une vague déferlant le long d’un immeuble en feu. Le final reste attendu et le discours critiquable sur plusieurs aspects : les antagonistes principaux sont par exemple une bande de jeunes s’amusant à tirer des feux d’artifice perturbant l’ordre et les personnages sont en permanence liés par des relations hétéronormatives où le seul bonheur possible semble être la rencontre de la fille ou du garçon.

Peut-on tout pardonner à l’animation, sous prétexte que celle-ci vise autant un public adulte qu’enfantin ? La question ne cesse de se poser entre les séances. On pardonnera par exemple la linéarité du récit de Away, qui copie les inspirations vidéoludiques de son auteur et présente, dès ses premières minutes, une carte où figure une route unique qu’empruntera le héros sans jamais faire de détours entre les chapitres. Away est difficilement critiquable tant ses défauts sont effacés par un mode de production atypique. Le jeune réalisateur Gints Zilbalodis offre ici un long métrage dont il a contrôlé chacune des étapes. Seul nom au générique, il montre ici la possibilité de produire un tel film avec de faibles moyens et sans l’aide d’une équipe. Si le résultat, entre les clignotements de l’affichage des textures et la musique monocorde, est décevant à bien des égards, nous ne pouvons que saluer la prouesse individuelle dont il est le fruit.

Le même sentiment habite le spectateur devant Cencoroll Connect, projet d’Atsuya Uki qui adapte son manga. Le film (collage de deux courts métrages épisodiques) est une délectable friandise dynamique, folle et satisfaisante. Quel plaisir de voir ces monstres miniatures se métamorphoser au rythme de batailles épiques où la narration se fait oublier au profit d’un plaisir visuel constant. Certes le regard est rassasié, et accepte finalement de voir une énième itération de récit de familiers guerriers apprivoisés par des étudiants pour profiter des formes virevoltantes entre les gerbes de couleur. Il s’épuise pourtant au fil des séances qui se succèdent sans provoquer de véritable réaction.

L’épuisement atteint son paroxysme lors du visionnement de Human Lost. La salle est pleine et les rires fusent entre les siègent, pourtant la scène est tragique. Des poursuites de véhicules en 3D, dont le poids et la puissance se fait ressentir de manière remarquable, introduisent des personnages qui commettent l’erreur de s’exprimer. Le film, en dehors de ses scènes d’action, devient involontairement une comédie burlesque où tout est caricature : on crie le pouvoir de l’espoir à un jeune homme venant miraculeusement de retrouver la mémoire de la mort de ses parents, on parle transhumanisme et savants fous, complot mondial et société dystopique. Le film en devient insupportable, symptomatique d’un programme d’animation qui s’essouffle et ne parvient pas à faire respirer les vieux enfants qui viennent chercher un peu de réconfort. Non, tout ne semble pas pardonnable à l’animation.

Pour souffler, le spectateur doit prendre un peu de distance avec l’animation japonaise, se tourner vers SHe, une œuvre en stop motion. Elle aussi souffre d’une forme de faiblesse de discours, choisissant de discuter la question du patriarcat en représentant les hommes par des mocassins noirs remplis de vis et les femmes par des escarpins à talons rouges remplis de fleurs. Mais étonnamment, on finit par oublier cet écueil pour plonger dans un émerveillement propre à cette technique. Les textures se multiplient, se mettent en mouvement et l’habituel plan fixe est remplacé par des jeux avec la caméra : panoramiques et changements de focus qui jouent avec les sens. SHe est sublime mais creux.

Ce qui est plus critiquable dans cet ensemble au-delà des enjeux narratifs, ce sont les implications socio-politiques. Dans The Relative Worlds, deux humanoïdes féminins deviennent les combattants serviteurs de deux hommes tentant de sauver un personnage que le début laissait penser fort mais qui s’avère n’être qu’une princesse en détresse, tout comme la jeune fille de Ride Your Wave, accablée par la perte de son petit ami. Le scénario est sauvé par quelques ruptures de ton bien pensées qui donnent lieu à des balades sucrées dans les rues de Tokyo. SHe présente une finale ambigüe et discutable remplaçant le patriarcat par une femme que le pouvoir a rendue tortionnaire. Cencoroll Connect y échappe de justesse, bien que la brutalité de la femme agente soit toujours présentée comme un trait masculin contradictoire à son apparence et que l’autre personnage féminin soit caractérisé par une familiarité câline avec les monstres en opposition à la froideur des garçons. Peut-on tout pardonner à l’animation ? La question se répète et, à la tentation du oui, résiste le retour permanent de l’intitulé du prix de la programmation Axis : le prix Satoshi Kon. Du discours sur l’hypersexualisation de la femme enfant dans Perfect Blue au personnage central de Paprika en passant par l’itinérant travesti de Tokyo Godfathers, la mémoire de Satoshi Kon ne cesse de nous rappeler que l’animation japonaise, au centre de la programmation, n’est pas enfermée dans ses clichés, qu’elle les a déjà discutés avec le génie d’une technique en symbiose avec son propos.

Le retour à l’enfance avec un regard qui cherche autre chose dans les discours se laisse pourtant aller devant The Moon in the Hidden Woods. Peut-être est-ce l’humilité de ce film qui le rend appréciable. Les péripéties simplistes laissent beaucoup de place au déploiement de l’univers. Le récit s’effrite parfois dans des scènes qui accélèrent l’action aux dépens de sa clarté et des moments dont l’animation laisse transparaître un budget réduit. Mais survivent des idées simples et rafraichissantes et la musique dont les influences coréennes, percussions tribales et chants envoûtants finissent par éclipser les approximations.

La programmation d’animation de cette édition de Fantasia est pleine de moments enchanteurs qui bercent le temps d’une séance entre grands enfants. Difficile pourtant d’oublier certaines problématiques qu’une seule œuvre mémorable aurait permis de mettre de côté, alors qu’une accumulation de films de qualité variable ne fait que les souligner. Peut-être que le véritable éclat du festival va se produire lors de la clôture avec Promare, long métrage du studio acclamé pour Kill La Kill et Gurren Laggan?


2 août 2019