Festival d’Annecy 2017, Jour 6 : Du lavis, des marionnettes : de l’animation chinoise, au palmarès suédois…
par Nicolas Thys
Alors qu’Annecy n’en finit pas de s’assécher, que la fatigue s’accumule et que les séances s’enchainent, il est temps de revenir sur le pays à l’honneur, la Chine. Pour cet avant-dernier article, nous avons terminé le programme initié entre autre par Marcel Jean et Marie-Claire Kuo-Quiquemelle.
Au cours de la semaine, ce sont plus de 75 années d’histoire de l’animation chinoise que nous avons vu défiler au gré des films et des techniques. Du premier long-métrage en 1941, La Princesse à l’éventail de fer, un dessin animé traditionnel en noir et blanc aux influences tant disneyennes que chinoises, aux années 80, après la révolution culturelle, le panorama permettait de découvrir nombre d’artistes méconnus. Le point commun des films était essentiellement narratif, les histoires étant souvent animalières ou issues de contes traditionnels, souvent naïves mais plutôt bien écrites. C’est d’ailleurs ce contenu peu politique qui a causé l’interdiction de certaines œuvres et l’arrêt de la production à partir de 1966 et ce pendant une décennie.
A côté des dessins animés sur cellulo, dont certains étaient particulièrement réussis comme En traversant la montagne des singes de Shuchen Wang, la diversité et la maîtrise des techniques d’animation impressionne. La marionnette était à l’honneur avec Le Pinceau magique de Xi Jin, agréable conte anti-impérialiste où les poupées en bois au visage mono-expressif sont animées de manière minimale, brute mais efficace. Il serait intéressant de comparer ces figurines avec celle de Trnka et Pojar qui officiaient à la même époque et dont les mouvements semblent plus amples et gracieux. Le papier découpé étaient aussi partie intégrante de la production et Zhu Bajie mange de la pastèque de Guchan Wan est aussi enfantin qu’amusant. Son esthétique linéaire et au décor couleur parchemin, donne l’impression de parcourir un rouleau de gauche à droite, puis dans le sens contraire, au gré des péripéties cocasses des protagonistes. L’œuvre est moralisatrice, destinée aux plus petits mais elle est convaincante tant dans le style sobre des pantins de papier articulés que dans son graphisme familier.
Les années 60 ont vu le nombre d’animateurs des studios de Shanghaï exploser et, avec eux, l’émergence d’expériences animées séduisantes dont l’animation au lavis reste la principale. La peinture à l’encre utilisée nécessitait un savoir-faire et une dextérité importante qu’aucun pays n’a cherché à reproduire. Comme en témoigne La Flûte du bouvier de Te Wei et Quian Jiajun, dans lequel un enfant cherche son buffle au son de sa flûte, le résultat est des plus poétiques. Les mouvements sont d’une grande douceur et d’une finesse confinant à l’onirisme alors que le rendu graphique n’hésite pas à laisser place à l’imagination en ne saturant pas l’espace.
Les années 1980 marquent l’émergence de nouveaux animateurs. C’est également une période charnière à cause des modèles économiques qui volent en éclat. L’animation traditionnelle décline malgré l’amélioration de techniques comme le lavis déchiré articulé, au croisement du film peint et du papier découpé. L’un des films les plus étonnants et touchants dans cette technique est Le Renard des neige, réalisé en 1998 par Yunqiu Wu et Jinquing Hu. Le déchirement du dessin y était quelque peu symbolique. Difficile de ne pas y voir une métaphore de ce que l’industrie – le chasseur – fera aux animaux qui essayent tant bien que mal de survivre…
Heureusement les années 2000 ont émerger vu de nombreux nouveaux auteurs, ce que les deux programmes Chine, nouvelle génération, ont permis d’évaluer. On retiendra le politique Ding Shiwei dont les deux films, Double act et Goodbye Utopia montrent de manière allusive, avec de nombreuses métamorphoses graphiques ou tableaux en split-screen, l’activité des totalitarismes actuels. Après Horse et Panda, en compétition cette année, on aura aussi vu Monkey pour compléter la trilogie animale de Jie Shen. Le réalisateur réfléchit notamment sur la violence en utilisant des techniques répétitives ou stroboscopiques et en interrogeant la nature ou les possibilités du mouvement dans des œuvres semi-abstraites. Enfin, avec A wolf in a tree, Jiaxing Lin, dans un style à la fois classique mais provocateur, détruit les mythes, les retourne et s’en amuse.
