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Festivals

Festival d’Annecy 2018, le jour d’avant…

par Nicolas Thys

Samedi. La nouvelle édition du Festival International du Film d’Animation d’Annecy s’ouvre dans deux jours et tout semble déjà fin prêt. Les bénévoles sont déjà sur les startings blocks pour accueillir la première vague importante de participants dès demain. Aujourd’hui, les annéciens parcouraient encore les rues de leur ville bientôt inondée de porteurs de badges et de sacs colorés en tout genre, profitant peut-être des derniers rayons de soleil d’une semaine qui s’annonce délicate d’après la météo. De quoi fréquenter d’autant plus assidument les salles ! En attendant le programme sur lequel on reviendra demain, revenir brièvement sur quelques changements et autres manifestations cinématographiques.

 

2018 sera une année particulière pour le festival puisqu’il s’agira de la dernière avec Patrick Eveno à la tête de la manifestation. Ce dernier, qui dirigeait Citia – la structure qui accueille le festival – depuis une douzaine d’années, part à la retraite et laissera Mickael Marin, alors délégué général et en charge du MIFA (le marché du film), le remplacer. C’est dire si les rênes sont tenues par un marché du film qui affiche encore et toujours une forte croissance et n’en finit pas de prendre de l’envergure et de gagner des batailles économiques. Tout comme l’animation de manière général par rapport au marché global du cinéma.

Paradoxalement, alors que l’industrie française de l’animation se porte et s’exporte bien et qu’elle crée de l’emploi, c’est quelques jours avant le début du festival que la Ministre de la culture a décidé d’acter sa réforme de l’audiovisuel public. Soit, entre autre, la suppression de France 4. Ce qui pourrait n’être que la disparition d’une chaine de TV pourrait avoir un impact fort sur le développement de la filière animation puisque France 4 était destinée à un public jeune et qu’elle générait de nombreuses commandes de programmes animés après la défection des autres canaux publics de diffusion sur ce même créneau. Affaire à suivre mais, au-delà des paroles habituelles des politiques pour rassurer ce qui n’a rien de rassurant, ce pourrait être un premier frein dans une industrie jusque-là florissante.

 

Dans un autre domaine plus agréable, si Le festival d’Annecy commence, c’est que celui de Zagreb se termine, les deux se succédant tous les ans. Parmi les principaux prix d’Animafest, félicitons Boris Labbé, vainqueur de la catégorie court-métrage avec La Chute et Emma de Swaef et Mark Roels qui ont remporté le prix du meilleur long-métrage avec Ce magnifique gâteau. Certes, le film dure 45 minutes mais son format inhabituel a amené les organisateurs à l’intégrer à la compétition longue. Parmi les autres primés, on trouve aussi III de Marta Pajek. Ces trois films seront à Annecy et nous y reviendrons plus longuement dans un article ultérieur. Ils avaient néanmoins commencé leur carrière un mois plus tôt lors du festival de Cannes dont les trois sélections (l’Officielle, la Quinzaine des réalisateurs et la Semaine de la critique) ont eu le nez fin. Surtout la Quinzaine qui a choisi Ce magnifique gâteau pour célébrer son cinquantième anniversaire. Ceux qui étaient présents cette année à Cannes auront sans doute remarqué à quel point l’animation, d’habitude plutôt inexistante, s’est finalement retrouvée ci et là. Certes rarement en compétition, mais dans des recoins où on ne l’attendait pas toujours.

Outre les trois films précités, on y avait découvert Le Sujet de Patrick Bouchard, également à Annecy, La Nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel dont la non-sélection ici est incompréhensible, et plusieurs longs-métrages. Mirai de Mamoru Hosada, Chris the Swiss d’Anja Kofmel, Another day of life de Damian Nenow et Raoul de la Fuente seront programmés la semaine à venir. Samouni road de Stefano Sanova et Mandela et les autres de Gilles Porte et Nicolas Champeaux, qui doivent comporter environ un tiers d’animation, n’y seront pas. A noter que les quatre derniers films cités sont des documentaires animés européens qui traitent de sujets liés à la guerre ou aux injustices sociales, à croire que pour faire de l’animation longue pour adultes en Europe, il est nécessaire de travailler des sujets fortement politiques.

Pour compléter ce portrait, il faut encore noter la présence d’animation dans au moins trois autres longs en compétition venus d’horizons différents. The House that Jack built de Lars von Trier, Under the silver lake de David Robert Mitchell et Leto de Kirill Serebrennikov comportaient également entre 5 et 15 minutes d’animation, soit l’équivalent d’un court-métrage. Ce n’est pas la première fois que des cinéastes font cela : Kill Bill de Tarantino ou The World de Jia Zhangke en sont de beaux exemples, mais c’est la première fois qu’on en voyait autant en compétition dans un festival comme Cannes. Et de surcroit avec des techniques d’animation variées (peinture animée, dessin ou animation informatique).

Finalement, si on a l’impression d’un changement – mais seul les années à venir le confirmeront ou l’infirmeront – il se situe plutôt dans la manière dont les cinéastes considèrent l’animation que dans la façon dont les festivals de cinéma généralistes la considèrent. Berlin mis à part, les longs-métrages entièrement animés sont encore quelque peu laissés de côté par les organisateurs. Cependant, les documentaristes réticents voilà une vingtaine d’années encore à s’emparer du médium animé pour leurs films comme s’il allait trahir quelque chose du réel, semblent s’apercevoir qu’il existe et qu’ils peuvent en faire des choses intéressantes. Le phénomène s’amplifie ces derniers temps puisque les nouveaux titres arrivent les uns à la suite des autres. Si son utilisation reste encore quelque peu convenue, nul doute que cela puisse évoluer dans les années à venir. Il en va de même pour les cinéastes qui entremêlent les deux médiums ou qui passent indifféremment de l’un à l’autre. Brad Bird, cristal d’honneur à Annecy cette année, en est un bel exemple.

C’est comme si le développement du cinéma informatique et de l’inclusion de l’animation numérique dans les œuvres en prises de vues directes depuis le milieu des années 1990 permettait aux différents milieux de se croiser, de s’apercevoir que l’un et l’autre ne sont pas incompatibles. Même si un certain formatage existe à l’échelle industrielle, il n’empêche pas les cinéastes d’essayer de nouvelles choses, et de vouloir chercher à essayer des techniques plus traditionnelles avec lesquels ils ne sont pas familiers. L’évolution des techniques a pu aussi permettre celle des regards des publics et donc des créateurs, probablement plus axés sur de nouvelles formes d’hybridations et apportant leur envie de renouveler les possibles dans le domaine du long-métrage. Ce renouveau est évidemment permanent dans le milieu du court-métrage qui sera toujours le plus beau et passionnant laboratoire esthétique et plastique du cinéma, ce qu’Annecy, sans aucun doute, se chargera une fois de plus de démontrer.

A suivre donc…


3 juin 2018