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Festivals

Festival d’Annecy 2019, Jour 0 – Des larmes, des courts et le Québec indépendant

par Nicolas Thys

Aujourd’hui, le ciel a dû apprendre que le président de région arriverait bientôt pour arpenter les allées du festival d’Annecy. Comme lors de la visite de l’ex-président de la République français en 2016, le ciel s’est donc mis à pleurer. Beaucoup. Longtemps. Et il ne devrait pas s’arrêter de sitôt. C’est donc en gambadant dans les flaques et en faisant du pédalo entre les gouttes d’eau qu’on a récupéré le catalogue, les accréditations et le sac du festival. En attendant, les vents emportaient les touristes de la veille pour laisser place aux courageux festivaliers à peine arrivés, déjà trempés.

Avant de débuter nos perfusions de café quotidiennes pour tenir le rythme trépident de la semaine, avec environ 25 séances prévues au total, faisons un petit point sur le cœur de la sélection : le court métrage. On ne le dira jamais assez le format court, quoique rare tant dans les grands médias que dans les salles, est celui qu’il faut défendre, mettre en avant et faire voir. C’est là que se fabriquent, depuis toujours, les principales expérimentations et innovations formelles, techniques ou esthétiques. C’est de cela dont il faut se faire le relais. « Pourquoi les critiques s’imposent-ils de critiquer sévèrement le film décevant et commercial, au lieu de vanter les sept minutes d’animation des premières parties qui les ont beaucoup plus étonnés ? » s’interrogeait un célèbre critique. Et il avait bien raison. D’autant plus que, chez les étudiants comme les professionnels, cette année promet de jolies surprises.

En compétition officielle, des habitués feront leur grand retour à l’instar de Regina Pessoa, Frank Dion ou Dahee Jeong, tous trois récipiendaires d’un cristal du meilleur film, ou Chintis Lundgren dont on a hâte de découvrir les nouvelles aventures de ses loups lubriques et chats excentriques (ou réciproquement). Parmi les anciens primés, on notera la présence de Jenny Jokela, pour Live a Little et de Wiep Teeuwisse pour Intermission Expedition, leurs premiers courts pro. Elles avaient remporté le cristal du film de fin d’études respectivement en 2018 pour la première et 2015 pour la seconde, exactement le jour de son anniversaire et la salle s’en souvient encore ! Parmi ceux qu’on attend le plus figurent également The Juggler de Skirmanta Jakaité, réalisatrice de Géométrie non-euclidienne en 2014, ou Acid rain de Tomas Popakul, qui revient tout juste de Zagreb couronné d’un grand prix.

Les autres sélections promettent également beaucoup, notamment le off-limit avec le retour de Pierre Hébert, Max Hattler ou Thorsten Fleisch. Chez les enfants, Sylvie Trouvé et Dale Hayward revisitent le mythe de la Baba Yaga russe tandis que les chez étudiants, trois films sont particulièrement attendus. D’abord Duszyczka de Barbara Rupik, reparti de Cannes avec une mention à la Cinéfondation, puis These things in my head – Side 1 de Luke Bourne à propos duquel nos oreilles indiscrètes ont entendu, entre deux verres de vin et du fromage fondu, certaines conversations aussi enjouées que dégoûtées – mais le réalisateur est anglais – et enfin, Dcera de Daria Kashcheeva, qualifié de chef d’œuvre lors de la conférence de presse par le délégué artistique Marcel Jean (NdMM : ancien rédacteur de ces mêmes pages). Toute la pression repose désormais sur lui. De notre côté, on a déjà vu Swatted d’Ismaël Joffroy-Chandoutis, on sait donc qu’au moins un bon film est en sélection.

Du côté des séances spéciales, les courts-métrages japonais sont à l’honneur avec notamment la présence d’Atsushi Wada, ainsi que la gastronomie, thématique importante et rarement traitée sérieusement.

Lundi, le festival débutera officiellement par un jour riche en promesses, moins grâce au placement de joujoux plastifiés trop chers de l’ouverture qu’à l’enchainement de séances prévu. Après l’événement VR de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski, Gymnasia, devraient se succéder le nouveau long d’Anca Damian, Happiness Machine réalisé par huit femmes – ce sera une manière d’accompagner l’événement Woman in animation auquel nous n’aurons pas le temps de nous rendre au MIFA –, Away dont on parlait hier, et le premier programme de courts métrages. Mais, avant cela, continuons notre périple parmi les longs en compétition avec Ville Neuve.

