Festival d’Annecy 2018, Jour 0 : Demandez le programme !
par Nicolas Thys
Le jour précédent l’ouverture du festival, les premiers arrivants récupèrent leurs badges puis hantent les tables des restaurants et des bars afin de se rassurer que tout est identique depuis l’année passée. Ou pour reprendre de nouvelles marques. Les festivals sont des lieux où le public est conservateur et le moindre repère brisé manque de démolir la faible cohésion mentale de ceux qui les fréquentent. Ouf ! Cette année, rien n’a beaucoup changé d’un point de vue organisationnel. Et, surtout, le Fréti est toujours là pour nous aider à démarrer avec une fondue.
Ce dimanche aurait pu également être l’occasion de visiter l’exposition consacrée aux Shadoks au Musée château d’Annecy. Elle a lieu à l’occasion du 50eme anniversaire de ces volatiles pataphysiques créés par Jacques Rouxel pour la télévision française. Assez peu connue hors de France, cette série (la première saison est disponible là) a pourtant créé quelques scandales en 1968 au point de devenir mythique. Parmi les légendes qui l’entourent, elle fût considérée comme l’un des éléments ayant déclenché la révolte étudiante et ouvrière de de mai 1968, le premier épisode ayant été diffusé le 29 avril de cette même année. Pourtant, malgré l’absurdité délirante de la série, qui en fait aujourd’hui encore l’une des plus belles créations françaises, rien dans les aventures de ces habitants d’une planète à gauche du ciel ne les décrit comme des révolutionnaires avertis. La même année, une émission leur a été également consacrée dans laquelle Jean Yanne lisait les lettres réelles (d’insulte ou d’encouragements) que des spectateurs envoyaient à la chaîne (un exemple).
Mais, l’exposition n’ouvrait que demain pour les accrédités. Premier raté donc qu’on comblera au plus vite. Au moins, on aura eu droit à la balade en plein soleil jusqu’au château. Rappelons pour les courageux qu’une journée d’études organisée par NEF animation dans ce même bâtiment leur est consacrée vendredi prochain (programme ici).
Côté films, on a déjà cité certains des courts-métrages les plus attendus hier. En particulier, Le Sujet de Patrick Bouchard, La Chute de Boris Labbé, III de Marta Pajek et Ce magnifique gâteau d’Emma de Swaef et Marc Roels. Parmi ceux dont on n’a pas encore vu les films, citons un couple de revenants : Alison Snowden et David Fine, lauréats d’un oscar pour Bob’s birthday en 1993 et qui font leur retour pour leur premier court indépendant en 25 ans avec Animal behavior.
Chez les français (ou franco-), Justine Vuylsteker présentera Etreintes, le premier film entièrement réalisé sur l’écran d’épingles restauré voilà deux ans par les Archives Françaises du Film, Gagnol et Felicioli seront là avec leur nouveau court, Le chat qui pleure tandis qu’Inès Sedan proposera un film autour de Bukowski, Love he said.
L’Europe de l’est n’est pas en reste. En attendant son long-métrage, L’Extraordinaire voyage de Marona, qui devrait être terminé sous peu, Anca Damian a réalisé son premier court-métrage : Telefonul. Velko Popovic revient avec un Biciklisti qui donne bien envie, comme Vladimir Leschiov avec Elektrika Diena. Riho Hunt, co-réalisateur avec Kaspar Jancis du long hors compétition Capitain Morten et la reine des araignées, a aussi fait un court-métrage : Marie et les 7 nains.
Deux anglais, un vétéran et un plus jeune, sont également au programme : Paul Bush et Marcus Armitage. Le premier vient motorisé avec Ride, un nouveau trip qui interroge l’utilisation du photogramme et l’image par image. Le second, dont on se rappelle du film de fin d’études : My dad, œuvre forte sur un père toxique, sera là avec son premier film professionnel : That Yorkshire sound.
