Festival d’Annecy 2018, jour 5 : Cerf iranien, Zéros polonais et prix spéciaux…
par Nicolas Thys
Cette journée aura été marquée par une abondance de programmes de courts-métrages . Et surtout par une fatigue de fin de festival qui commence à s’installer à mesure que les doses de café de la salle de presse tende à disparaitre. Ce qui fait que, malgré la (possible) qualité de certains films, nos yeux en train de se fermer en permanence pendant le programme des courts métrages 5 en compétition ne nous ont guère laissé la possibilité de pouvoir les juger. Mais ils seront rattrapés très bientôt, tout comme notre sommeil manquant !
Le film qu’on retiendra le plus de la compétition 5 est probablement Mr. Deer, film iranien de Mojtaba Mousavi qu’on attendait depuis son prix spécial la semaine passée à Zagreb. Dès sa première vision, on comprend pourquoi Piotr Dumała le lui a attribué, le cinéaste polonais ayant une vision de l’humanité nihiliste et pessimiste autant que misanthrope, et le film iranien semblant être une excroissance en volume de son œuvre beaucoup plus dessinée. Dans une station de métro, qui pourrait être située n’importe où dans le monde, voire passer pour une métaphore de n’importe quel point de passage urbain où des inconnus se trouvent forcés d’être réunis, des marionnettes animales vêtues comme des humains vont exprimer leur amertume, leur rancœur et leur monstruosité. Si de par la facture des poupées, on peut songer au Cristal de l’année passée, Min Borda de Nikki Lindroth von Barh, on en est loin car, en dépit de la mélancolie critique, le niveau de noirceur n’était pas du même ordre.
Dans Mr Deer, aucune parole, aucune trace d’humour, juste une étrange froideur liée aux décors, aux visages impassibles des uns et des autres, à la distance des personnages entre eux, à leur être au monde fantomatique malgré une présence amplifiée par l’animation en volume. Ils ne sont pas de la même espèce, leurs têtes sont donc différentes mais leurs corps semblables. Ils sont similaires dans leur attitude, à l’exception d’un cerf plus brave. Mais ce qui peut relever du courage n’est une forme de faiblesse dans une « humanité » désespérée, un idéalisme qui n’a pas sa place. Les animaux passent leur temps à maugréer, frapper, humilier, sous le regard de leurs congénères qui restent coi. Leur seule manière de se rapprocher les uns des autres est de passer une main dans le sac de l’autre ou de se battre. Drôles de câlins. Jusqu’à ce que le plafond de la station s’écroule sur des innocents, sans savoir pourquoi, ne laissant qu’un bébé en vie. Seule la fin est décevante car trop gentille : elle laisse entrevoir une vague lueur d’espoir – vacillante et teintée de morbidité – alors qu’on sait depuis longtemps que le monde n’en porte plus aucune. Revoir tout Dumała pour s’en rendre compte.
Deux courts français étaient également en compétition, on avait déjà parlé de Vibrato de Sébastien Laudenbach à Clermont-Ferrand. Il est difficile de savoir pourquoi il n’était pas avec les films de commande puisqu’il s’agit d’une commande de l’Opéra de Paris. A ses côtés, Gilles Cuvelier était en compétition avec (Fool Time) Job et il confirme, après Raymonde ou l’évasion verticale de Sarah Van den Boom, que Papy 3D se porte bien. Premier film du cinéaste depuis Love patate en 2010, il retrouve le nord de la France pour une belle œuvre sociale en noir et blanc autour de la question du chômage et de l’aliénation du travail. Réalisée en 2D sur ordinateur, dans un graphisme plutôt doux, on suit une famille au physique mi humain mi animal qui cherche à se reprendre après une longue période sans emploi. La métaphore est d’autant plus puissante qu’elle se passe de paroles. Il suffit d’un lieu : un parc, et de quelques moments clés : se mettre (à) nu, s’exhiber au public, servir quitte à s’humilier, pour que la critique frappe fort. Dommage que les derniers plans, après la tentative de révolte, brisent la linéarité et la limpidité de l’ensemble.
