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Festivals

Festival d’Annecy 2017, Jour 2 : A propos du Japon et de Rien…

par Nicolas Thys

Sur les cinq longs-métrages d’animation japonais en sélection, nous avons pu en voir quatre. Si on se réfère à l’affiche du seul qui nous manque, Rudolph the black cat, le chara-design et la 3D synthétique rebutante et similaire à tous les sous-Pixar produits à travers le monde confirment que nous avons fait le bon choix en l’évitant. On passera également sur Hirume hime, hors compétition. Sous des dehors mignons, son idéologie ultra-techniciste, pro-libérale et dépourvue de toute distance critique servie par des espèces de mecha est aussi dangereuse pour l’esprit que son animation formatée et rigide l’est pour les yeux.

Heureusement les trois films en compétition valent mieux. Dans l’ordre, du moins bon au meilleur, on commencera par A Silent voice de Naoko Yamada. Déjà sorti presque partout à l’exception des pays francophones, il fera le bonheur des lecteurs du manga dont il est adapté. L’animation est douce, sans fioriture et permet de faire passer un scénario brouillon et mal agencé malgré des thèmes forts comme la surdité, le harcèlement et le suicide chez les ados. On appréciera qu’au lieu des éternelles histoires d’amour, le récit soit centré sur l’amitié. Signalons qu’une femme est à la tête du film, ce qui reste rare dans l’animation nippone.

Ceux qui connaissent Mind game risquent d’être quelque peu déçus par Lou et l’île aux sirènes de Masaaki Yuasa. Là encore, la construction narrative pêche. Le récit manque de précision et n’est guère davantage qu’un sous-Ponyo doublé d’un succédané de Tsuritama. Heureusement, l’animation est éclatante. Le cinéaste fait un bel usage des couleurs vives et sombres, liés au fait que Lou ne supporte pas la lumière du jour. En outre, il va piocher dans diverses influences, rappelant et modernisant des moments d’animation classiques et naviguant entre des mouvements amples, d’une grande fluidité et des moments bruts et efficaces, notamment dans les scènes dansées, d’une incontestable réussite. Pour être aussi lourd que le scénario, le film n’est guère plus qu’une tranche de surimi fade enveloppée dans un magnifique bento.

Enfin, Dans un recoin de ce monde est la surprise de cette édition. Le film de Sunao Katabuchi est de loin ce qu’on a vu de mieux en long-métrage en 2017. Adapté d’un manga de Fumiyo Kono, il relate de manière naïve et poétique, sous la forme d’un journal, la vie quotidienne d’une petite fille qui deviendra une femme dans la grande banlieue de Hiroshima entre 1933 et 1945. La comparaison avec Le Tombeau des lucioles serait facile et peu convaincante tant les deux films sont différents. L’œuvre de Katabuchi est aussi délicate mais bien moins désespérée, notamment grâce au personnage principal qui ne s’écroule jamais et ne donne pas davantage l’impression de se battre malgré ce qu’elle endure. Elle vit tout simplement, et accepte la magie du monde réel. Sa vitalité est contagieuse, tout comme son amour pour la peinture, sa maladresse sincère et son incompréhension face aux horreurs de la guerre. La plupart restent hors champ mais transparaissent d’autant mieux, laissant l’imagination faire le reste.

Katabuchi use de moyens originaux pour arriver à ses fins. D’une part dans la voix de l’héroïne, intemporelle, identique peu importe son âge, comme si elle était déjà âgée mais toujours jeune. D’autre part, le cinéaste associe une animation traditionnelle subtile et efficace dans son mouvement, des moments plus picturaux où le trait du dessin transparaît et un passage qui fera penser à Blinkity blank de Norman McLaren. Certes, la gravure sur pellicule n’a pas été utilisée mais esthétiquement l’influence est claire et son utilisation ingénieuse. Enfin, quand on songe aux recherches qui ont accompagné la production du film, l’ensemble ayant été documenté par des archives au jour le jour, des références sur la présence de tel navire dans le port à la destruction de tels bâtiments en ville, on en ressort que plus impressionné.

