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Festival d’Annecy 2017, Jour 0 : un petit tour vers la Chine et René Laloux

par Nicolas Thys

Les derniers jours fortement ensoleillés à Annecy ont fini de sécher les torrents de pluie déversés tout au long de la précédente édition du festival, ce qui augure une belle semaine et des salles probablement moins remplies que les plages autour du lac. Quoique… depuis quelques heures, le nombre de personnes serties d’un badge plastifié autour du cou est en constante progression, indice que la compétition commence demain et que tout le monde est sur les starting blocks.

En attendant les premières séances, nous avons déjà pu voir deux expositions au Musée château. La première est consacrée à la Chine qui est, cette année, le pays à l’honneur et le pays censeur du festival après le retrait forcé du film indépendant de Liu Jian, Have a nice day. Présenté à Berlin ou à Zagreb, il ne sera finalement pas montré ici. Probablement parce que la “révolution culturelle” de l’animation, qui rapporte beaucoup d’argent au MIFA, a décrété que leur nation n’était pas assez bien mise en valeur dans ce percutant pamphlet social, cynique et amusant, réalisé dans une animation limitée des plus sobres. Un film captivant, qui heureusement a été acheté par Memento et sortira dans les salles du monde entier. Une censure qui résonne comme un coup de pétard mouillé en somme…

Heureusement, les politiques n’ont probablement pas vu la belle exposition qui regorge de films, d’installations et d’œuvres plastiques qui oscillent entre art traditionnel, formes contemporaines et éléments critiques envers le régime et la société actuelle. Si un élément relie tous les artistes c’est peut-être leur manière de reprendre certains éléments du passé et de les retravailler pour donner de nouvelles images: comiques, absurdes, tragiques, réalistes ou violentes du présent.

Après une brève mais belle introduction historique sur l’animation chinoise et ses techniques majeures, plusieurs pièces sont consacrées à la création contemporaine. On y retrouve des artistes majeurs actuels comme Sun Xun qui, toute la semaine, réalisera en direct une fresque dessinée sur une toile au château. Ses peintures panoramiques et ses films sont également diffusés dont plusieurs en 3D stéréoscopique. A ses côtés, on retrouve plusieurs cinéastes déjà remarqués à Annecy : l’incontournable Haiyang Wang et ses animations surréalistes réalisées à partir de dessins sans cesse effacés qu’il fait évoluer comme autant de rêves hallucinatoires. Ou encore Ding Shiwei, sélectionné voilà deux ans, qui réalise une installation animée de 15m de long : réflexion sur le temps à partir de tronc d’arbres découpés et mouvants liés par des fils. Enfin, dans Hand-colored, Lei Lei,  associé de nouveau au français Thomas Sauvin, propose une installation autour de portraits d’une cinquantaine d’individus chinois anonymes retouchés et réanimés par des exercices de détourages, de déformations et de colorisations afin de (re)penser l’histoire familiale et les relations entre individus.

Mais celle qui nous aura le plus impressionné est Geng Xue, qui travaille la porcelaine et la marionnette de manière originale. Elle crée des poupées filaires dans cette matière qu’elle va ensuite animer image par image, créant un effet surprenant de quasi-pixillation puisque le fil donne à imaginer le marionnettiste hors-champ, lui-même travaillé par l’artifice de l’animation. On retrouve dans son film exposé, Mr Sea, cette sensible ambiguïté entre la fragilité de la figurine et sa rigidité qui l’empêche de se mouvoir librement, ce qui illustre parfaitement le conte populaire qu’elle adapte. Comme quoi, pas besoin de tricher avec des images de synthèse pour animer des poupées de porcelaine asiatiques !

A noter que ces artistes, ainsi que plusieurs autres dont on reparlera cette semaine, seront mis à l’honneur dans 11 « carnets de travail » édités par Les Editions de l’oeil et disponibles mardi. Ils proposeront un court texte sur le cinéaste/artiste plasticien et plusieurs images illustrant son œuvre.

La seconde exposition est consacrée à René Laloux, incroyable créateur français, auquel deux grandes salles sont consacrées. Après avoir travaillé dans un centre psychiatrique dans les années 1950, il va occuper une place à part jusqu’à la fin des années 80 dans l’animation française. Il a réalisé d’excellents courts-métrages et trois longs-métrages dont un avec Roland Topor, La Planète sauvage, le suivant avec Moebius, Les Maîtres du temps, et le dernier en collaboration avec Philippe Caza, Gandahar. On y trouve des dessins d’animation, des cellulos originaux et de nombreuses illustrations avec des textes écrits en collaboration avec Fabrice Blin.

Mais l’information surprenante, annoncée dans l’exposition, est le projet en cours d’une version longue de La Planète sauvage. Afin de respecter les contraintes de temps imposées par le studio Tchèque où le film fût réalisé, Laloux avait dû le raccourcir d’une dizaine de minutes. Ses archives renferment suffisamment de matériel pour que ce manque puisse être restitué. On attend de voir !

Pour ceux qui auraient envie de lire davantage sur l’animation, signalons aussi la parution d’un ouvrage richement illustré, signé Laurent Valière et intitulé Cinéma d’animation, la French Touch. Il propose un tour d’horizon de l’animation française à travers une approche historique puis thématique. Les textes sont simples et constituent une agréable introduction. Nous y découvrons nombre de documents de travail, storyboards et dessins mais surtout des entretiens avec des professionnels peu mis en avant dans les écrits sur l’animation comme les décorateurs ou autres techniciens. On regrettera simplement l’accent mis sur les longs-métrages au détriment des films courts, relégués à de trop rares pages.

Les courts-métrages occuperont d’ailleurs l’essentiel de notre temps cette semaine avec, une fois de plus, une sélection prometteuse. En dehors de la compétition, nous nous attarderons sur l’Asie avec plusieurs programmes autour de la Chine mais aussi du Japon. Nous irons ensuite faire un tour du côté de Van Gogh et d’un village enchanté pour terminer sur Peter Foldès, des histoires de renards et d’autres surprises. “Nice days” en perspective !


12 juin 2017