On apprécie aussi le nouveau film de Gerd Gockell, remarqué pour ses œuvres expérimentales et prix du jury à Annecy en 2014 pour Patch. Not my type offre en 3 minutes un aperçu de l’histoire de la typographie, des caractères imprimés en jouant sur une citation célèbre de Shakespeare. Enfin, on s’arrêtera sur Simbiosis carna, premier film de Rocio Alvarez qui rend compte, dans un univers bicolore fait de peinture bleu et rose, d’un large panorama historique et politique lié à la sexualité. Elle se sert de touches de couleur sur fond blanc et de la métamorphose pour figurer de façon amusante mais également parfois plutôt violente la question de la reproduction chez les animaux depuis la cellule au dinosaure puis celle du plaisir et des frustrations chez les humains. Son point de vue est logiquement davantage orienté sur la question féminine, de la répression à la libération, mais elle laisse également une certaine place à l’homme. Son film est simple, il se concentre sur l’animation sans faire appel à la voix et, sans être narratif, il possède une structure cohérente : on comprend sans problème le propos du film. Seul petit défaut – ou peut-être que la fatigue jouait – il est juste un peu trop long : on comprend vite où la réalisatrice veut en venir et elle aurait pu aller davantage à l’essentiel.
Une remarque au passage. Années après année, ce genre de court métrage ne cesse d’apparaitre que ce soit chez les étudiants ou les « pro ». Leurs tendances sont souvent politiques, didactiques ou pédagogique et prennent régulièrement appui sur une forme d’abstraction ou une grande simplicité du trait. Pourquoi ces films sont l’apanage des femmes alors que les hommes montrent leur incapacité à aborder la sexualité de façon « pratique » voire « documentaire » en animation ? Ils semblent tous devoir se réfugier dans les codes de la fiction ou dans des formes de monstration violentes, comiques et rarement sérieuses ou, au moins, réalistes pour se livrer… Mystère.
Avant d’en arriver au palmarès, quelques mots sur la sélection WTF 2018 qui nous a quelque peu déçu. Le présentateur en faisait des tonnes, bien plus que l’année passée, mais le programme n’était pas à la hauteur. On aurait préféré l’inverse comme en 2017 : un présentateur plus sobre mais des films bien plus « What The Fuck » et délirants qui allaient bien plus loin dans le n’importe quoi. Dans cette sélection, pourtant composée de nouveautés, beaucoup sentaient le réchauffé et surtout, nombreux sont ceux qui avaient juste l’air normaux
La séance ne commençait pourtant pas si mal avec Just passing with Dr. Zussman, film Israélien sur un show TV bizarre qui reprend des recettes connues mais fait office d’agréable mise en bouche. Mais la suite était souvent du même niveau et peinait à décoller sauf par moments. On en retiendra guère que trois. Non pas que les autres soient tous mauvais, mais ils auraient plus eu leur place dans une sélection « gentiment incorrect » plutôt que WTF. Ou alors on avait des impressions de répétition, notamment vis-à-vis des quelques séries dont on connaissait plusieurs épisodes. Parmi ceux qu’on a préféré : le Titmouse de la sélection, More de Ben Meinhardt. Il est simple, débile, profondément inutile et graphiquement perdu entre le Canada vu par South park et… autre chose. Preuve qu’on peut dire beaucoup en 40 secondes avec un âne et des ballons ! Dans le même ordre, Chai de Peter Tomadze sur comment tuer mémé était plutôt sympathique mais un peu facile. On apprécie également, même s’il est un peu long, la mystérieuse expérience psychédélique du coyote mort et de l’apitoiement sous LSD d’un de ses compagnons par Lorenz Wunderle.
Mais le plus réussi reste probablement un film étudiant polonais de Katarzyna Miechowicz, Kosmiczne Trio, The Amazing Adventures of Not So Special People From Outer Space, sur un improbable trio cosmique de super zéros. Vu la qualité de l’image on a d’abord pensé qu’il s’agissait d’un vieux machin et que la programmation n’avait pas trouvé d’autre copie qu’un mauvais transfert de VHS, avant qu’on s’aperçoive que le film datait de 2017 et que c’était fait exprès. Image terne, assez basse définition, elle semble venir des tréfonds de la TV soviétique et les visages des personnages ont l’air aussi statiques et faux que Mr. Trololo, mème ultime voilà quelques années. Pourtant, on en a vu beaucoup des gros nuls en costume qui passent pour des ploucs ridicules, mais là ce n’est même pas le cas. Ils sont juste vides et étranges ou étrangement vides et venus d’un univers sans queue ni tête, aussi perturbant que le petit blond impassible qui perd une main dans un broyeur à papier mais possède de gros pectoraux. Comme s’ils venaient tous d’un dessin animé impossible, improvisé, mal animé, dont les protagonistes étaient en quête d’identité et incapables de faire quoique ce soit sauf être là. L’échange de visage était particulièrement magnifique. Comme la partie sur l’eau. Et nous, nous étions presque gênés de rire car il était impossible de savoir comment réagir, sauf agrandir nos yeux à chaque plan qui passait. Du pur « WTF » en somme. Vive les héros polonais !
