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Festivals

Festival d’Annecy 2018, jour 2 : I’m OK with Nina, Sarah & Riho

par Nicolas Thys

Ce deuxième jour à Annecy fût légèrement plus calme mais tout aussi pluvieux que le précédent. Première conséquence : les salles sont pleines. Deuxième conséquence : personne ne fuit avant la fin et on aimerait même parfois y rester un peu plus. A partir de là, on a une idée pour les futures années pluvieuses : organiser des projections de films d’animation 24h/24 et étudier le comportement des spectateurs à la fin de la semaine. Combien se comporteront comme des lapins ? Probablement un certain nombre. En attendant de pouvoir jouer les cobayes, nous n’aurons assisté qu’à quatre séances aujourd’hui : les courts-métrages en compétition 2, et un grand écart avec Capitaine MortenChuck Steel et North of blue.

 

Mais revenons dans le passé et commençons pas dire tout le bien qu’on pense du film de Nina Paley sur lequel il fût impossible de s’arrêter hier. Pour ceux qui ne la connaisse pas, elle est probablement la plus indépendante des cinéastes indépendantes américaines et Seder-Masochism est son deuxième long-métrage après Sita sings the blues sorti en 2008. Elle réalise ses films seule, elle milite contre la propriété intellectuelle et propose son travail librement sur Internet. Elle a également fait de la BD avec un strip réussi appelé Mimi & Eunice et elle tient un blog à lire d’urgence. Parmi ses crédos on notera une bonne dose de féminisme, dont découle un sentiment anticlérical voire antireligieux plutôt exacerbé, et un désir de critiquer la bêtise politique (pléonasme quand tu nous tiens…), supposément laïque mais qui s’acharne à entretenir la haine entre les peuples. Elle ne semble pas trop pour l’expansion de la société de consommation mais elle est surtout clairvoyante, écolo et ses films apportent des solutions simples et concrètes pour résoudre les grands problèmes du monde ; The Stork en est l’exemple parfait.

Et puisque ses films lui ressemblent, on sait avant de les voir qu’on va les apprécier. Reste à savoir maintenant ce qu’elle va mettre dedans un peu plus concrètement. Seder-masochism est plus personnel que son précédent long et aborde trois thèmes : le rituel du Seder liée à la Pâque juive, la construction du mythe patriarcal qui gouverne les religions depuis Moïse et sa relation avec son père. Ce dernier est né juif mais il s’est vite détaché de la religion et Paley reprend l’enregistrement d’une discussion qu’elle a eu avec lui en 2011, un an avant sa mort, qui sert de fond à son film, habile mélange de dessins numériques, de photographies, de toiles et de statues grossièrement mis en mouvement.

Ironiquement, son père est montré sous la forme d’une pyramide déifiée avec une longue barbe blanche et elle-même comme un mouton noir, ce qui sied à sa personnalité. L’ensemble lui offre l’occasion de placer tous les croyants sur un même pied d’égalité : une bande de mâles idiots qui ne veulent que détruire et faire la guerre pour pourrir encore davantage le monde. Et surtout, tout ceci elle le fait sous forme de comédie musicale. Elle reprend des chants traditionnels, des tubes rocks, disco, pop et même Dalida pour narrer l’ancien testament. La cérémonie liée au Seder aurait pu être réalisée dans un bar avec une bande d’ivrogne, là elle anime une petite bouffe entre prophètes, ce qui est plus ou moins la même chose. Et, entre temps, elle fait danser la Vénus de Willendorf et autres sculptures traditionnelles aux formes saillantes comme autant de représentation féminines.

Le grand intérêt de son animation est qu’elle colle parfaitement au propos. Les dessins sont simples, le mouvement limité et elle répète de nombreux éléments de façon cycliques en les multipliant mais l’ensemble donne un côté chorégraphique et robotique amusant. Tout concourt à montrer l’absurdité du patriarcat et ce qui en est issu. Son film devient alors, par moments, politiques mais de façon aussi acérée et acerbe que subtile et inattendu. Et puis, si on aime Seder-Masochism c’est qu’Alain Delon n’a jamais été aussi juste que dans ce film. Ceux qui ne comprendraient pas n’ont qu’à le regarder, et rire aux éclats ! Nous on va se convertir, on ne sait pas encore à quoi mais c’est secondaire tant que c’est fun, qu’on écoute des musiques sympas et qu’on mange bien.

 

On a également vu la deuxième séance de courts-métrages en compétition. Plusieurs thèmes semblaient se dégager et les films se répondaient étrangement. Les trois premiers abordaient de façon plus ou moins sérieuse la sexualité. On passera sur Tightly wound de Shelby Hadden, film sur le vaginisme plombé par une voix-off insupportable et une animation illustrative qui ferait passer le film pour un mauvais podcast animé du New York Times. Le sujet était intéressant, il aurait mérité une réalisatrice comme ça avait été le cas par exemple du Clitoris l’année passée. On réserve Dicks pour plus tard, on attend d’avoir vu les 7 films de John Morena dans les différents programmes pour en reparler.