Enfin, Piotr Dumala, membre du jury à Zagreb, lui ayant décerné une mention spéciale, on a hâte de voir Mr. Deer de l’iranien Mojtaba Mousavi dont on ne sait pas grand-chose pour le moment. Il en est de même pour Edge of alchemy de Stacy Steers depuis qu’elle en avait montré quelques images lors de sa venue au festival en 2015. Et puis, on attend surtout d’être surpris par les œuvres d’autres cinéastes !
Parmi les longs-métrages, comme souvent, beaucoup ne donnent absolument pas envie. Quelques titres et noms retiennent néanmoins notre attention. On reparlera plus longuement de ceux qu’on est sûr de voir : Funan de Denis Do, Seder-Masochism de Nina Paley, La Casa lobo de Cristóbal Leon & Joaquín Cociña et Virus Tropical de Santiago Caicedo – en animation aussi le cinéma latino-américain arrive en force ! On ajoutera à cette liste trois films hors compétition ou proposés en séance spéciale : North of blue, œuvre abstraite d’une heure réalisée par Joanna Priesley, Chuck Steel : night of the Trampires (que de promesses dans un tel titre !) de Mike Mort et Insects, le nouvel opus de Jan Svankmajer. Pour le reste, on verra…
On peut néanmoins déjà revenir sur quelques titres déjà vus avant Annecy et proposés dans le festival. Trois d’entre eux sont des œuvres politiques qui s’adressent à des publics d’âge varié, du plus adulte au plus familial. Chris the Swiss d’Anja Kofmel et Another day of life de Damian Nenow et Raul de la Fuente sont deux documentaires animés sur des sujets forts. Lorsqu’un documentaire animé aborde la guerre, les combats et un parcours personnel, on se sent obligé de le comparer à Valse avec Bachir. Sans le succès du film d’Ari Folman, nul doute que les producteurs de longs un peu frileux n’auraient pas financé les deux films cités précédemment. Pourtant, au-delà de l’aspect technique, ces trois films sont différents voire opposés. Kofmel et Nenow/De la Fuente utilisent ici l’animation comme un support subjectif pour reconstituer des événements qui n’ont jamais été enregistrés ou dont les traces visuelles ont disparu.
Chris the Swiss est plus personnel et touche directement la cinéaste. Elle aura mis près de 10 ans à voir son film aboutir, un habile mélange de dessins animés et de prises de vues continues. Chris était son cousin, reporter de guerre parti suivre les combats en ex-Yougoslavie en 1991. Là-bas, il a disparu et est mort après avoir intégré une milice de mercenaires extrémistes sans que personne ne sache ce qui a pu se passer. Peu après, un ami journaliste, parti enquêter, est également tué. Kofmel avait alors 10 ans. Vingt ans plus tard, elle est allée enquêter sur les circonstances du décès pour éclaircir les zones d’ombre en retrouvant certains individus que Chris avait côtoyé avant son assassinat.
La réalisatrice utilise une animation en noir et blanc sobre et convaincante. Mais la grande réussite du film tient à la distance nécessaire au traitement d’un tel sujet, proche sentimentalement et lointain dans le temps. Jamais elle ne cache les ambiguïtés liées à la situation et son film n’est jamais une hagiographie d’un cousin qu’elle ne cache pas avoir admiré. Elle dévoile des éléments moins glorieux, parfois intimes. Son enquête est importante car juste dans sa part de subjectivité avouée et assumée. Elle réfléchit au recul à prendre et s’interroge sur ce qu’elle fait, sur la voie à suivre, la guerre, le métier de journaliste et les écarts déontologiques de son cousin. Elle peut parfois être moins à l’aise dans le documentaire, mais ce n’est pas gênant car elle offre le minimum pour comprendre les événements et l’éclatement des Balkans à l’époque. En outre, Chris n’est pas forcément un personnage qu’on aime, auquel on s’attache ou qu’on veut suivre. C’est un humain à l’existence périlleuse et non un héros. Pourtant son histoire est essentielle et le film d’autant plus admirable.