On finira sur le palmarès des Prix Spéciaux 2018 qu’on commentera à peine, une fois n’est pas coutume. Il est juste le choix de chaque jury. Seul constat : ces prix confirment la tendance dessinée par Zagreb avec La Chute qui obtient deux récompenses, et Ce magnifique gâteau ! qui en récolte une alors qu’il n’était pas en compétition officielle à Annecy. Seule surprise : le vainqueur de la catégorie Perspective qui ressemble à une longue pub lente, banale et colorée contre le Cancer. Un bon sujet, même personnel, ne fait pas nécessairement un bon film.
Sinon on approuve la décision de Marcel Jean (il l’a dit, il faut désormais le faire !) d’embaucher pour l’année prochaine la petite italienne de 8 ans du jury Junior qui a fait son discours dans sa langue natale pour parler du choix de La Mort père & fils. Elle avait vraiment la pêche et nous a bien réveillé. Annecy, laissez-là présenter les films !
Enfin, n’étant plus dans le jury du prix André Martin cette année, ni dans aucun autre, nous nous retrouvons au même stade que lors de notre première année de festival pour 24 Images : frustré. Déçu de ne rien pouvoir remettre, nous avons donc décidé d’attribuer deux prix très spéciaux d’un commun accord les membres de l’ancien jury André Martin pour le premier et avec moi-même pour le second :
– Un prix « André-Martin dissident » bien nommé Prix Ricky-Martin est donc attribué à la bande-annonce du festival, aussi exécrable que l’étaient les chansons de l’espagnol démodé. Elle gagne l’obligation de se livrer à une bande de chasseurs, en espérant qu’ils veuillent bien nous débarrasser du lapin bleu et des deux gosses.
– Un prix « WTF » car c’est la seule sélection courte sans récompense. Et puisque que la mode est à la multiplication des prix plus que des pains, allons-y gaiment. On le remet sans surprise à Kosmiczne Trio, The Amazing Adventures of Not So Special People From Outer Space de Katarzyna Miechowicz. Elle gagne l’obligation de faire plein d’autres films et de nous les envoyer en priorité.
Le reste du palmarès des prix spéciaux 2018 ci-dessous :
– Prix André Martin pour un long métrage français : Le Grand méchant renard de Benjamin Renner et Patrick Imbert (France)
– Prix André Martin pour un court métrage français : Ce magnifique gâteau ! d’Emma de Swaef et Marc James Roels (France, Belgique, Pays-Bas)
– Mention spéciale André Martin pour un court métrage français : La Chute de Boris Labbé (France)
– Prix Jury Junior pour un court métrage : La Mort, père & fils de Denis Walgenwitz et Winshluss (France)
– Prix Jury Junior pour un Film de fin d’études : Inanimate de Lucia Bulgheroni (Royaume-Uni)
– Prix Jury Junior pour un film Jeune Public : Vivat musketeers ! d’Anton Dyakov (Russie)
– Prix SACEM de la meilleure musique pour un court métrage : Denis Vautrin pour Cadavre exquis de Stéphanie Lansaque et François Leroy (France)
– Prix SACEM de la meilleure musique pour un long métrage : Mychael et Jeff Dana pour The Breadwinner de Nora Twomey (Irlance, Canada, Luxembourg)
– Prix FIPRESCI : La Chute de Boris Labbé (France)
– Prix Festivals connexion : Bloeistraat 11 de Nienke Deutz (Belgique, Pays-bas)
– Prix Fondation Gan pour un WIP : Les Hirondelles de Kaboul d’Éléa Gobbé-Mévellec et Zabou Breitman (France, Luxembourg, Suisse)
– Prix Canal + : Happiness de Steve Cutts (Royaume-Uni)
– Prix de la ville d’Annecy pour la catégorie Perspective : Papillons d’Andrés Gómez Isaka et Mauricio Leiva Cock (Colombie)
Demain, on ira vers un tour vers le Japon et le reste du palmarès.
17 juin 2018