Très attendu, Raymonde ou l’évasion verticale de Sarah van den Boom n’a pas déçu. On voulait le voir depuis les premières images présentées au PIAFF en septembre dernier et le résultat est à la hauteur. Le précédent film de la réalisatrice, Dans les eaux profondes, faisait évoluer des personnages dessinés dans un univers parfois en volume. Ici c’est l’inverse. L’essentiel est en volume et les protagonistes sont des marionnettes mais on trouve quelques personnages dessinés, issus de l’imaginaire du personnage principal : Élisabeth Báthory et Sainte Thérèse en guise de petit diable et ange qui s’amusent bien ensemble.

La religion est centrale, la tentation également mais les thèmes principaux sont le désir sexuel et amoureux vu depuis une vieille chouette âgée qui ne comprend pas pourquoi elle a suivi jusque-là tous les préceptes dictés par son catholicisme démodé. Elle vit dans un petit village où tout le monde se connait, non loin d’une forêt, et fantasme sur un facteur-chien et vit d’envois de culottes souillées à des pervers japonais. A travers les personnages-animaux, le film épuise et détourne les codes des fables anciennes – La Fontaine pour adulte ! – et les clichés de la campagne française profonde. Que ce soit dans les vêtements, les décors, et les professions qu’on voit représentées tout est vieillot, déjà-vu et en même temps frais et nouveau. Comme si les comportements réguliers et peut-être trop masculins les personnages moralisateurs des histoires d’antan prenaient conscience qu’ils feraient mieux d’essayer de vivre un peu. Admirablement écrit par Sarah van den Boom et interprété par Yolande Moreau, Raymonde est un hymne à la liberté aussi amusant que subtil et parfaitement maîtrisé. On aurait beau chercher, on n’aurait pas grand-chose à lui reprocher. Dans la catégorie des « fictions traditionnelles » (à défaut d’une meilleure expression) c’est probablement ce qu’on a vu de mieux depuis longtemps.

Etrangement, à peine réalisé, on a l’impression que Raymonde a déjà été remaké – c’est l’apanage des bons films. Et en plus dans la même séance, par l’estonien Riho Unt en plus absurde et moins subtil. Ce qui fonctionne également bien. Son Marie et les Sept nains aborde des thématiques similaires : une religieuse, sa frustration amoureuse et sexuelle, au point de se prendre de passion pour la bougie d’une tondeuse. Et, alors que l’ensemble est en volume, comme le film de Sarah van den Boom, les sept nains lui apparaissent dessinés et, de joyeux ou grincheux, ils deviennent avarice ou luxure. Et elle admire son reflet de cuir sur une moto derrière une grille avant de s’envoler. Sans avoir la puissance et l’effroi d’Isand, son dernier film, Marie reste réussi. Et ce davantage que le long-métrage au générique duquel il figure également à Annecy : Capitaine Morten et la reine des araignées dont il est le directeur artistique.  Ce dernier, réalisé par Kaspar Jancis sera probablement une déception pour les amateurs de Jancis et de Unt : trop simple, calibré, pas assez fou malgré de belles séquences. L’animation en volume est réussie mais les effets visuels informatiques d’une grande pauvreté gâchent tout. On n’en dira rien de plus. Nukufilm va apparemment mal, ce n’est pas la peine d’en rajouter. Ce serait juste dommage que cette grande société de production finisse ainsi et ce n’est absolument pas la faute des réalisateurs.

Côté court-métrage, toujours, on pourra peut-être revenir plus tard sur Fest de Nikita Diakur ou Agouro de David Doutel et Vasco Sa, les deux étant réussis dans leur genre mais le plus marquant de la sélection reste I’m OK d’Elizabeth Hobbs. OK symbolise ici les initiales d’Oskar Kokoschka, l’un des plus importants peintres expressionnistes. En 1912, il vit une histoire d’amour passionnée avec Alma Mahler, épouse de Gustav, et leur histoire qui dure quelques années lui inspire de nombreuses toiles et se termine brusquement en 1915. Il s’engage dans la guerre. Ses œuvres inspirent la réalisatrice, qu’elle ne copie pas mais dont elle use certaines caractéristiques, qu’elle anime et croise dans une semi-abstraction qui épouse certains courants artistiques de l’époque tout en travaillant sur l’épure. Si on le compare à un autre film récent autour de toiles de maître, Loving Vincent, on préfèrera mille fois I’m OK car autant le premier est un film de peintres qui ne font que calquer de la rotoscopie sans rien inventer, autant le second est un pur film d’animation qui invente ses codes, qui imagine un mouvement intérieur aux œuvres sans se laisser avoir par une reproduction factice du réel. Si on considère que les toiles peuvent être adaptées par le cinéma d’animation au même titre qu’une œuvre littéraire peut l’être, alors I’m OK est une adaptation réussie car elle ne copie pas mais elle crée à partir d’une matière première. Et le film d’Hobbs est d’autant plus intelligent que les peintres importants de l’époque de Kokoschka comme Malevitch, Kandinsky ou Picasso entre autre, s’intéressaient au mouvement et nombreux sont ceux qui avaient imaginé pouvoir un jour faire une œuvre animée sans y parvenir.

 

On aurait bien parlé de Chuck Steel : Night of the trampires, grand moment de cinéma Bis voire Ter multiplié par toutes les séries aux lettres qui viendraient après Z, ainsi que de North of Blue de Joana Priestley, mais le temps et la place nous manquent. Ce sera pour demain avec d’autres courts et quelques surprises.


6 juin 2018