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Festivals

Festival d’Annecy 2017, Jour 4 : WTF, Iran !

par Nicolas Thys

     Ce quatrième jour fût à l’image des précédents : le soleil lumineux à l’extérieur contrastait avec la noirceur des films vus en salles. Courts ou longs, nous ne sommes pas certain que l’animation soit un reflet du monde contemporain mais, si c’est le cas, apocalypse et disparition du genre humain ne devraient plus trop tarder.

     On commence par Tehran taboo, premier long-métrage d’Ali Soozandeh, réalisé en Allemagne par la société qui avait déjà produit The Green wave, un documentaire animé sur la révolution iranienne de 2009. Présenté à La Semaine de la critique, le film de Soozandeh est un violent réquisitoire social et religieux et n’a pu, pour cette raison, être fait en Iran. Dénonçant l’hypocrisie qui règne, il met en scène trois personnages féminins aux prises avec les tabous sexuels habituels : la prostitution, l’avortement, la virginité.

     Le film utilise la rotoscopie comme principe d’animation. Plus rapide et économique, cette méthode confère également une dimension réaliste supplémentaire. Les décors, qu’on imagine réalisés à partir de photographies, sont étonnants tant on a l’impression de se déplacer dans un Téhéran reconstitué. Les mouvements des protagonistes sont également fluides et le graphisme, sommaire et contrasté, apporte une laideur bénéfique à des personnages qui deviennent le reflet de la déliquescence du monde.

     Toutefois, c’est ce réalisme qui pose problème. Les thèmes abordés sont forts et importants mais les personnages deviennent, à cause de l’écriture, le reflet ambiant de toute une société, de tout un pays. Le scénario n’étant guère plus subtil qu’un reportage TV sur une chaine d’infos de droite, le cinéaste a l’air de faire de ses personnages des parangons de la population. On a ainsi l’impression de voir un Iran pour occidentaux désireux d’être confortés dans leur sentiment que tout – et tout le monde – est pourri. Dommage car avec un peu plus de finesse, on aurait eu droit à un grand film politique !

     La quatrième série de courts-métrages n’est guère plus joyeuse et lorsqu’elle l’est, les films ne sont pas à la hauteur. On a eu droit à un truc roumain cliché avec une 3D non assumée copiant une animation de papier (Splendida Moarte Accident de Sergiu Negulici), un film chinois sans âme plagiant le style japonais (Valley of white birds de Cloud Yang) ou une illustration espagnole bien trop bavarde (Contact d’Alessandro Novelli).

     A leurs cotés, les réussites graphiques s’accordent à la noirceur ambiante. Le désespoir règne dans Vilaine fille d’Ayce Kartal qui aborde, à travers la voix et le discours d’une petite fille et avec un style graphique sobre et brillant, les abus sexuels sur les enfants. Quant à Dead Reckoning de Susan Young et Paul Wenninger, il offre un voyage en pixillation dans le quotidien d’un homme qui vit dans la rue et finit par mourir. Dans Boite noire, deux réalisatrices espagnoles, Izibene Oñederra et Isabel Herguera, nous perdent dans un déménagement hallucinatoire plastiquement intéressant mais où règnent essentiellement horreur et désolation. Seul L’Ogre de Laurène Braibant, captivant sur le plan de l’animation et du graphisme, est plus « amusant ». Il aborde la gloutonnerie maladive d’un homme qui grossit à mesure qu’il dévore le monde avant de le régurgiter par tous les orifices. Sympathique.

     L’œuvre la plus séduisante du programme reste peut-être Airport de Michaela Müller. Elle trace en peinture sur verre, le portrait d’un aéroport et de ceux, anonymes, qui le fréquente dans un film atmosphérique aux couleurs ternes. Simple point de passage, voyages réussis ou annulés, passages de frontières, le lieu est fade, inconfortable et les individus ne sont que de brèves traces indistinctes dans un univers trop rapide. Peu réjouissant mais très bien fait !

