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Festivals

Fantasia 2014 : au coeur de la bête

par Céline Gobert

Au milieu du film Cold in July, signé Jim Mickle, une séquence montre le trio masculin vedette dans un drive-in face à La Nuit des Morts vivants de Romero. Il n’en fallait pas plus pour faire le lien avec le cinéma de genre. Mickle assume d’où il vient : du film de zombies. (N’oublions pas que c’est lui qui a signé Mulberry St.).

En baignant son film dans divers courants (instants contemplatifs du western, envolées lyriques du drame, noirceur et violence du polar), il rend la mission impossible de ne pas y voir de belles effusions d’amour pour le cinéma en général, et pour le cinéma de genre en particulier. Les spectateurs, dont l’excitation était déjà palpable dans la file d’attente bien remplie à plus d’une heure de la projection, le savent depuis le très bon Stake Land présenté en 2011 à Fantasia: Mickle porte un grand soin à l’image. Plus tard, ils ont pu lâcher pleinement leur enthousiasme : cris de joie à l’apparition de Don Johnson à l’écran tout comme à chaque éclaboussure de sang.

Au début, et pendant un petit moment (qui possède ses longueurs…), Cold in July ressemble à un revenge movie classique et tranquille – avec en prime une ambiance texanne 100% virile (en effet, les personnages féminins sont relégués à l’arrière plan…). Rien à voir avec les zombies. L’histoire tient en deux lignes : un gentil père de famille (Michael C Hall de la série TV Dexter) abat un jeune homme entré par effraction dans sa maison, le père du défunt (Sam Shepard) va vouloir se venger…. La surprise arrive au deuxième tiers du film : le récit change totalement de cap pour venir nous raconter tout autre chose…

Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année, le film revisite alors la série B des années 80 – 90 (soundtrack eighties en bonus!) avec un très grand sérieux esthétique même si l’on regrette parfois que le drame soit trop vite désamorcé par des pointes d’humour et autres accents kitsch. Mickle y questionne les vieux démons de l’Amérique : la justice (individuelle ou non), les racines de la violence, le rapport aux armes, tout en mélangeant les genres : le polar façon Coen, et la touche comique au cœur de la violence façon Tarantino.

Rappel des frères Coen également du côté de Kumiko the Treasure hunter, projeté mercredi soir en fin de soirée en la présence du réalisateur David Zeller (qui a co-écrit le film avec son frère Nathan). En effet, le film, remarqué à Sundance cette année, utilise le Fargo des Coen comme élément central de son récit. Après avoir déterré une VHS du film et s’être persuadée qu’il s’agissait d’une histoire vraie, Kumiko (Rinko Kikuchi) part au Minnesota à la recherche de la mallette pleine de dollars, dissimulée par le personnage de Steve Buscemi lors du final.

Le film est une sorte de Nebraska d’Alexandre Payne (ici producteur) au féminin et sous influence japonaise. A l’instar de Cold in July (qui réservait aussi une place centrale à l’objet VHS), Kumiko déborde d’amour pour le cinéma et l’image (en témoigne le grand soin apporté à la mise en scène et à la construction minutieuse de chaque plan). Articulée autour d’une poétique de l’absurde, que ne renieraient pas d’une certaine façon les Coen (leur Inside Llewyn Davis en est le parfait exemple), l’héroïne Kumiko, dans sa détermination à penser le film Fargo comme réel, rappelle que le cinéma est aussi une jolie façon de se distancier du réel, de rêver et d’échapper à la cruauté et à la prison du quotidien (symbolisée par le parallèle entre la cage de son lapin domestique et son appartement).

Toujours du côté du cinéma indépendant américain : le Honeymoon de Leigh Janiak (vu à côté de deux amatrices du festival …. septuagénaires!) renvoie, par son sujet, à L’Invasion des profanateurs de sépultures et offre une allégorie amusante (et terrifiante) du mariage et du couple en confrontant Bea (Rose Leslie) et Paul (Harry Treadaway) à une menace invisible qui va peu à peu les détruire de l’intérieur. Le film vaut surtout pour son crescendo hystérique dans les bois qui fait peur avec trois fois rien (un faisceau de lumière extraterrestre et des jeux d’ombre flippants dans la cabane) et la prestation de son duo d’acteurs, en symbiose.

La vraie surprise de la semaine est venue d’Australie avec le Predestination des frères Spierig (auteurs du film de vampires Daybreakers), faux blockbuster autour du voyage dans le temps, qui affichait complet jeudi en deuxième partie de soirée. Alors que la bande-annonce indiquait un banal mais efficace film de science-fiction avec Ethan Hawke (dans la veine de Minority Report ou Looper), les frères Spierig utilisent l’élément SF du ‘paradoxe temporel’ pour pousser jusqu’à la folie et l’absurde l’idée du fantasme narcissique. C’est aussi, au passage, le premier film de ce genre (et grand public) à faire d’un(e) transgenre son personnage principal.

Certains jugeront le scénario complètement tiré par les cheveux, d’autres crieront au génie. A la fin de la projection, le public de Fantasia était tout aussi sonné qu’enthousiaste, tout le monde cherchant à discuter de ce qu’il venait de voir avec son voisin.

Une chose est certaine : le film va faire du bruit à sa sortie et vous allez en réentendre parler !


25 juillet 2014