Festival d’Annecy 2017, Jour 5 : Benjamin Renner et de fantastiques courts
par Nicolas Thys
Le festival d’Annecy touche déjà à sa fin. Six jours c’est toujours trop court, surtout pour voir tout ce qu’on voudrait sans accumuler les séances à n’en plus finir. Seul avantage : on est dans un état idéal pour se faire enrôler en cas de casting sauvage de morts-vivants. Lorsque la chose qui nous sert de cerveau se remet partiellement en marche, on commence à se demander qui pourrait remporter le cristal cette année. Les premiers prix spéciaux ont été distribués. Nothing Happens de Michelle et Uri Kranot ainsi que Negative space de Max Porter et Ru Kuwahata ont chacun deux récompenses. L’ONF, grand vainqueur l’année passée, en a aussi reçu une pour La Maison du hérisson d’Eva Cvijanovic. La série se poursuivra-t-elle ?
En attendant, on se concentrera sur la cinquième série de courts-métrages et sur le nouveau long-métrage de Benjamin Renner, également très attendu. Globalement, parmi les cinq programmes de courts en compétition, celui-ci était le plus intéressant avec le deuxième. Si on devait lui trouver une thématique, elle se situerait probablement autour des aspects fantasque et fantastique, parfois à la limite du WTF, mais en plus maîtrisé et sérieux. Par conséquent, la séance était moins dans l’esprit général du programme chroniqué hier quoique deux œuvres auraient pu y figurer. D’une part, Manivald de Chintis Lundgren et son renard gay dont l’amant couche avec la mère. Mais on reviendra ultérieurement sur cette jolie réussite. D’autre part, le « porno » brésilien du jour, bien plus drôle que celui de la première séance. Dans Le Poète des choses horribles de Guy Charnaux, un papa impliqué aide son fils à devenir un poète du même ordre que Simon Grim. Ceux qui ont vu le film (non animé… oui ça se fait aussi parfois !) Henry Fool d’Hal Hartley, comprendront. Sinon on vous encourage vivement à voir le court comme le long. Ceux qui le feront gagneront un Carambar – cela s’appelle de l’incitation à la cinéphilie.
Dans le même esprit un peu déglingué, le coréen-nippon de la sélection, Jungle taxi de Hakhyun Kim, était parfait. Imaginer les deux pays collaborer ensemble relève déjà du fantastique, mais le film lui-même est particulier, situé entre le film noir avec sa femme fatale, le film de taxi avec les clients pénibles et l’onirisme cauchemardesque. On n’y comprend pas grand-chose mais ce n’est pas grave, c’est agréable à voir, comme un rêve obscur hanté par de mystérieuses formes effrayantes et rassurantes. Plus amusantes, sombres et surprenantes, les marionnettes allemandes de Nachtstück d’Anne Breymann renferment aussi leur dose d’incompréhension poétique. En faux bois, masquées, monstrueuses, elles jouent à un jeu de dés inconnu en plein milieu d’une forêt, un kamoulox silencieux d’où ne s’échappent que borborygmes et onomatopées. C’est cette absurde étrangeté qui fascine et fait d’un film en apparence anecdotique une œuvre notable.
On aime toujours énormément le film d’Anna Budanova, Among the back waves, qui se bonifie à chaque vision et dont l’histoire, un classique de l’univers sibérien, est magnifiée par une animation traditionnelle en noir et blanc. (La chronique ici). De même, on a été emballé par la noirceur hallucinée et hallucinante de Yal va Koopal de Shiva Sadegh Assadi. Son très beau Bache gorbeh réalisé en peinture sur verre à la Kanoon voilà quatre ans maintenant, mettait en parallèle la naissance de trois chatons avec les problèmes familiaux d’une petite fille. Pour son nouveau court-métrage, elle a quitté le studio national iranien et elle poursuit et développe son travail. Cette fois ce sont des animaux fantastiques, métaphores des émotions de la fillette, qui la mettent en retrait de sa famille car ils ne les perçoivent pas de la même manière. Son court-métrage est aussi troublant par l’usage qu’elle fait du médium utilisé et dans la relation à l’enfance qu’il propose. Dommage que ses films ne soient pas davantage diffusés car c’est une véritable auteure à suivre !