Dans un autre style, Another day of Life adapte le principal ouvrage d’un reporter polonais encore adulé par de nombreux journalistes : Ryszard Kapuściński. Ce dernier a suivi la guerre civile en Angola au cours des années 1970. Point fort : la clarté du récit. Sans rien connaître de cette guerre, le film en expose les enjeux, les problèmes et le déroulement sans didactisme. La réalité était certainement plus complexe mais en entremêlant animation numérique au rendu 2D, images d’époque, tournage live actuel et entretiens avec les protagonistes du livre encore vivants, le film évite de faire croire au spectateur qu’il va assister à la réalité telle qu’elle s’est passée. Au contraire, il va épouser les pensées du reporter aux prises avec une vision du monde, son empathie avec une cause, ses doutes et son action. Ce que livre ADOL est aussi une conception du journalisme, une réflexion éthique et donc une perception là aussi subjective. En l’annonçant à travers l’animation, avec des couleurs prononcées et un mouvement qui peut perturber, les réalisateurs ne trichent pas.
En outre, l’animation, grâce à des jeux de métamorphoses, permet de faire un lien direct de l’enfer de l’Angola à l’esprit torturé de Kapuściński, de montrer son univers mental, le flux des pensées intimes telles que décrites dans le livre, ses peurs, ses peines. Les images ne passent pas pour des souvenirs mais pour des cauchemars. Le réel intervient plutôt en contrepoint, ne s’immisçant dans l’animation qu’à travers la dernière image, pour parler de l’actuelle Angola et montrer « la défaite de la victoire » de 1975. L’échec du capitalisme autant que du socialisme est patent et l’image du bateau échoué à la fin du film restera dans les mémoires. Seul gros reproche : le film cède parfois à la facilité dans des séquences au montage « hype » et il utilise une animation à la mode, répondant à des considérations économiques plus qu’à de véritables velléités de recherches. Néanmoins, le film atteint son objectif et donne envie de se jeter sur les livres du reporter.
Autre film politique, moins documentaire et en compétition à Annecy : Parvana, une enfance Afghane de Nora Twomey. Malgré quelques passages obligés, parfois un peu faciles, la cinéaste réussit une belle œuvre familiale sur un sujet sensible. Et c’est là le vrai succès de l’œuvre. Parler à des enfants, dès 8 ou 9 ans, d’un thème aussi violent que la place de la femme dans une société dominée par les talibans n’est pas évident. Le film ne répond pas à toutes les questions – et la cinéaste ne cherche pas à le faire – mais il permet de cerner les problématiques majeures, les enjeux actuels et de poser des pistes de réflexion, et de porter un regard sur le monde. On éloigne trop les plus jeunes du réel en tâchant de ne pas leur montrer d’œuvres violentes et en oubliant qu’ils sont confrontés au quotidien à cette violence, même autre. Le déni vient des parents qui refusent de voir ou de parler plus que des enfants qui ont besoin de savoir. Parvana épargne beaucoup de choses mais il réussit, dans une esthétique plus sobre mais proche de ce que fait habituellement Cartoon saloon (Brendan et le secret de Kells et Le Chant de la mer), à aborder un tel sujet. Parmi les moyens utilisés : la famille, la transformation fille/garçon, le passé et les guerres. L’auteure se sert également du conte merveilleux comme d’une métaphore dans des séquences graphiquement belles mais pas toujours utiles au récit. Il n’en reste pas moins une jolie réussite.
On ira aussi assister à des rencontres et d’autres thématiques abordées par le festival. Rappelons que le Brésil est à l’honneur ainsi que les rapports musique et animation. Demain, pour l’ouverture, on reviendra sur le nouveau film de Nina Paley, un film chilien et le premier programme de court-métrage. Et peut-être d’autres petites choses. En attendant, on va digérer et se reposer une dernière nuit avant une semaine qui s’annonce chargée.
6 juin 2018