Fantasia 2022 – Première pistes
par Alexandre Fontaine Rousseau
Quelque chose, dans la programmation de cette 26e édition de Fantasia, donne l’impression d’un retour aux sources pour le festival montréalais. Évidemment, le fait que l’invité d’honneur de cette année soit le légendaire John Woo nous ramène directement à un âge d’or du cinéma d’action hongkongais duquel l’événement demeure indissociable aujourd’hui encore. Mais c’est l’ensemble de la sélection qui prend, consciemment ou non, la forme d’un clin d’œil à une certaine tradition du cinéma de genre autour de laquelle l’identité même de Fantasia s’est constituée.
Les innombrables projections de minuit qui ponctuent la grille horaire de cette année nous rappellent d’ailleurs que l’atmosphère festive entourant l’événement fait partie intégrante de son ADN. Entre la nouvelle restauration du classique culte Blue Sunshine de Jeff Lieberman, une intrigante production des Shaw Brothers intitulée Mercenaries from Hong Kong et Dr. Lamb, un scabreux film de Catégorie III tout droit sorti des années 1990, la sélection a presque des allures de compilation des plus grands succès de l’histoire du festival.
La programmation rétro, à cet égard, s’avère particulièrement exemplaire. Le roi du cinéma d’arts martiaux Chang Cheh est de la partie, avec l’excellent Kid With the Golden Arm de 1979. On présente aussi The Heroic Trio, de l’inimitable Johnnie To, formidable croisement entre le film de Kung-fu et le récit de super-héros mettant en vedette Maggie Cheung, Anita Mui et Michelle Yeoh. On a même déterré, pour l’occasion, un obscur film de monstres géants coréen de 1967 intitulé Space Monster Wangmagwi.
Cette sélection témoigne aussi de l’évolution du festival au fil des ans. On pense, par exemple, à la section « Genre du pays » qui a su s’imposer depuis sa création en tant qu’incontournable de chaque édition. Il s’agissait évidemment de l’occasion parfaite pour rendre hommage au regretté Jean-Claude Lord, dont on présente le fameux Bingo ainsi que l’amusant slasher hospitalier Visiting Hours. Mais les cinéphiles curieux pourront aussi découvrir Manette ou les dieux de carton de Camil Adam, intrigante pépite nouvelle vague montréalaise de 1965 mettant notamment en vedette René Angélil, le chanteur Jen Roger et le poète Claude Gauvreau.
Même la sélection contemporaine contribue à cette impression de retour aux sources. Parmi les gros coups de cette sélection, notons tout d’abord la présence du Shin Ultraman de Shinji Higuchi – écrit par nul autre que Hideaki Anno, auquel on doit notamment le brillant Shin Godzilla de 2016. Le créateur de Neon Genesis Evangelion poursuit ainsi sa mise à jour des mythes fondateurs de la culture otaku, au diapason social et politique du Japon contemporain. Espérons que l’exercice soit aussi convaincant que la dernière fois.
La rumeur veut aussi que The Mole Song: Final relève d’un retour en forme pour l’inégal et prolifique Takashi Miike, dont la filmographie en dents de scie est constituée de moins de hauts que de bas depuis quelques années. On a moins d’espoirs pour Dark Glasses, nouvelle offrande du maître déchu du cinéma d’horreur italien Dario Argento. Mais sa présence à l’horaire a néanmoins quelque chose de réconfortant, comme si un vieil ami que l’on avait perdu de vue nous donnait de ses nouvelles après des années de silence.
Du côté de Camera Lucida, section composée par notre collègue Ariel Esteban Cayer, l’offre s’avère comme à l’habitude hautement prometteuse. On attend avec impatience Please, Baby Please, de la cinéaste américaine Amanda Kramer, qui s’annonce comme un hommage queer et kitsch à souhait au fétichisme stylisé d’un Kenneth Anger. On est aussi intrigué par The Cow Who Sang a Song Into the Future, premier long métrage de la cinéaste chilienne Francesca Alegria – fable écologique s’ouvrant supposément sur une chorale de vaches et de poissons.
Topology of Sirens de Jonathan Davies pique lui aussi la curiosité, comme le ferait n’importe quel film dont la prémisse repose sur la découverte d’une vielle à roue. We Might As Well Be Dead, de Natalia Sinelnikova, s’est pour sa part déjà valu quelques comparaisons avec l’œuvre de Radu Jude – auquel la cinéaste emprunte notamment son interprète Ioana Iacob. Le cinéma japonais n’est pas non plus en reste, Just Remembering de Daigo Matsui promettant une balade en taxi dans les rues de Tokyo à l’ère de la COVID.
De son côté, la sélection documentaire nous donne notamment l’occasion de nous replonger dans l’œuvre fascinante du cinéaste français Jean Rollin, avec Orchestrator of Storms de Kat Ellinger et Dima Ballin. À noter que le synopsis de The Pez Outlaw vaut à lui seul son pesant d’or : les cinéastes Bryan Storkel et Amy Bandlien Storkel y dressent l’improbable portrait d’un contrebandier de distributrices à bonbons. Mais le film le plus attendu de la liste reste cependant Shari de la réalisatrice japonaise Nao Yoshigai – voix singulière et avant-gardiste découverte en 2019 par l’entremise d’un très beau programme de courts métrages.
Tout ça pour dire qu’au-delà des valeurs sûres et des vieilles pantoufles, cette 26e édition de Fantasia s’annonce déjà riche en découvertes. On ne saurait résumer à ces quelques lignes une programmation comptant plus de 130 longs métrages allant d’Un été comme ça, le plus récent Denis Côté, au onzième chapitre de la saga The Ring. Il faudra donc, pour se faire une tête, retourner en salles dès aujourd’hui jusqu’au 3 août prochain.
Pour voir toute la programmation, c’est ici. Rendez-vous sur notre balado pendant le festival pour des discussions animées sur la cuvée 2022 de Fantasia !
14 juillet 2022