     Etrangement, Kosmos de Daria Kopiec, le film polonais de la sélection nous a surpris. Puisqu’ils abordent régulièrement la guerre, la religion et l’horreur du communisme, on s’est demandé dans un premier temps si on survivrait à un probable désespoir. Finalement, il s’agit d’une œuvre issue de la nouvelle génération de cinéastes, celle qui aborde le sexe avant tout. Et souvent de manière réjouissante et décomplexée, à l’image d’Izabela Plucińska (Sexy Laundry) ou de l’amusante séance de masturbation de Renata Gąsiorowska dans Pussy. Kosmos est en pâte à modeler, un peu sage et anecdotique – on aurait aimé une œuvre plus longue et construite – mais il reste réussi dans sa relation au corps, à sa découverte et à son intimité. Et il nous a permis de respirer un peu !

     Afin de se remettre de ces sordides aventures, on avait bien besoin de courts-métrages joyeux et d’un sandwich à la raclette. Malheureusement, on a raté la première et les boutiques étaient fermées pour la seconde. On s’est donc rabattu sur le programme WTF !

     On se souvient d’un temps lointain où Annecy affichait des séances politiquement incorrectes beaucoup trop sages et où il fallait aller lorgner du côté de Spike & Mike pour découvrir une orgie de courts débiles et drôles. Heureusement, vu la déception cette année, et afin de compenser un manque de n’importe quoi et de foutages de gueule, un nouveau « midnight screening » est apparu. Et, à l’exception de deux ou trois parmi la quinzaine de films en sélection, l’ensemble méritait la dénomination What The Fuck !

     Au programme, quelques petites choses déjà connues et appréciables comme le High Stranger de Karen Lepore où un homme en pâte à modeler nu séduit le public. Plusieurs films étaient centrés sur des exercices de répétitions (Den’ NLO de Vladimir Sakhnovsky et sa géniale laideur graphique), de boucles (Steven Goes to the Park de Claudia Cortés Espejo), ou d’interminables successions (Scavengers de Charles Huettner et Joseph Bennett et leur faune qui rappelle La Planète sauvage avec moins de style). Souvent, les subtiles – hum… – connotations coquines vont bon train (Coyanuscocksee revisitant la trilogie des Qatsi de Godfrey Reggio avec des bites ou NFSWhale de Nathan Campbell et Alec Cummings abordant le thème surprenamment peu vu au cinéma de l’orgie sexuelle chez les personnes âgées dans un paquebot), quand ce ne sont pas des meurtres ignoblement amusants (Eye love you de Nikiel Suchit et ses cyclopes-ogres artistes).

     Heureusement des supers héros étaient là pour prodiguer des conseils aux enfants (Safety Tips with Captain Tardigrade ! de Ian Miller à montrer d’urgence dans les écoles maternelles). Le tout était souvent englouti sous un déluge de couleurs horribles (Wally cheeseburger 2 de Michael Carlo et son fondamentalisme anti-brocolis) ou dans un univers d’un blanc immaculé (The Winds-up des soeurs Chica avec leur gadjets érotiques mignons). Heureusement, pour apaiser ce déluge d’oeuvres hautement kawaï, l’amour rome-antique – comprendre plus proche des peintures trouvées à Pompéï que de Roméo et Juliette – était au rendez-vous dans How to have a romantic date de Joost Lieuwman, relecture néerlandaise de la Belle et le clochard.

     Que de bons films en somme pour une grande séance ! Si on devait n’en retenir qu’un, ce serait probablement Steven goes to the park, hilarant court étudiant qui donnera à tout individu normal le désir de s’inscrire à La Cambre en Belgique. Dans le ton et l’esprit, plusieurs productions étudiantes cette année avaient l’air plus libre que les oeuvres professionnelles dépendantes de paperasse, de financements et de limites extérieures. On espère que cela continuera.


16 juin 2017