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Festivals

Festival d’Annecy 2017, Jour d’après : Et le Québec ?

par Nicolas Thys

L’année passée, l’ONF avait raflé les prix les plus prestigieux du festival d’Annecy avec le film de Franck Dion, Une tête disparait, et celui de Theodore Ushev, Vaysha l’aveugle. En outre, deux longs métrages québécois étaient en compétition. Lors de cette édition 2017, le Québec était absent du long et n’a remporté qu’une récompense dans la catégorie film jeune public pour La Maison du hérisson d’Eva Cvijanović. Cependant, la présence des Québécois était forte et les films brillants. Ce dernier compte-rendu du festival propose un petit retour sur la production québécoise.

Au gré des sélections, on trouvait six films québécois dont deux indépendants. D’une part, celui de Steven Woloshen dont on a déjà parlé ici, même si ce dernier travaille à l’ONF. D’autre part, présenté dans le « off-limits », le film de Thomas Corriveau, La Bêtise. Inspiré de gravures de Goya, il montre deux personnages anonymes, simplement appelés le premier homme et le deuxième homme, trop blancs pour un paysage en partie noirci, se battre sans raison apparente. Plus le film se déploie, plus les gestes banals, quasi robotiques, et l’animation minimale laissent place à une violence graphique, les trait s’entremêlant dans un déluge de gribouillis monstrueux. On appréciera également le recours à la voix-off, assez énigmatique, qui laisse l’animation travailler, la guide à peine et ne pèse pas de tout son poids pour devenir artificielle.

Quatre autres courts sont produits ou coproduits par l’ONF. Avec Bonobo, studio croate, Eva Cvijanović a réalisé une belle adaptation d’une fable de l’auteur serbe Branko Ćopić : La Maison du hérisson. Si ce genre littéraire a quasiment disparu dans certains pays depuis le 19e siècle, il est encore présent, notamment en Europe de l’est. L’histoire est simple et non dépourvue d’une certaine forme de brutalité qui contraste avec la douceur apparente. Un courageux hérisson défend son foyer face aux quolibets d’autres animaux qui échangeraient la leur contre un simple repas. Le récit est écrit et récité à la manière des contes lus le soir aux enfants avant de dormir : une voix féminine, lente et chaleureuse, interprète tous les personnages. On a l’étrange impression de plonger à la fois en enfance et dans un agréable univers cotonneux à mesure que la voix enveloppe le spectateur. Ce qui frappe dans ce film, outre son aspect velouté appliqué aux poupées comme à la végétation ou à ce plan final de lune, c’est la manière avec laquelle la réalisatrice joue sur les textures. On perçoit les poils de ses créatures voleter comme si une brise légère venait les caresser à chaque instant, comme si une présence invisible rappelait leur nature de jouets irréels. D’ailleurs, cette présence fantastique transparait aussi au détour de certains plans, dans les couleurs utilisées ou dans cet étrange festin partagé avec le renard dont les crocs en gros plans ne sont pas rassurants. Une chose est sûre, il n’y a guère eu d’aussi belles marionnettes de laine et de feutre depuis Oh, Willy d’Emma De Swaef et Marc James Roels.

Autre coproduction : Manivald de Chintis Lundgren, fait entre l’Estonie, la Croatie et le Québec. Ceux qui l’ont vu se rappellent probablement de Life with Herman H. Rott de la même réalisatrice, de ses personnages naïfs, de ses couleurs virant au rouge, au blanc et au noir. Son univers graphique enfantin, chaotique et surprenant est de retour. On avait vu passer le projet l’année passée au Cartoon forum sous la forme d’une série TV complètement folle. La surprise était donc au rendez-vous quand on a vu le court arriver comme une oeuvre à part alors qu’il s’agit du script du premier épisode : un renard qui vit chez sa mère castratrice, est déçu lorsqu’il la retrouve au lit avec son propre amant, un beau loup musclé ! Le résultat est d’autant plus drôle que tout arrive sans heurt, larmes ou cris, comme s’il y avait une sorte de logique dans l’extravagance. Si, graphiquement, Lundgren parvient à se démarquer de ses compatriotes estoniens au style rond et déformé, dans le ton et l’humour froid, elle les retrouve et les égale à la perfection. Maintenant, il ne reste qu’à prier à nouveau qu’un deuxième (puis un troisième…) épisode voit le jour car on veut regarder son renard arriver dans le club gay underground tenu par un hérisson névropathe qu’elle avait promis à Toulouse.

Dans un esprit plus serein que l’œuvre précédente, Diane Obomsawin présentait J’aime les filles qui avait remporté le grand prix du festival d’Ottawa en septembre dernier. Tiré de sa bande-dessinée homonyme, sortie en 2014, le film relate la manière dont plusieurs femmes ont découvert et assumé leur homosexualité. Son court-métrage prend la forme d’un documentaire animé créé à partir de plusieurs témoignages authentiques que l’animation, ici de la rotoscopie, vient illustrer. L’une des différences majeures avec les autres films sur la découverte de la sexualité est probablement la douceur, l’insouciance et le naturel avec lequel les quatre protagonistes racontent leur histoire. Les voix apportent quelque chose de romantique, de sensuel sans tragédie au rendez-vous. Et le ton convient bien au rendu graphique minimal, notamment dans des décors souvent réduits à quelques traits et de grands aplats colorés. On apprécie également la simplicité de l’animation et ses personnages à l’air animal, plutôt sommaires et décalés par rapport à ce qu’on imagine du sujet. Finalement, la technique utilisée, au lieu de surligner abusivement le propos réaliste comme c’est souvent le cas, garde une certaine distance. Elle apporte une légèreté tout en évitant les clichés du genre.