Après sa sélection au festival de Venise et une sortie trop confidentielle au Québec, le premier long métrage de Félix Dufour-Laperrière atteint les écrans français en commençant par Annecy avant une sortie nationale. C’est à la fois surprenant et normal. Normal car le film est l’un des plus beaux de l’année et qu’il le mérite, et surprenant car l’histoire politique du Québec est peu connue outre Atlantique, en particulier les deux référendums pour l’indépendance de 1980 et 1995 dont le dernier est l’un des éléments clés du film.

On est curieux de savoir comment, hors du Québec, les francophones du monde entier vont recevoir cette double histoire de séparation et de rabibochage, celle de deux individus lambda, un homme alcoolique et la femme qui l’a quitté plusieurs années auparavant, et celle d’une nation scindée en deux. Au mieux le récit rappellera les événements récents en Catalogne, mais rares seront les français qui prendront le film avec la même force émotionnelle que les québécois qui ont vécu ces épisodes. En outre, le Québec a eu droit, contrairement à la région ibérique, à des référendums officiels et l’écart entre les pour et les contre s’est réduit jusqu’à offrir au cinéaste la possibilité d’une uchronie. Et si le Québec avait basculé vers l’indépendance ?

Mais l’histoire s’arrête là. Le cinéaste rêveur-créateur n’est guère prophète et il laisse ce récit secondaire en suspension. Car bien que le politique occupe une place importante, Ville Neuve n’est pas un manifeste mais avant tout une histoire d’amour sensible et poétique. Et, bien que les discussions sur l’indépendance pénètrent les foyers, lorgnent l’intimité de tout un chacun, envahissent le quotidien des êtres les plus communs, et aident le spectateur à s’approcher d’individus quasi sans visage, décrits en quelques traits et qui pourraient être chacun de nous. Ce qu’on suit c’est avant tout le récit d’une famille, un moment de suspension au milieu de nulle part, et une idée de leurs tensions, de leurs angoisses, des (im)possibilités d’un futur.

Pour cela, Félix Dufour-Laperrière adapte une nouvelle de Raymond Carver, Chief’s house, un texte de moins de 10 pages publié une première fois dans The New Yorker avant de paraître dans le recueil Cathedral en 1983. Les amateurs de l’écrivain y retrouvaient son style sec et sans fioriture ainsi que de nombreux éléments de sa vie personnelle. Mais, si les dossiers de presse indiquent souvent que le réalisateur s’en inspire « librement », la liberté prise avec l’œuvre n’est pas tant le changement que dans l’apport. Il lui apporte un fond historique qui permet de mettre en parallèle la fidélité des sentiments, le sentiment d’une lutte et la résurgence d’un espoir. Jusqu’à intégrer une séquence clé d’Andreï Roublev vue à la Cinémathèque québécoise. Il ajoute quelques personnages, et en particulier un fils attaché à sa mère et détaché de son père : la jeunesse prise dans l’idée d’une révolution, d’une séparation, d’une réconciliation compliquée.

Mais dans l’ensemble, le film est la nouvelle : une maison au bord d’un fleuve un été, le temps retrouvé, des souvenirs, un homme qui cesse de boire, une femme qui ne peut cesser de l’aimer et une histoire sans fin qui ne peut se terminer bien.

L’importance de Ville Neuve réside dans son minimalisme. Non pas un minimalisme de l’animation mais du graphisme et le réalisateur laisse d’autant mieux le mouvement des protagonistes, le geste de l’animateur prendre une ampleur, une valeur qu’ils n’auraient pas si l’écran était saturé d’informations inutiles. En laissant la place au blanc, au trait, aux esquisses et à l’effacement, le film de Félix Dufour-Laperrière incarne la nouvelle, il en retrouve l’harmonieuse austérité, la mélancolie sérieuse, l’émotion brute d’une histoire classique mais jamais ironique dans le ton et dépourvue d’effets gratuits. Ici, un petit rien aura l’air de tout et un simple trait, une nappe colorée et répétée, aura une force d’évocation, d’imagination dans la contemplation, que seules la littérature en deux mots bien agencés, ou la musique en quelques notes bien placées peuvent généralement atteindre. Le dépouillement de la nouvelle se trouve dans le graphisme du film, et les sens cachés dans les intervalles entre les images, dans l’animation même. Ce qu’apporte cette dernière c’est finalement une plus grande fidélité au texte de Carver, non plus dans le fond, canevas auquel il peut aisément ajouter des éléments, mais dans la forme. C’est une autre manière de penser l’adaptation.


10 juin 2019