Fantasia 2014 : et le meilleur film du festival est…. ?
par Céline Gobert
Mardi soir, début de soirée. Un sérieux concurrent s’impose au discret Starry Eyes de Kevin Kolsch et Dennis Widmyer : le marvelien Guardians of the Galaxy de James Gunn, projeté devant une salle pleine à craquer. Surprise : une centaine de minutes plus tard, les spectateurs ayant joué la carte « anti-hollywood » face (justement) au mastodonte hollywoodien ne l’ont pas regretté. Starry eyes est, en effet, l’un des meilleurs films projetés à Fantasia cette année. N’ayons pas peur d’oser les grosses comparaisons (le film le mérite) : Starry Eyes, c’est le Possession de Zulawski qui rencontre le Mulholland Drive de Lynch qui rencontre le Phenomena de Dario Argento. Le tout bercé par les beats diaboliques d’un soundtrack eigthies, et, porté par la prestation viscérale de l’actrice principale Alexandra Essoe qui joue Sarah, une jeune fille naïve se rêvant Audrey Hepburn.
Le tueur, le monstre, c’est Hollywood. Littéralement. A l’instar de l’héroïne du tordu (mais médiocre) Contracted d’Eric England, ou encore du Thanatomorphose d’Eric Falardeau (qui fit le buzz à Fantasia l’an passé), Sarah meurt. Son corps pourrit de l’extérieur (ses ongles se détachent, ses cheveux tombent) et de l’intérieur (où se logent de peu ragoûtants asticots). Avant d’en arriver là, Sarah était une belle ingénue, serveuse dans un restaurant à burgers (il faut bien payer le loyer exorbitant de Los Angeles) multipliant les auditions foireuses. Après un énième casting qu’elle croit raté, on la rappelle. A chaque rendez-vous, on lui demande encore un peu plus d’elle même. On lui prend un peu plus de sa dignité. De ses rêves. De sa rage de réussir. Vidée et humiliée par un producteur pervers – qui pourrait tout aussi bien être le Diable en personne – elle n’est plus qu’une loque. Une autre qu’elle-même. Une carcasse, vide, qui va péter les plombs.
Kevin Kolsch et Dennis Widmyer (réalisateurs de Postcards from the future, un documentaire sur l’auteur Chuck Palahniuk) prennent leur temps pour soigner une belle atmosphère satanique rythmée par la musique incroyable de Jonathan Snipes (le compositeur de l’atypique soundtrack de Room 237). La façon dont les rêves de l’héroïne vont venir se fracasser contre l’odieuse réalité de L.A rappelle la chute de la Diane de David Lynch, naïve blonde qui finira par se tirer, par désespoir, une balle dans la tête. Métaphore ou non : à mesure que Sarah sacrifie une partie d’elle-même, à mesure qu’elle se perd dans cette usine à rêves déglinguée, peuplée de losers et de jalouses rivales, sa chair pourrit. On peut prendre le film au premier degré : la fille (déjà névrosée sur les bords, puisqu’elle s’arrachait ses cheveux par poignées en cas de frustration) massacre son entourage afin de passer le rite de passage d’une bande de démons venus des enfers. Ou bien, voir le tout comme une allégorie de l’enfer que sont la dépression et de la désillusion dans un L.A corrompu. La fille, au bout du rouleau et ayant déjà montré des signes de violence (ses cheveux), passe à l’acte. Le reste n’est qu’une fiction qu’elle s’est montée de toutes pièces, un vrai film d’horreur dont elle est (enfin) l’héroïne. C’est clairement le déluge gore le plus intelligent de Fantasia cette année.
Tout aussi gore, mais bien moins subtil, The Green Inferno d’Eli Roth met également en scène une jolie ingénue, WASP, aisée, qui en découvrant la réalité des excisions en Afrique au détour d’un cours d’université, décide de s’engager dans l’activisme. Elle s’amourache alors du leader d’un groupe de jeunes américains, multipliant les protestations pour sauver une tribu d’Amazonie, menacée par l’arrivée massive de bulldozers sur ses terres. Elle part alors avec le groupe, sur place, pour tenter de « changer l’histoire ». A l’instar de la Sarah de Starry Eyes, toutes ses illusions vont peu à peu partir en fumée.
Comme d’habitude chez le moralisateur Eli Roth, la catastrophe (qu’elle soit environnementale – dans Cabin Fever ou encore Aftershock de Nicolas Lopez qu’il a co-scénarisé ; ou sociale – la nouvelle étape de la violence dans Hostel) ne sert qu’à pointer du doigt l’irresponsabilité et la stupidité de la jeunesse occidentale. Comme d’habitude, nous n’avons aucune empathie pour les personnages principaux, ici tous engagés dans une cause pour de mauvaises raisons (égoïsme, faiblesse, culpabilité). Cette charge ouverte contre ces pseudos activistes est la partie la plus intéressante de The Green Inferno, qui lâche le même constat aigri et lucide que The East de Zal Batmanglij (mais, dieu merci, sans le retournement gnangnan final).
Le retournement ici, renvoie plutôt vers l’italien Ruggero Deodato, réalisateur du très controversé Cannibal Holocaust, puisque le groupe est kidnappé par la tribu qu’il est venu sauver, une tribu … cannibale. Brrrr. Rapidement (et accrochez-vous, la première ‘dévoration’ est la plus éprouvante!), le cauchemar commence (et pour eux, et pour nous) : démembrements, tranchage de gorge et autres joyeusetés gratuites sont au programme. Toutefois, si Eli Roth parvient à retourner l’estomac, il ne fait jamais peur. Encore une fois, il commet deux erreurs fatales : 1) il fait preuve d’un humour douteux (sérieusement, qui a ri lors de la séquence diarrhéique?), et 2) il ne quitte jamais le terrain, intellectuellement limité, du torture porn. En d’autres mots, c’est bête et méchant.
A noter : The Green Inferno, qui sortira au cinéma au Québec début septembre, affiche complet pour la séance de samedi soir. Eli Roth, qui devait venir à Montréal, ne sera pas de la partie.
Pour finir, une bonne nouvelle : Fantasia a décidé d’ajouter une journée à sa programmation !
Le jeudi 7 août sera l’occasion de voir ou de revoir, entre autres, le sud-coréen Han Gong-Ju de Lee Su-jin, Angry Video Game Nerd : The Movie de James D. Rolfe et Kevin Finn ou encore d’apprécier une nouvelle séance déjantée (et propre à Fantasia) de Zombeavers de Jordan Rubin !!!
31 juillet 2014