Enfin, la variété des productions de l’ONF était une fois encore au rendez-vous avec Tesla : Lumière mondiale de Matthew Rankin, peut-être le meilleur film de toute la sélection. Le réalisateur avait déjà remporté le prix « off-limits » à Annecy en 2015 pour Minarsky chute mortelle dans lequel un aviateur tombait dans le vide. Les techniques utilisées offraient au film un style unique doublé d’une forme onirique et poétique idéale pour un récit inspiré de faits réels. C’est une nouvelle fois le cas avec Tesla mais en plus abouti encore. Rankin a composé un texte à partir de lettres réelles écrites à différentes époques par l’ingénieur serbe Nikola Tesla, qui a surtout œuvré dans le domaine de l’électricité et fut l’un des grands inventeurs du début du 20e siècle. Envoyées à son mécène, ces bribes de correspondances nous font pénétrer l’esprit imaginatif, illuminé et naïf d’un homme au bord du gouffre car désargenté et dépassé par sa créativité sans fin. On le voit désireux d’apporter l’électricité au monde entier ou amoureux d’une pigeonne qu’il a un jour nourri. Si le film est supposé se dérouler en 1905, il revêt une forme d’intemporalité qui permet de puiser dans les sources les plus diverses : les grandes inventions du tournant du siècle dans lesquelles le cinématographe figure en bonne place, les rêveries d’un futur meilleur et non encore annihilé par deux guerres, les effets spéciaux mélièsiens, les avant-gardes plastiques et artistiques : futurisme, abstractions, recherches sur le mouvement, etc.

L’ensemble aboutit à un résultat proche de ce qu’on imagine être la pensée de Tesla : bordéliquement logique, sensée dans sa déraison, vivante et optimisme malgré la noirceur qui l’entoure. C’est ainsi que Rankin, avec une verve proche de celle du scientifique, met à profit et mélange plusieurs techniques d’animation image par image (stop-motion, pixillation, animation de lumière, grattage…). Il utilise les différentes possibilités de la pellicule, sa sensibilité lumineuse, sa texture et sa matière pour rejouer en quelque sorte l’invention du cinéma et la mise en mouvement du noir, du blanc, des flashs, de la lumière, des ombres, afin de créer un monde qui s’accorde au nôtre tout en étant complètement différent et infiniment poétique. Son expérience est totale, jusqu’au son créé par Sacha Ratcliffe. Elle s’est inspirée d’une invention de Tesla pour transformer les ondes lumineuses en son conférant quelque chose d’électrique à ce qui n’en avait à l’origine pas vraiment.

A côté de cette folie douce, nous avons eu droit à une classe de maitre de deux des plus importants créateurs de marionnettes de ces dernières années : Chris Lavis et Maciek Szczerbowski, les auteurs de Madame Tutli-Putli, Cochemare ou Higglety, Pigglety, Pop !, qui avaient déjà eu les honneurs d’une exposition à la Cinémathèque québécoise voilà quelques mois. Avec leur faconde inépuisable, leur cours s’est transformée à la fois en spectacle et en leçon de philosophie – ou d’alchimie, au choix. Loin de ne révéler que quelques secrets de tournage, ils se sont prêtés au jeu et ont dévoilé quelques clés de leur art. Se revendiquant autodidactes et assez peu enclins à utiliser les termes techniques habituels, ils ont créé leur propre vocabulaire à base de « Turpisme », « Elementa » ou « Indéterminisme », qu’ils définissaient en prenant des exemples dans leur travail ou celui d’autres créateurs, indépendants comme les frères Quay ou issus de studios comme Phil Tippett. Impossible en quelques lignes de résumer leur discours mais l’idée principale était que le matériau, son choix, sa place, son origine et ce qu’il renferme est primordial. Le matériau fait l’histoire, il est important de bien le choisir mais aussi de le laisser respirer, vivre et de ne pas empêcher à tout prix l’arrivée d’une forme chaos créatif.

Nous aurions également pu aborder les « classiques » canadiens proposés par Annecy mais impossible d’en dire plus de quelques mots. Mentionnons le premier long métrage d’animation canadien : Le Village enchanté de Real et Marcel Racicot sorti en 1955, un joli dessin animé, tourné avec peu de moyens et récemment restauré. Il revêt un grand intérêt historique et sociologique tant il reflète l’esprit d’une époque. Notons également l’hommage rendu à George Gersteen, pionnier de l’animation documentaire, disparu en janvier 2017, avec la projection de La Bastringue Madame Bolduc et de Words. Ou encore, celui réservé à Peter Foldès dont l’œuvre vient d’être restaurée par les Archives Françaises du Film et qui a réalisé La Faim au sein de l’ONF/NFB en 1974.

De même, difficile de faire davantage que rappeler l’expérience réussie de Vaysha l’aveugle de Théodore Ushev en réalité virtuelle. Il se déjoue de la grammaire déjà établie de cette nouvelle technologie pour s’amuser, comme l’héroïne, à n’utiliser qu’un œil pour voir soit le passé, soit le futur. Sinon le présent se brouille. Nous n’aurons pas non plus le temps d’aborder plus en détail les liens entre cinéma d’animation et bande dessinée mis en valeur à Annecy avec une série de courts produits par l’ONF et réalisés par des auteurs de BD (Trondheim, Delisle, Picault, Zviane). Il faudrait pour cela faire un festival plus long ou le prolonger ailleurs… Annecy toute l’année, ce serait une idée sympathique !


21 juin 2017