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Festivals

Festival d’Annecy 2017, Jour 3 : Van Gogh et la comédie musicale animalière

par Nicolas Thys

Alors que le soleil n’en finit pas de taper et que la climatisation n’est pas partout optimale, on se demande pourquoi le festival n’a pas encore pensé à poser des écrans dans le lac à l’image du violoncelliste de Mauro Carraro. Mais on ne se plaindra pas, le fromage fond bien plus vite ainsi et aimer la pluie est tellement surfait de nos jours. Les films et séances se succèdent et la troisième partie de la compétition des courts-métrages était convaincante.

Alors que la deuxième série était centrée autour du réel, la troisième partie convoque la question du corps animé dans différents états. La marionnette est bien sûr au coeur du dispositif avec cinq films sur neuf. Parmi eux, on avait déjà vu Ossa de Dario Imbrogno et Tühi Rum d’Ülo Pikkov à Animateka, des courts qui évoquent la destruction et la mélancolie tout en affichant leur dispositif. On apprécie toujours autant le film estonien dont vous trouverez la chronique ici. L’autralien After all de Michael Cusack leur a répondu de façon assez surprenante, en évoquant la perte d’un parent, avec des poupées de bois au visage ridé qui se déplacent dans un espace noir décoré d’objets d’enfances à déménager. Malgré sa longueur le film est intéressant mais, malheureusement pour lui, il arrive après Negative space de Max Porter et Ru Kuwahata. Cette production française aborde le même thème avec, une fois encore, des figurines en volume. Son écriture directe, amusante et quelque peu distanciée, ajouté à une animation sobre et agréable, apporte au film une touche de folie que l’autralien, bien plus dur, ne possède pas.

Mais, Min Börda se détache nettement du lot. Le nouveau film de Niki Lindroth von Bahr, précédemment sélectionné à La Quinzaine des réalisateurs, se situe dans une continuité parfaite par rapport à ses précédents travaux. On retrouve les marionnettes animales si singulières de la cinéaste, sorte de cousins de celles de Simhall et Tord & Tord. Cette fois, elle les met en musique et crée une comédie musicale à première vue très drôle mais qui s’emplit peu à peu d’une douce mélancolie. La progression est d’autant plus subtile que les premiers plans sont surprenants. Une sardine bien droite à l’oeil globuleux s’offre à nous en plein centre de l’écran. Commence alors un chant assez particulier révélant un espace hôtelier pour poissons solitaires avant que la réalisatrice ne nous embarque dans un supermarché quasi vide, un restaurant où travaillent des souris roses et un centre d’appel peuplé de singes manipulateurs. Visuellement, le résultat est surprenant. La cinéaste ne cherche pas une fluidité absolue du mouvement mais joue sur la rigidité tout en parvenant à faire danser ses animaux en douceur. La mise en scène accentue cet aspect puisque la réalisatrice reste sur des cadrages essentiellement fixes, en plans larges et colorés, que ne dénigreraient pas un Ander(s)son. (Roy ou Wes, au choix). Et, plus le film avance, sans narration linéaire, plus on se retrouve, sans s’y attendre, pris et attendri par une grande oeuvre sur une petite apocalypse. Niki Lindroth von Bahr peuple son film d’une solitude tendant à déshumaniser l’humain.

Autres rapports au corps, plus graphique ceux-là, dans I want pluto to be a planet again de Marie Amachoukeli, Vladimir Mavounia-Kouka et Aenigma d’Antonio Ntoussias et Aris Fatouros. Leur film des premiers tourne autour de la manipulation du corps humain et de sa transformation en robot dans une sorte de critique du transhumanisme qui tend à contaminer la société contemporaine. Le scénario manque de subtilité mais le film contient de jolies idées graphiques. Aenigma réfléchit davantage sur le corps sculpté, modelé et reproduit mécaniquement en utilisant la 3D synthétique. Leur film s’inspire du peintre grec surréaliste contemporain Theodoros Pantaleon. Des femmes, similiares et sans tête, se meuvent lentement dans un monde peuplé de créatures étranges évoluant dans un espace qu’on croirait inspiré d’un Élysée anthique. Les “Barbie” héléniques décapitées seraient-elles des énigmes ?

Les deux autres films de la sélection ne sont pas directement autour de la question du corps même si Casino de Steven Woloshen réinterroge, comme souvent dans les oeuvres peintes directement sur pellicule, le corps de l’animateur au travail, impliqué directement sur le film sans médiation par la caméra. Son nouveau film jazzy et rapide, renvoie en quelques lignes aux objets symboliques du casino – dés, plateaux, machines – qui apparaissent et disparaissent d’une image l’autre. L’animation fait et défait le lieu tout en construisant un lien et il transforme l’espace en un poème coloré dans un déluge de couleurs créées par le “gourou” (comme il l’appelle dans son générique) Ehsan Gharib. Si l’image qu’il peint ne fait guère plus que quelques centimètres de large, la projection en scope sur un écran géant donne à son travail une allure d’autant plus monumentale et impressionnante. Son film est également dédié à son père… Une thématique secondaire probablement !

 

Nous sommes également allés voir l’un des longs-métrages les plus attendus du festival.
NB : ceux qui, ici, imaginent lire quelques mots sur les zombies du Nord, les voitures avec des yeux ou les tic-tac jaunes à hublot, désolé mais ce ne sera pas le cas. D’aucuns hurleront que c’est une attitude snob mais c’est surtout dû à un manque de place par rapport au grand nombre de films plus importants. Quoique… le snobisme a aussi du bon parfois 😀

Loving Vincent de Dorota Kobiela et Hugh Welchman a commencé son histoire voilà trois ans en devenant l’un des teasers les plus vus sur youtube. Les créateurs polonais et britanniques avaient alors dévoilé les premières secondes d’un film sur Van Gogh qui semblait entièrement réalisé en peinture animée. Le long-métrage ne sera pas à la hauteur de ceux qui en ont une trop haute attente mais satisfera probablement une grande partie des spectateurs. Et, surtout, quoiqu’on en pense, il mérite le détour.
Le film n’est pas un simple biopic, ce qui est une bonne chose. Construit comme une enquête,  le scénario se concentre sur les dernières semaines de la mort du peintre et les mystères qui l’entourent. Il n’évite pas un certain didactisme et tourne parfois un peu en rond mais reste efficace. Graphiquement, seuls les éléments de la vie du peintre sont en couleur et donc peints. Le présent de l’investigation est tourné dans un noir et blanc numériquement animé peu convaincant. Toutefois, malgré des incrustations de personnages parfois ratées, les moments colorés sont beaux et permettent de visiter des reproductions en mouvement des toiles du maître. On s’attarde sur certains détails pour en découvrir un possible hors-champ. Surtout, le film réalise une forme de fantasme de cette époque qui marque les débuts de la peinture moderne : le mouvement !

Après une journée remplie d’histoires dramatiques, on a voulu se reposer en riant devant Spike and Mike. Cette édition n’aura pas été la meilleure. Beaucoup de redites, Spike absent, des nouveautés moins stupides et décapantes que d’habitude et une pub pour Honda – mais heureusement des elfes ! On espère que la faiblesse de 2017 sera compensée par un programme excellent en 2018. Demain on essaiera peut-être les films étudiants qu’on a précédement vu très joyeux.


15 juin 2017