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Festivals

Fantasia 2021 – Blogue no. 5

par Olivier Du Ruisseau

L’une des grandes qualités des films de genres est qu’ils vieillissent drôlement bien. En raison de l’autodérision qui les caractérise souvent, on apprécie même plus facilement leurs défauts qui peuvent se révéler avec l’âge.

Cette année, la vaste sélection de restaurations de vieux films de Fantasia rend clairement la spécificité qu’ont certains films de genres à bien vieillir, notamment parce que les films présentés demeurent actuels à la lumière d’enjeux contemporains, ou bien parce qu’ils continuent de faire l’objet de cultes particuliers. C’est ainsi que Fantasia a déniché cette année de délectables restaurations de films rares, souvent présentées en premières nord-américaines.

Straight to VHS d’Emilio Silva Torres et Act of Violence in a Young Journalist de Manuel Lamas

Le double programme virtuel combinant Straight to VHS (2021) d’Emilio Silva Torres et Act of Violence in a Young Journalist (1988) de Manuel Lamas s’illustre particulièrement. À la manière de The Room (2003), Act of Violence in a Young Journalist est un film underground devenu culte (en l’occurrence, surtout en Uruguay) dont les imperfections font tout le charme. Autre parallèle, il s’agit du projet d’un seul homme, lui aussi marginal ; dans ce cas, Manuel Lamas.

Ce curieux long métrage maladroitement tourné en VHS suit Bianca, une jeune journaliste qui se fait poursuivre par un tueur psychopathe, alors qu’elle rédige une thèse sur la violence. 33 ans plus tard, Straight to VHS présente la quête d’Emilio Silva Torres, réalisateur et narrateur, obsédé par le film, tentant de s’expliquer son attrait et cherchant à connaître ceux qui se trouvent derrière sa production.

À travers le documentaire, on constate tout l’engouement qu’a eu le film de Lamas en Uruguay, engendrant par exemple de nombreux groupes de fans sur les réseaux sociaux; certains fans ayant même aidé Silva Torres dans son processus de recherche. « C’est tellement mauvais, il y a une telle combinaison unique d’imperfections, que ça devient bon », a dit l’un des participants du documentaire sur Act of Violence. Si on entend souvent ce genre de commentaire pour de tels films de série B, certaines analyses de Straight to VHS nous aident au moins à comprendre un peu mieux pourquoi.

On y découvre ensuite l’histoire de Lamas, l’homme derrière l’œuvre, soutenue par d’éloquents témoignages, dépeint en misogyne et cinéaste entêté, convaincu de son talent malgré ses échecs. Pour Silva Torres, une part de l’attrait d’Act of violence réside dans l’histoire de sa circulation, direct-to-video. Il ne reste que très peu de copies VHS, et la présentation virtuelle de cette nouvelle numérisation à Fantasia est l’une des premières au monde.

En dépit d’une conclusion plus fictive qui, bien que poétique, est trop longue et déroutante, Straight to VHS raconte une histoire fascinante à travers une narration efficace.

Les deux films étaient présentés ensemble à présentations virtuelles à heure fixe, les 12 et 14 août. Act of Violence in a Young Journalist demeure disponible sur demande.

Une discussion entre Célia Pouzet, programmatrice à Fantasia; Virginia Bogliolo, productrice de Straight to VHS; et Emilio Silva Torres, réalisateur, est disponible sur la chaîne YouTube du festival.

Dr. Caligari de Stephen Sayadian

Parmi toutes les nouvelles restaurations présentées à Fantasia, l’un des plus grands coups de cœur doit être Dr. Caligari (1989) de Stephen Sayadian, comme une pseudo suite au film expressionniste allemand de 1920.

Dans cette nouvelle version résolument queer, c’est la petite-fille du mythique docteur, devenue psychanalyste, qui est la principale antagoniste. On se surprend à l’aimer grâce à son style campy et ses répliques assassines. Les dialogues et les chorégraphies des mouvements des acteurs, très rythmés et précis, font beaucoup rire.

Si on remarque une volonté de rapprochement avec l’œuvre originale dans son schéma narratif, ses décors, et bien sûr l’éclairage, tout le reste détonne, notamment son propos politique. Sayadian, aussi connu sous le pseudonyme Rinse Dream, réalisateur de films pornographiques dans une autre vie, livre ici un long métrage qui, par sa représentation de personnages à la libido trop grande ou aux prises avec des « déficiences hormonales », jette un regard nécessaire sur les médias, le consumérisme, et le puritanisme qui caractérisait les États-Unis des années 1980.

Dr. Caligari demeure néanmoins très actuel, entre autres pour son traitement subversif des rôles des genres et son humour ironique qui n’a pas vieilli. On a là une autre preuve de la pertinence de se pencher aussi sur de plus vieux films lorsqu’on participe au festival Fantasia.

Dr. Caligari était présenté dans le cadre d’une projection virtuelle le 16 août.

D’autres restaurations inédites, notamment de la section Fantasia Rétro, demeurent disponibles à la location sur demande.


23 août 2021