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Festivals

Fantasia 2021 – Blogue no. 2

par Céline Gobert

S’il est vrai qu’une poignée de films bénéficient cette année d’une projection en salles, une majorité des œuvres de la 25e édition de Fantasia se découvrent « à la demande » virtuelle dans la solitude de nos salons. Pour certaines, c’est presque du gâchis tant elles semblent à merveille taillées pour l’obscurité, la perfection sonore et l’expérience immersive d’une salle. C’est particulièrement le cas du nouvel opus du réalisateur philippin Dodo Dayao, proposé dans la section Camera Lucida.

Midnight in a Perfect World (Dodo Dayao)

Issu de la scène indépendante philippine, Dayao offre l’un des films les plus intéressants de ce début de cuvée 2021, jonglant à merveille avec les codes de l’épouvante et le commentaire sociopolitique. S’il y a en effet un film qu’il aurait fallu voir en salles, c’est bien celui-ci avec ses clairs-obscurs travaillés, ses textures, sons et détails tout droit sortis d’un cauchemar.

Dayao nous abandonne dans la ville de Manille, en mode « découverte », à l’instar de personnages aussi paumés que nous. L’électricité a brutalement été coupée et une mystérieuse drogue « Magic Star » semble ouvrir les portes d’un autre univers, peuplé de tapisseries mouvantes qu’il ne faut pas fixer trop longtemps, de policiers tueurs, et de créatures effrayantes rappelant les enfers du jeu vidéo Silent Hill. Ah oui, aussi, quelqu’un a volé la lune. Si ça sonne aussi angoissant que poétique, c’est parce que c’est le cas !

Dayao s’appuie sur la lenteur de plans-séquences, l’éclairage de visages à la lumière d’un iPhone et l’efficacité d’images mortifères pour distiller au compte-gouttes une terreur durable. Au premier degré, ça fonctionne. Sa galerie des horreurs se réapproprie les ressorts typiques du film de maison hantée en générant son propre univers. Au second degré, c’est encore meilleur. À la vue des flics inquiétants de Midnight in a Perfect World – titre évidemment ironique – impossible de ne pas penser aux massacres, exécutions et autres mesures répressives brutales du président controversé Rodrigo Duterte, qui mène depuis quelques années, une « guerre » sanglante contre les narcotrafiquants et les consommateurs de drogues de son pays, en bafouant au passage tous les droits de l’homme. Bref, voilà un film qui fait doublement froid dans le dos.

(Disponible à la location à la demande)

King Car (Renata Pinheiro)

Autre pays sous la gouverne d’un affreux populiste (Bolsonaro) : le Brésil. Pas besoin d’aller chercher bien loin non plus pour déceler des traces de sa politique pro-libre marché et pro-privatisations en tout genre dans l’imagerie de fin du monde de King Car, notamment dans le personnage de l’oncle, homme-machine aux fantasmes d’agitateur des foules.

Dérivé d’une science-fiction post-apocalypique, le film suit son jeune neveu Uno, qui a le pouvoir de dialoguer avec les voitures. À la suite d’un drame, il refuse de reprendre la compagnie de taxi familiale et envisage dans un premier temps de se lancer dans l’agriculture durable. Ferrailles froides (symboles capitalistes) contre beautés organiques (l’espoir du partage et de l’autosuffisance comme rébellion citoyenne) : voilà l’opposition, simpliste mais efficace, mise de l’avant par Pinheiro dans un récit à l’horizon nihiliste où la fusion progressive du corps humain et de la machine conduit l’homme à sa pure et simple disparition.

Clin d’œil ou pas au Holy Motors de Carax, la fin (technophobe dans l’âme) dévoile un même renversement horrible : les hommes, isolés, n’ont plus qu’à redevenir primates, pendant que les véhicules bavardent et donnent aux femmes leurs plus puissants orgasmes (« I am your automatic lover », y chante-t-on). Le long métrage n’est pas exempt de défauts (il manque de subtilité notamment) mais si vous souhaitez une virée surprenante et hors normes : foncez!

(Disponible à la location à la demande)

3 x Shunji Iwai

Enfin, pour du bon cinéma puissamment ancré dans son époque, il faudra aller creuser les propositions artistiques mélancoliques du Japonais Shunji Iwai, qui tiendra une master class le 17 août prochain à 21h. En trois temps – April Story (1998), All About Lily Chou-Chou (2001) et The 12 Day Tale of the Monster That Died in 8 (2020) – le cinéaste développe un univers sensible où seuls l’art et l’imaginaire rendent la vie plus supportable et permettent de se connecter aux autres.

Si ces trois films expriment une solitude exacerbée par des circonstances extérieures (une jeune fille quitte sa famille pour aller étudier à Tokyo dans April Story, le réservé Shuichi subit les assauts de ses camarades de classe dans All About Lily Chou-Chou), le plus récent The 12 Day Tale of the Monster that Died in 8 frappe encore plus fort l’imaginaire puisqu’il s’inscrit dans une réalité pandémique dans laquelle le monde est toujours plongé. Avec ses réunions Zoom à n’en plus finir et ses petits monstres kaijus qui protègent de la COVID-19, Iwai prouve à nouveau son immense capacité, non seulement à réfléchir sur son temps mais à utiliser le médium-phare de l’époque comme terreau à sa création.

Sur ce point, All about Lily Chou-Chou, avec son recours aux caméras numériques du début des années 2000 et à l’incrustation à l’écran d’hypertextes issus des balbutiements des premiers forums internet, fait figure de visionnaire puisqu’il préfigurait déjà l’avenir de notre société, et plus particulièrement de sa jeunesse, désormais technologisée, solitaire, triste. Pour moins en souffrir, je conseille de regarder April Story en dernier : voir Uzuki Nireno (Takako Matsu) flâner à bicyclette au milieu des cerisiers en fleurs dans les rues de Tokyo, inviter sa voisine de palier à partager un curry, et tomber amoureuse d’un libraire sous un parapluie cassé s’impose comme la plus exquise des consolations.

(Disponibles à la location à la demande).


10 août 2021