Je m'abonne
Festivals

Fantasia 2020 – Blogue no. 1

par Rose Normandin

D’abord, il y a la déception.

Fantasia est un festival où l’ambiance est majoritairement créée par ses festivaliers. Où beaucoup des films prennent de la saveur parce qu’ils sont vus en communauté.  Après des mois à vivre sa passion cinéphile dans la solitude, il y avait du réconfort à s’imaginer retrouver les salles du campus de Concordia. Malheureusement, la pandémie ne semblait pas promettre de répit et une édition en ligne semblait tout de même mieux que pas d’édition du tout. Mais comment transporter l’essence de l’événement jusque derrière nos écrans individuels? En quoi le festival serait différent d’une nuit de visionnements en rafale sur Shudder, par exemple? Comment se réconcilier avec l’absence des rires, des applaudissements et des miaulements? De plus, si le rôle du cinéma d’horreur est de faire oublier ses soucis en les projetant dans un contexte loin de soi, il devient difficile de le faire lorsque chaque petit geste lié à notre divertissement nous rappelle qu’est révolue l’époque d’avant. Une fois le choc passé et la nouvelle réalité acceptée, on plonge. Si la pandémie nous a enseigné une chose, c’est la résilience! Inutile donc, de bouder son plaisir.

Il faut alors s’y retrouver.

D’un côté, il y a la programmation de films sur demande qui fait honneur à l’habituelle vastitude de l’offre.  Il devient donc possible pour le cinéphile particulièrement boulimique de combler son besoin dès son réveil, chose qui était rare avec les programmations en salles. À cela, on ajoute des films en ligne selon un horaire précis. Les organisateurs du festival ont réussi à préserver un certain caractère événementiel avec des projections live, auxquelles, comme on le verrait au théâtre, il ne faut pas arriver en retard sous peine de s’y voir refuser l’accès.  Ainsi, il faut continuer d’approcher ses choix avec un certains nombres de renoncements en tête.  On pourrait se questionner sur la pertinence de ce genre de déchirements chez un spectateur habitué de voir son ordinateur comme un lieu où tous ses désirs sont facilement comblés, mais on peut également y voir là l’occasion de retrouver la couleur exclusive de certaines expériences et parfois même le sentiment de découvrir de nouveaux territoires. On accepte de rater des films majeurs, on prend des risques pour d’autres, on trouble ses nuits à grand coup de fear of missing out.   Et puis, au détour des réseaux sociaux, on retrouve les agréments de la conversation et du débat.  Finalement, les choses ne changent pas tant que ça.

À mi-chemin dans l’aventure, quelques perles restent en mémoire.  Je pense, entres autres, au superbe Time of Moulting, proposition allemande sur l’enfance.  Premier long métrage écrit et réalisé par Sabrina Mertens, le film s’inscrit comme une suite de plans fixes dont la précision de la composition n’est pas sans évoquer le cinéma de Roy Andersson.  Ici, la lumière est à couper au couteau. Les couleurs font l’effet, tantôt de peintures, tantôt de photographies pour nous exposer différents moments dans la vie de Stephie, petite fille grandissant dans une maison où les objets et les souvenirs s’accumulent, rendant impossible toute émancipation.  Mertens installe son cinéma dans un réalisme presque cruel, qu’elle capte, cependant, avec une sensibilité et une finesse hors du commun.  La réalisatrice n’a pas peur de la lenteur ni du silence et c’est payant.  Doucement, il se dégage d’abord de l’oeuvre une mélancolie, puis une étrangeté, puis encore l’aura délicieusement glauque qui peut envelopper l’enfance. La claustrophobie s’épaissit alors que les objets prennent de plus en plus de place (il faut voir le lien qui est subtilement tissé avec Le Sang des bêtes). La tension est construite à partir de sous-entendus. On regarde la candeur de l’enfant laisser place à l’amertume de la jeune femme, alors que la maison est envahie par la poussière, le désordre et le délabrement.  On est placé devant la mise en scène du traumatisme ordinaire, de l’installation des rancunes et la suffocation des promesses. Un film sur la mémoire, sur le poids de filiation. Un film à la fois petit et grandiose qui joint admirablement le banal au politique.

Une autre entrée intéressante sur l’enfance est celle de Tran Thanh Huy avec Rom.  Si avec Time of Moulting on était dans la retenue et la sobriété, cette fois, c’est de l’énergie brute.  Rom, orphelin débrouillard, est un runner pour son voisinage, c’est-à-dire qu’il court placer les paris auprès du bookie.  Mais la communauté dans laquelle il est installé est déjà criblée de dettes, et le complexe où toutes ces familles résident menace de s’écrouler ou de se faire détruire.  Sans jamais sombrer dans le racoleur ou le moralisateur, Rom est une fable sur l’aridité de la pauvreté, sur la lumière dans la misère, sur la résilience des souffrants.  Ici, l’enfance est Dickensienne, les orphelins sont des rivaux tout en étant solidaires, et vont facilement de l’entraide à la trahison, sans trop se poser de question, la survie justifiant les moyens. Une caméra au découpage ingénieux suit les protagonistes dans leurs courses chaotiques et illustre à merveille l’impasse qui les attends tous.  La vie, dans ce ghetto d’Ho Chi Minh, est brutale et le réconfort, bref.  Un film dur, féroce, mais qui n’est pas dénué d’empathie.

La projection où il fut plus difficile de renoncer à la communauté fut celle du dernier film de Shinichiro Ueda, Special Actors.  Le réalisateur revient au thème qui avait fait le succès de One Cut of the Dead, c’est-à-dire le pouvoir de la solidarité dans les batailles individuelles.  Kazuto rêve d’être acteur.  Malheureusement, il ne réagit pas très bien au stress, et s’évanouit dès qu’il est confronté par une autorité masculine.  Surgit alors son frère Hiroki, avec une proposition de jeu proche du théâtre invisible…ou de l’arnaque (devenir spectateur hilare au cinéma, un client difficile dans un restaurant, ou encore un figurant éploré, lors de funérailles). Lorsque Yumi débarque avec une mission particulière, celle de sortir sa sœur des griffes d’une secte, les choses deviennent rocambolesques. S’ensuivra une mise en scène vaudevillesque à grands déploiements, où le délire est roi.  Bien sûr, la direction du scénario se laisser deviner, mais le plaisir ici ne réside pas dans la chute de l’histoire, mais plutôt dans l’articulation des idées.  Un peu moins surprenant ou touchant que le film qu’il proposait à Fantasia l’année dernière, il reste que l’amour que Ueda possède pour son métier est magnifiquement transposé.  Ce qui est émouvant est la façon dont le réalisateur cherche à placer la vie ordinaire dans la magie de la fiction.  Dans ses films, la collectivité est la solution devant l’adversité et permet de faire oublier, quelques instants, l’immuable solitude qui nous habite tous.  Un film tout ce qu’il y a de plus à propos par les temps qui courent.


30 août 2020