Festival d’Annecy 2017, Jour 1 : Un peu de douceur étudiante dans un monde professionnel de brutes !
par Nicolas Thys
En ce lundi, les salles étaient pleines malgré le soleil régnant. Probablement parce qu’elles sont climatisées et que les animateurs, ne voyant que rarement la lueur du jour, ont perdu l’habitude de la lumière naturelle. C’est une bonne nouvelle pour tous ces films qui ont besoin du public pour exister !
Toutefois, la compétition courts-métrages a doucement commencé. Le finnois Radio Dolores n’échappe pas à une indolente, facile et sempiternelle voix-off malgré des marionnettes sympathiques. L’expérimental autrichien d’Anna Vasof était mignon mais aurait pu être fait par des étudiants en première année tant il ne s’amuse qu’à révéler les mécanismes de l’animation. On a aussi eu droit à un érotique brésilien inutile, Venus de Savio Leite, et à un film australien amusant, Double king de Felix Colgrave, mais ses 10 minutes paraissaient une éternité tant il tourne en rond après la première moitié.
Heureusement les autres films étaient plus ambitieux. Il est d’ailleurs étonnant de voir à quel point certains répondaient techniquement aux précédents en les humiliant, donnant à la séance des allures de flagellation ou de punition pour certains. Les poupées finlandaises ont eu l’air tellement amateurs face à celles du polonais Jaroslaw Konopka dans The Escape. Son film est lourd, très « polonais » dans le sens où il en fait beaucoup sur les réminiscences de la guerre, la noirceur et l’impossibilité de s’extraire du désespoir et de l’horreur d’un monde condamné à répéter les mêmes erreurs. Mais il fascine dans une mise en scène ultra-formaliste et rare dans ce type de production. De plus, ses figurines terreuses, horrifiques et macabres donnent la chair de poule et impose un style visuel et un mouvement impressionnant. Nouvelle preuve, après Locus, que les marionnettes polonaises sont parmi les plus innovantes aujourd’hui.
Idem pour le film d’Anna Vasof qui s’oublie si vite après In a Nutshell du suisse Fabio Friedli, autre film « abstrait » réalisé à partir d’éléments réels qui s’entrechoquent ou se croisent. On pourra lui reprocher quelques airs de déjà-vu mais sa maitrise du rythme est impeccable. En outre, il réussit à provoquer en alternant éléments quotidiens et consonances politiques comme lorsque des aliments se terminent sur une tache de sang sur une page de journal blanche.
Notre préféré dans cette sélection reste le film absurde et minimaliste de Nicolas Ménard, Wednesday with Goddard. Il nous fait cheminer en quatre minutes et une après-midi vers Dieu – qu’il affuble d’un surnom mignon : « Goddard », ce que ne rejetteraient pas les amateurs du cinéaste avec un « d » en moins – aux côtés d’un homme aux proportions exagérées. Sur son chemin, il a le temps de trouver l’amour et d’accumuler les gags sérieux. Dans un univers d’une grande simplicité, composé à partir de larges aplats de couleurs, il incruste quelques éléments stylisés et dessinés au crayon qui contrastent avec le reste. Le scénario rappellera Beckett en plus drôle. Le cinéaste va droit au but et crée un monde dont l’esthétique visuelle naïve et cotonneuse des personnages évoque le psychédélisme d’Heinz Edelmann.
On a également pu voir une des séances intitulée « perspective », une nouveauté de cette édition 2017. Il s’agit pour le festival de proposer un regard critique sur le monde, de soutenir de nouveaux auteurs et des œuvres produites dans des pays émergents. Il était intéressant de voir ce que pouvait proposer des pays comme le Ghana, l’Equateur ou l’Albanie qu’on voit habituellement peu en animation. Effectivement, les films revêtaient pratiquement tous une forte dimension politique et sociale, dénonçant les horreurs psychologiques, physiques ou économiques commises à travers le monde. Les films sont souvent un peu banals dans leur esthétique ou leur propos, qui manquent de subtilité, mais l’effort est appréciable. Cependant, certains sont de belles réussites à l’image de Yaman du syrien Amer Albarzawi. Dans une esthétique économe, proche d’un Gondry, il dénonce l’horreur de la guerre chez les enfants et la perte brutale des rêves en 4 minutes à peine. Il n’en fallait pas beaucoup plus à Carolina Corral, réalisatrice mexicaine, pour aborder la question des femmes en prison et des liens amoureux qu’elles peuvent nouer avec des hommes dans d’autres pénitenciers. Le dispositif d’Amor, nuestra prison est largement utilisé aujourd’hui : des voix réelles enregistrées et illustrées, mais le propos est fort et important même s’il rappelle Kaputt de Burg Hoheneck.
A l’opposé de cette séance moralement alarmiste mais importante, les courts-métrages étudiants ont surpris. Le programme 3 propose des films d’une grande vitalité. Indépendamment de leur qualité, ils étaient tous absurdes, amusants, décalés, plutôt naïfs et sans une once de désespoir malgré parfois une certaine violence. Même le court-métrage abstrait de Michael Edwards, ironiquement appelé A Narrative film, le meilleur du genre qu’on ait vu aujourd’hui, possède une indéniable dimension comique. On a l’impression, dans le mouvement arythmique conféré aux formes géométriques simples, qu’il parodie ses références comme si l’on assistait à du cubisme, du futurisme ou du Viking Eggeling qui aurait un coup de trop dans le nez. La décomposition du film en actes impossibles avec l’ajout de couleurs, de traits et de lignes formant des visages grotesques, vient appuyer agréablement ce côté cocasse.
Parmi les autres réussites du programme on peut citer Play boys de Vincent Lynen dont on avait déjà parlé précédemment. Mais aussi Le Bar du théâtre d’Aude David qui recrée un espace et réfléchit sur la fugacité du mouvement à partir de sons préenregistrés dans… le bar d’un théâtre. Vainqueur à Zagreb, Summer’s puke is Winter’s delight est aussi WTF que son titre le laisse prévoir mais son incohérence érotique et perverse font rire plus que vomir. Le film est aussi un excellent coupe-faim ! Enfin Sunnämilch du suisse Silvan Zweifel est probablement le plus imaginatif de toute la journée. Son animation est efficace dans son désordre apparent et un mouvement vaguement gélatineux. Et elle apporte un aspect onirique fou à une histoire dans laquelle un homme sans tête dans un bateau trait le soleil tous les jours pendant qu’une tête sans corps sur une île au milieu d’arbre cherche à rejoindre le navire.
Le temps passe et les pages se noircissent. On aurait bien parlé de quelques longs-métrages, notamment de l’excellent Dans un recoin de ce monde de Sunao Katabuchi. Ce sera pour demain avec d’autres long-métrages japonais. Mais c’est, pour le moment, le meilleur long en compétition !
13 juin 2017