Côté Japon, on ira encore voir Perfect blue ce vendredi. Le film de Satochi Kon a récemment été restauré en 4K, mais ceci est une autre histoire… Pour le moment revenons sur le deuxième programme des courts-métrages en compétition.

Après une introduction un peu sage le premier jour, l’action a débuté avec une séance d’une grande cohérence. Chacun offrait un rapide aperçu de ce que peut l’animation lorsqu’elle est confrontée au réel que ce soit dans une perspective technique, scénaristique ou formelle. On y croise un personnage en prise de vues continues dont les souvenirs sont animés (Zug nach peace), de la pixillation associée à différentes techniques (Tesla), de la rotoscopie (Nothing happens), un mélange de décors en volume et de personnages tantôt dessinés tantôt humains (The Full story), une histoire vraie documentarisante (Sprawa Moczarskiego), des effets spéciaux ancrés dans un décor réel (Metube 2), un récit entremêlant ordinaire et fantastique (Pépé le morse), une vision du futur qui reproduit la réalité (Adam)… Chaque dimension semblait représentée. Seul le film de Spela Cades, Nighthawk, présenté en fin de séance, détonnait quelque peu. Et encore… l’expérience hallucinatoire qu’elle propose, même s’il s’agit d’un blaireau en papier découpé, semble relever d’une expérience vécue après avoir trop bu !

Evidemment tous ces films ne se valent pas mais le programme comporte tout de même deux oeuvres importantes. La première, Tesla, est le nouveau film du canadien Matthew Rankin qui avait déjà remporté un prix à Annecy avec Mynarski chute mortelle. Nous en reparlerons plus longuement demain mais sa maîtrise de la lumière, du son et du mélange de techniques combinée avec un récit réaliste aux frontières du fantastique est juste sublime.

Second film sur lequel il est nécessaire de revenir : Nothing happens de Michelle et Uri Kranot. Le duo israélo-danois réalise pratiquement un film par an, souvent en rotoscopie, peinture, dessin à partir de photographies ou photocopies. L’année passée leur How long, not long, inspiré d’un discours de Martin Luther King, était un film politique au rythme assuré. Leur nouveau court-métrage est à l’opposé du précédent. Pour une fois le titre ne triche pas sur le contenu : il ne se passe effectivement rien dans cette fascinante expérience immersive et contemplative en cinémascope. Simplement, des individus se regroupent peu à peu autour d’un événement invisible au milieu d’une forêt enneigée qui surplombe une sombre ville industrielle. Pendant ce temps, des corbeaux en contre-champ font de même sur un arbre. On observe leur arrivée et les micromouvements de la peinture. Les étranges visages de ces individus aux yeux exorbités rappellent la peinture allemande du début du 20ème siècle. Avec les volatiles, le film semble possédé par des morts-vivants et devient une lente promenade macabre. On imagine mal le rendu sur un petit écran mais l’expérience cinématographique est captivante. On est embarqué dans ce monde curieux et laiteux. Apparemment le film a été aussi pensé pour la réalité virtuelle ! On ne demande qu’à voir le résultat…

Signalons également le très bon Zug nach peace, quoiqu’un peu trop didactique, sur la condition des immigrés et sur l’histoire de l’Irak. Mais la déception du jour ― peut-être qu’on en demande trop — vient d’Angleterre. Après le magnifique The Bigger picture, on espérait davantage du nouveau film de Daisy Jacobs, The Full story. Malheureusement l’histoire est bien trop nébuleuse à la première vision et en reprenant ce mélange d’éléments dessinés, en volume et en prise de vues directes, elle brouille des pistes et n’éclaire rien. On se perd parmi les personnages tout en ayant l’impression d’avoir déjà souvent vu ce type d’animation qu’elle ne perfectionne pas. Les étudiants en animation de la NFTS, qui l’a formée, ne font que ça ces dernières années et leur originalité devient peu à peu un formatage. Dommage..


14 juin 2017