La sixième et ultime série de courts-métrages en compétition est celle intitulée « off-limit ». On y trouvait notamment Hand colored n°2 de Lei Lei et Thomas Sauvin déjà vu dans l’exposition sur la Chine. A l’opposé, les amateurs de Terence Malick pourront apprécier le noir et blanc mystique de Dix puissance moins quarante-trois secondes de Francis. Le titre rappelle le moment où le cosmos entre en phrase de croissance et subit une transition qui brise la symétrie originelle. Sans un mot, dans une plastique impeccable, le film aborde la mort et la vie. Et surtout la fin vue comme une transition entre deux instants infiniment petits, le tout à travers le regard d’un vieil homme, d’une plante, de l’espace.
Le noir et blanc était au cœur de la sélection avec également A Photo of me de Dennis Tupicoff un peu long mais très intéressant portrait d’un enfant, grandissant au gré du cinéma, des souvenirs et des images – surtout celle d’un film noir – le tout en utilisant un mélange de techniques assez réussi : rotoscopie, photos, prise de vues directes ou 2D numérique. Idem pour le cinéma qui s’allume du turc Ozlem Sulak, Cinéma Emek, cinéma labour, cinéma travail, hommage à une salle d’Istanbul. On imagine plutôt son film en installation muséale. On pourrait affirmer que le plus beau était 1960 ::Movie ::Still avec Monica Vitti répétée 10 fois, mais c’est surtout l’actrice qui est belle et qu’on prend plaisir à revoir autant. Quant au film, il est anecdotique – mais agréable !
L’œuvre qui ressort le plus de cette sélection reste Orogenesis de Boris Labbé. On l’avait quitté avec l’expérimental Rhizome en 2015. Il a depuis tourné avec installations et vidéos de concerts. Son nouveau court-métrage propose une hypothèse poétique sur la création des montagnes (au passage, « Oro : Montagne » en grec). Il utilise cette fois une technologie plus sophistiquée et s’empare de l’imagerie satellite, de l’animation informatique et de la modélisation 3D de sommets réels. Comme dans son précédent court, il explore infiniment grand et infiniment petit jusque dans des recoins où l’un et l’autre se chevauchent, tout en utilisant de manière novatrice les motifs de la boucle, de la régénération, du retour à travers de multiples variations. On est une nouvelle fois en présence d’une autre grande œuvre totalement hypnotique, située entre réel reconstitué et réalité hallucinée.
Demain, pour le dernier texte, sorte de « bonus », nous reviendrons sur les courts-métrages canadiens, d’excellente facture. Et en attendant, voici le palmarès. Comme toujours, plutôt que crier au scandale, rappelons qu’il s’agit d’abord des choix et mises en commun de jurys composés de trois membres, et ils n’ont rien d’universel. Donc, plutôt que pleurer ceux qui n’y sont pas, on se réjouira pour ceux qui y figurent. A l’image du grand vainqueur : Min Borda de Niki Lindroth von Bahr et de ses merveilleuses marionnettes suédoises. Aux côté de Tesla de Matthew Rankin ou Nothing Happens de Michelle et Uri Kranot, ce film figure parmi les grandes révélations du festival 2017.
Voilà donc le palmarès complet :
Cristal du court métrage : Min Börda (The Burden) de Niki Lindroth Von Bahr, Suède
Prix du jury : Kötü Kiz (Vilaine fille) d’Ayce Kartal, France, Turquie
Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre : Splendida Moarte Accident (The Blissful Accidental Death) de Sergiu Negulici, Roumanie
Mention du jury : L’Ogre de Laurène Braibant, France
Prix du film « Off-Limits » : Dix puissance moins quarante-trois seconde de Francis, France
Prix du public : Pépé le morse de Lucrèce Andreae, France
Cristal du film de fin d’études : Sog de Jonatan Schwenk, HFG – Allemagne
Prix du jury du film de fin d’études : Summer’s Puke is Winter’s Delight de Sawako Kabuki, Tama Art University – Japon
Mention du jury du film de fin d’études : Pas à pas de Charline Arnoux, Mylène Gapp, Léa Rubinstayn, Florian Heilig, Mélissa Roux, ESMA – France
Cristal pour une production TV : Revolting Rhymes Part One de Jakob Schuh, Jan Lachauer, Bin-han To, Royaume-Uni
Prix du jury pour une série TV : The Man-Woman Case « Wanted » d’Anaïs Caura, France
Mention spéciale du jury pour une série TV : BoJack Horseman « Fish Out Of Water » de Mike Hollingsworth, États-Unis
Cristal pour un film de commande : Material World d’Anna Ginsburg, Royaume-Uni
Prix du jury pour un film de commande : Moby « Are You Lost in the World Like Me? » de Steve Cutts, États-Unis, Royaume-Uni
Cristal du long métrage : Lou et l’Île aux sirènes de Masaaki Yuasa, Japon
Prix du jury : Dans un recoin de ce monde de Sunao Katabuchi, Japon
Prix du public : La Passion Van Gogh (Loving Vincent) de Dorota Kobiela et Hugh Welchman, Pologne, Royaume-Uni
20 juin 2017