Afin de compenser cette sélection riche mais difficile, on est allé s’aérer l’esprit devant le nouveau long-métrage de Benjamin Renner, cette fois associé à Patrick Imbert. L’excellente surprise d’Ernest & Célestine étant passée, on se demandait si le duo parviendrait à réitérer leur exploit sur Le Grand Méchant renard adapté de BD de l’auteur. Et, malgré la très légère baisse de régime, difficile de nier que c’est le cas. A l’origine conçu comme trois spéciaux TV de 26 minutes que le producteur a décidé de sortir en salles, le film tient totalement la route. Les transitions théâtrales entre les épisodes fonctionnent mais surtout, l’univers est d’une grande cohérence. On retrouve quelques animaux de l’un à l’autre, la ferme et la forêt, les deux lieux principaux, sont présents et surtout, le ton comique, les formes et couleurs élémentaires et l’espace non saturé d’information offrent des connexions bienvenues. Les auteurs savent aller à l’essentiel graphiquement et jouer sur la simplicité pour créer l’attachement, comme avec ce bébé semblable à une grosse balle souriante ! Difficile de ne pas se laisser prendre dans ces histoires humoristiques qui rappellent cartoons de part leurs mouvements exagérés ou bandes-dessinées et feront retomber en enfance plus d’un spectateur. C’est le jeu sur les contraires, ainsi que la naïveté du propos et des personnages qui en fait sa force.
On est également allé voir Perfect blue. Le long-métrage de Satoshi Kon vient d’être restauré en 4K et était ainsi projeté pour la première fois en France. Si l’animation n’a rien perdu de sa force et que le scénario est toujours aussi agréablement tortueux, certains éléments sont devenus cocasses depuis la sortie d’origine. Notamment toute cette incompréhension de l’héroïne face à Internet qu’elle ne maîtrise absolument pas. Difficile de savoir comment le public réagissait quand le film est sorti mais aujourd’hui, il est compliqué de se retenir de sourire. Seul point négatif, indépendant de la qualité de la restauration et du film : on se rend compte une nouvelle fois de la différence entre le numérique et la pellicule. La texture change, le rendu du grain est impossible à reproduire et les couleurs semblent légèrement différentes. Du coup, on regrette d’autant plus la disparition de la pellicule et l’incomparable sensualité et organicité qui se dégageait des projections en 35mm.
Demain, pour le dernier jour, on se concentrera sur la Chine, et le « off limit » ! Mais en attendant…
Les prix spéciaux d’Annecy 2017 sont :
– Prix Festivals Connexion : Nothing Happens de Michelle et Uri Kranot (Danemark, France)
– Prix du jury junior pour un film de fin d’études : What a Peaceful day d’Eden Chan (Taipei National University of the Arts – Taiwan)
– Prix du jury junior pour un court métrage : Valley of White Birds de Cloud Yang (Chine)
– Prix Jeune public : Hedgehog’s Home d’Eva Cvijanović (Canada, Croatie)
– Prix FIPRESCI : Negative space de Max Porter & Ru Kuwahata (France)
– Prix SACEM de la meilleure musique originale : Radio Dolores de Katariina Lillqvist & Kusti Vuorinen (Finlande)
– Prix Fondation Gan à la Diffusion : Petit vampire de Joann Sfar (France)
– Prix CANAL+ aide à la création pour un court métrage : L’Ogre de Laurène Braibant (France)
– Prix André-Martin pour un long métrage : La Jeune Fille sans mains de Sébastien Laudenbach (France)
– Prix André-Martin pour un court métrage français : Nothing Happens de Michelle et Uri Kranot (Danemark, France)
– Mention spéciale André-Martin pour un court métrage français : Negative Space de Max Porter et Ru Kuwahata (France)
– Prix « Perspective » de la Ville d’Annecy : Le Curry de poisson d’Abhishek Verma (Inde)
20 juin 2017