Festival d’Annecy 2016, Jour 0
par Nicolas Thys
Alors que les raclettes s’enchainent au même rythme que des accrédités enfilant leur badge ou que des animateurs nord-coréens terminant des longs métrages étrangers, le début des festivités approche. Et tant mieux car trainer dans les salles obscures évitera les pluies tout autant que les indigestions. Cette année, nous attendent 54 courts métrages en compétition officielle en plus de différentes sélections courtes dont on reparlera.
Parmi les longs métrages qui nous semblent les plus intéressants, signalons la première mondiale du nouveau film de Jean-François Laguionie, Louise en hiver, ou la projection de L’Enfant invisible d’André Lindon, dessin animé poétique et rare sur les aventures d’un petit garçon blond, vague petit prince, amoureux d’une fillette semblable à une sirène. Plusieurs autres films promettent des expériences fortes comme Psiconautas d’Alberto Vasquez, auteur d’un court métrage également en lisse, ou Un rêve solaire du cinéaste expérimental Patrick Bokanowski, qui aurait sûrement sa place dans un « off-limit » du long si cette sélection existait. Deux femmes sont à l’honneur : Ann Marie Fleming pour Window horses et Penny Lane pour un documentaire animé plutôt dingue : Nuts ! La présence japonaise offre aussi quelques curiosités avec La Belladone de la tristesse d’Eiichi Yamamoto, œuvre érotico-sadico-psychédélique adaptée de l’essai de Jules Michelet, Les Sorcières, par un disciple de Ozamu Tezuka dans les années 70. Côté français encore, on ne conseillera également que trop les films présentés au festival de Cannes le mois dernier : La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit qui fait l’ouverture du festival d’Annecy, Ma vie de Courgette de Claude Barras et La Jeune fille sans main de Sébastien Laudenbach, tous deux en compétition.
Ces trois derniers longs métrages, produits ou coproduits en France, appuient la tendance de ces dernières années à développer et affirmer un désir de faire une animation différente en Europe, ou en tout cas hors des Etats-Unis ou du seul Japon. Comme Phantom boy, Tout en haut du monde ou Adama, ces films montrent qu’une animation familiale et avant tout destinée aux plus jeunes peut divertir tout en faisant réfléchir et en proposant des formes autres que celles formatées de cette animation fast-food issue de Dreamsney ou Illumixar. Même si elles sont plus invasives qu’une meute de sangsues dans une mare de sang, le public est apte à gober autre chose. Il est toujours possible de voir autrement.
Même si La Tortue rouge a été initiée par le studio Ghibli, elle ne se serait pas faite sans Prima Linea et deux autres sociétés plus connue pour leurs œuvres en prises de vues continues: Why not et Wild Bunch. On retrouve clairement le style épuré et naïf du réalisateur de Father and daughter dans une histoire minimaliste qui fait la part belle à des sonorités ambiantes délicates et à la musique bien plus qu’aux voix et aux effets d’animation grandiloquents. D’aucuns diront le film lent, il n’est que contemplatif : un homme, une île déserte, un léger détour vers l’imaginaire. Le cinéaste cherche à impressionner la bande filmique bien plus que le spectateur, et à chercher des effets naturalistes, le calme et la simplicité d’une solitude non désirée. Pour ce faire, comme dans ses courts-métrages, Dudok de Wit donne à voir les textures et les traits de son dessin, à abstraire et retirer un maximum plus qu’à saturer, à vider ses plans pour émouvoir plutôt qu’à trop en faire. Les couleurs seules appuient les différentes atmosphères et paysages bien davantage que les expériences inutilement ébouriffantes d’autres longs métrages dont les auteurs semblent se dirent que comme avec l’animation/les effets visuels on peut tout faire, il faut tout faire. De toute façon, la prouesse technique sert rarement autre chose que le CV de l’animateur qui désire perdre son âme à Hollywood. Ici, ce qu’on ressent c’est ce qui est le plus difficile à réaliser en animation : à partir de rien, faire en sorte de se laisser porter par le temps qui passe, être bercé par ses micro-mouvements, entre fixité et légères vibrations ; et, enfin, donner la possibilité de voir les choses, de les entendre au gré de mélodies simples comme s’il cherchait avant tout à renouer un contact avec des émotions premières et pures. En ceci aussi, on retrouve ce qu’on aimait dans les précédents films de Michael Dudok de Wit.
La Tortue rouge dure à peine 1h25, Ma vie de courgette 1h05 et La jeune fille sans main 1h16. Ces trois films – on reviendra sur les deux autres très vite – prouvent qu’il n’est absolument pas nécessaire de réaliser des œuvres longues pour qu’elles soient réussies, ce que semblent croire la plupart des cinéastes actuels qui ne se rendent pas compte qu’ils ennuient plus qu’autre chose. Difficile de savoir si l’amplification de la durée moyenne des films live est due à l’arrivée du numérique qui permet de filmer beaucoup plus, beaucoup plus vite sans aucun coût de pellicule ou de développement. Mais une chose est certaine, le cinéma d’animation, avec ses budgets réduits et un processus de création plus long est encore relativement préservé cet allongement temporel qui s’apparente souvent bien plus à un défaut qu’autre chose.
13 juin 2016